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Titre : Un intérieur, ou Influence de la vertu au sein de la famille. Tome 1 / par A. Devoille
Auteur : Devoille, Augustin (1807-1870). Auteur du texte
Éditeur : Sagnier et Bray (Paris)
Date d'édition : 1846
Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30338887j
Type : monographie imprimée
Langue : français
Langue : Français
Format : 2 vol. (363, 434 p.) ; in-18
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Description : Contient une table des matières
Description : Avec mode texte
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5482265t
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Y2-27317
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 10/02/2009
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UN■
INTÉRIEUR
OU
INFLUENCE DE LA VERTU AU SEIN DE LA FAMILLE ;
PAR
A. DEVOILLE.
TOME PREMIER.
PARIS.
SAGNIER ET BRAY, LIBRAIRES-ÉDITEURS,
RUE DES SAINTS-PÈRES, 64.
1846
UN INTÉRIEUR.
UN
INTÉRIEUR
OU
INFLUENCE DE LA VERTU AU SEIN DE LA FAMILLE ;
PAR A. DEVOILLE.
TOME PREMIER.
PARIS.
SAGNIER ET BRAY, LIBRAIRES-ÉDITEURS,
RUE DES SAINTS-PÈRES, 64.
1846
I.
UN INTÉRIEUR.
C'est au mois de novembre 1842.
La journée a été sombre, pluvieuse ; un vent d'ouest règne depuis quelques jours. Les nuages volent avec rapidité, et semblent former plusieurs couches flottantes, dont la dernière glisse sous les autres avec une sorte d'inquiétude.
Le sifflement du vent a quelque chose de douT.
douT. 1
2 UN INTÉRIEUR.
loureux, de lugubre; à chaque instant il fait tourbillonner des feuilles mortes, enlevées à la forêt voisine.
La nuit approche. Quelques vanneaux, quelques canards sauvages fuient sous ce dais gris, qui couvre la terre. Ils volent en silence, dans la direction du vent... Des moineaux cherchent leur gîte sous le chaume, sous les saillies des toits.
Je ne sais quelle tristesse plane sur toute la nature. La nuit semble encore l'augmenter.
Cependant, le dôme s'entrouvre ; quelques nuages se découpent. Un rayon du soleil couchant les frappe obliquement, et les colore d'une teinte laiteuse, blafarde, qui se reflète sur toute la nature. Rien ne peut rendre cet aspect maladif que semble prendre la terre. Les forêts baignent leur feuillage flétri dans cette lueur jaunâtre.
Et pourtant ce dernier reflet du soleil fait du bien. Il représente une lueur d'espoir au sein de l'infortune
Quelques oiseaux, des pinçons, des bergeronnettes, hasardent, en se cachant dans les buissons, un faible cri demi-joyeux, demi-plaintif. Des corbeaux, au vol pesant, traversent l'horizon du nord au sud, en luttant contre le vent.
Puis la teinte laiteuse des nuages s'efface Le
soleil se couche; une nuance gris-blanc borde les nuages groupés autour de lui ; mais il ne se montrera pas avant de se coucher. Pas un de ses
UN INTÉRIEUR. 3
rayons n'aura apparu, clair, pur, durant cette journée néfaste
Il y a ainsi dans la vie des jours de deuil qu'aucun rayon de joie n'illumine
Tout dans cette saison de l'année porte à la tristesse : la terre dépouillée, les forêts jaunies, les campagnes sans verdure, les buissons sans oiseaux,
les jours sans soleil, les nuits sans calme Le
vent devient la voix de cette nature morte ou mourante; il hurle, il siffle, il gémit, il pleure
Une demi-heure avant le coucher du soleil, les champs qui bordent le village de Monval étaient
traversés en tous sens par une foule éparse Le
vent faisait voltiger les longs vêtements de deuil des villageoises : chacune d'elles avait un cierge de cire jaune sous le bras... Plus loin, on voyait un prêtre en surplis, un sacristain et une croix.
Les directions étaient différentes, le point de départ était le même
On sortait du cimetière.
On venait de déposer dans la fosse une femme jeune encore, estimée, pauvre, et mère de six enfants.
Tout à l'heure au milieu du champ de la mort, la foule recueillie, attristée, regardait descendre dans leur dernière demeure les restes vénérés d'un être auquel personne n'avait pu refuser son estime Le cercueil rendit en tombant un bruit
UN INTERIEUR.
sourd, qui fit frisonner Le prêtre jeta dessus
une pelletée de terre, et le fossoyeur fit le reste...
La foule des femmes payaient en larmes silencieuses un dernier tribut à une de leurs soeurs qui les précédait de quelques jours dans la tombe.
Des cris aigus, perçants, tranchaient sur ce deuil universel et silencieux. Cinq ou six enfants disaient à leur mère un dernier adieu.
Il n'y a rien de déchirant au monde comme ces cris de l'enfance saluant une dernière fois cet être chéri, ce tout, qu'on appelle une mère
On en vit une — c'était l'aînée — se précipiter sur la fosse. Elle demandait en grâce au fossoyeur de lui rendre sa mère, ou de l'ensevelir avec elle. Le fossoyeur, inexorable comme la mort, ramenait plus vite la terre grasse et humide sur la bière. Mais son âme s'était émue à ces cris de désespoir. Des larmes sillonnèrent ses joues, les premières qu'il eût versées depuis la mort de son premierné.
Après la triste cérémonie, la foule s'écoula lentement. On vit encore quelques femmes se disperser dans tous les coins du cimetière, et s'agenouiller sur un tertre, sur une pierre, au pied d'une croix. C'était là que reposaient un époux, une mère, un enfant chéri
La douleur a cela de propre qu'elle est épidémique; l'affliction du prochain réveille la nôtre... Il n'en est pas de même de la joie.
UN INTERIEUR. 5
Le vent secouait les peupliers qui garnissent le pourtour du cimetière... La cloche, au son mélancolique , unissait son hymne plaintif à celui de la nature.
Tous les coeurs étaient serrés d'une inexprimable tristesse
La jeune fille ne voulait plus quitter la fosse où elle avait vu descendre sa mère... Trois ou quatre enfants de cinq à douze ans pleuraient avec elle, agenouillés près d'elle
Ces pauvres enfants laissaient là leur bonheur, leur soutien, leur unique ressource.
A quelque distance, un homme, à genoux, les bras croisés, tenait ses yeux constamment fixés sur le travail du fossoyeur... Une profonde douleur se peignait dans ses traits, mais une douleur muette, sombre, la douleur qui immobilise, qui tue...
Cet homme laissait là sa femme...
La nuit était presque close. Une faible nuance blanchâtre distinguait encore l'occident des autres points du ciel plus nuageux et plus sombres.
Quelques femmes s'approchèrent de la jeune fille, et cherchèrent à l'entraîner. Elle résistait. Les petits enfants se tenaient les mains jointes, et poussaient toujours des cris aigus. Ils demandaient leur mère.
Le fossoyeur avait achevé sa tâche. De sa pioche , il racla la terre argileuse collée à sa bêche,
6 UN INTERIEUR.
s'agenouilla près de la tombe, et récita un De Profundis.
La faible lueur partie du couchant éclairait seule cette scène déchirante. A la fin, le fossoyeur se leva. Mais il n'osait interrompre la prière, la tristesse de cet homme et de ses enfants.
Cependant le père se leva aussi, et étendant la main sur ce tertre de terre grasse, il prononça d'une voix creuse, lugubre, vibrante, ces simples mots :
« Au revoir ! à bientôt ! »
Il eût été difficile de deviner si c'était là le cri de l'espérance ou l'interjection du désespoir. Ensuite cet homme fit un signe impérieux à ses enfants , et tous obéirent, hormis l'aînée qu'une indicible douleur attachait toujours à ce tertre maudit.
« Adèle ! »
A ce mot prononcé d'une voix rude, la jeune fille se leva, mais lentement, mais en se laissant aller, comme une personne dont la douleur a détendu tous les ressorts. Luce, la plus petite, dit en se retournant :
« Papa, quand maman reviendra-t-elle? »
Quelques minutes après, ce groupe rentrait dans une chaumière. C'est l'intérieur de cette chaumière que nous voudrions dépeindre.
Elle était placée à deux cents pas du village, et à une très-petite distance d'une forêt. Son apparence et son entourage étaient ceux d'une maison de
UN INTERIEUR. 7
cultivateur. Bâtie en pierre, recouverte en chaume , accostée d'une grange et d'une écurie, elle n'annonçait ni la grande aisance, ni l'extrême misère. Un chariot, une charrue, une herse, quelques autres instruments de labourage étaient épars sur le sol ou dressés contre les murs. Une petite source, montant par un poteau chancelant et pourri, courait le long d'un goulot en bois dans une auge en pierre. Dans un coin adossé à un mur de trois pieds s'élevait un fumier étagé, tassé avec cet art qui est pour le laboureur une sorte de coquetterie. Les larges entailles de la bêche y étaient encore visibles.
Entrons.
Une pièce assez vaste formait la cuisine. La variété des objets que l'oeil y découvrait laissait deviner que c'était là la pièce principale, la pièce à toutes fins. Elle était pavée en terre grasse, raboteuse, inégale. Une espèce de dressoir, placé à droite de l'entrée, étalait quelques rares plats d'étain, des vases en terre cuite, des assiettes en faïence noire au dehors, blanche en dedans. Plusieurs mains de chanvre tillé en ornaient les rayons. Vis-à-vis, une huche à pétrir, en solide bois de chêne, bardée de deux cercles de fer. Tout autour des chaises en bois ou des trépieds sans dos; ici, un van; là, des pioches, des hoyaux; ailleurs des sacs pleins ou vides, etc. A côté de la porte et sous la fenêtre, un évier surmonté d'un
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seau, couvert d'une palette en bois, et d'une cruche énorme dont le goulot invitait à boire. Et çà et là, sur le sol, des sabots encroûtés de terre, argileuse, des chapeaux de boeufs, des courroies, un bout de chaîne, des assiettes brisées, où les chats venaient lécher et les poules becqueter : tout le désordre enfin d'un ménage négligé depuis longtemps.
C'est que depuis longtemps, hélas! la tristesse régnait au sein de cette pauvre chaumière. Depuis longtemps se préparait le coup fatal qui venait de frapper cette famille désolée.
Toutes les grandes misères ne sont pas dans les rues étroites et obscures des cités, ni dans les taudis où se loge l'ouvrier sans travail. Il y en a de dures, d'amères au foyer du laboureur, dans cette condition calme et paisible que ses goûts réglés et ses vertus sembleraient devoir en préserver
Là, trop souvent la crapule et la débauche ont amené les privations. Ici, l'ordre, l'économie, la sobriété ne les ont point toujours prévenues... Et c'est parfois une pensée bien cruelle que celle-là : Je suis malheureux sans l'avoir mérité
Et la souffrance de l'ouvrier corrompu, du sale voyou des cités a des romanciers pour la peindre, des cours d'assises pour la mettre au jour, des bureaux peut-être pour l'enregistrer... Celle du pauvre laboureur expire sans écho. Il est trop hon-
UN INTÉRIEUR. 9
nête pour qu'on le croie malheureux : la vertu doit se suffire, le vice seul intéresse...
Et quand les économistes écrivent, quand les théoriciens dressent leurs statistiques, quand les entrailles législatives s'émeuvent, de quoi s'agitil? De la reconstruction des prisons, de l'ouvrier sans travail, des manufactures, du système, cellulaire, de la réforme pénitentiaire, c'est-à-dire du faussaire, de l'homicide, du brigand, du libertin (1).
Mais de ces millions de laboureurs courbés sur la terre ; mais de ces misères poignantes, de ces détresses profondes qui se cachent sous le chaume, en est-il question?
Pas le moins du monde.
Pour intéresser, il faudrait que le cultivateur quittât sa charrue, et allât se faire ramasser dans quelque maison de débauche, dans quelque bouge infect, ou arrêter dans une émeute, et claquemurer en prison. Il serait alors quelque chose aux yeux de la loi ; on songerait à améliorer son existence; il deviendrait l'enfant gâté de la législation.
Vraiment, il y a d'étranges choses au monde !
Au fond de cette cuisine, vis-à-vis de la fenêtre,
(1) Un statisticien a démontré qu'il y a en France deux millions d'individus qui voudraient être aux galères, sauf la flétrissure.
1.
40 UN INTERIEUR.
était le foyer. Deux morceaux de bois vert y fumaient sans se consumer. Une lueur très-faible en rejaillissait sur les restes de la pièce. Le vent qui avait brisé deux carreaux de papier soufflait par la fenêtre jusque dans l'âtre, et y soulevait les cendres... Le mauvais temps et l'approche de la nuit achevaient de répandre la tristesse dans cette pauvre chaumière.
Deux femmes y étaient restées pendant que la triste cérémonie s'accomplissait. L'une âgée, l'autre jeune, placées aux deux bouts de la vie, mais accouplées au même lot de misères. Ces deux pauvres créatures gardaient le silence, et écoutaient, dans un navrement difficile à décrire, le son lugubre de la cloche, dont chaque coup frappait sur leur coeur d'une force indicible. Leurs larmes coulaient sans bruit... Parfois un soupir plus profond, un sanglot comprimé interrompait le silence : la jeune fille surtout avait peine à modérer les transports de sa douleur. Mais, par une attention délicate, elle craignait de réveiller, d'augmenter la tristesse de sa compagne, dont la douleur semblait parfois sommeiller.
L'une était la mère, l'autre la seconde fille de la morte.
A la fin, la jeune fille se leva pour raviver le feu presque éteint; elle y jeta quelques tiges sèches de pommes de terre. Puis versant dans une lampe les dernières gouttes d'huile que recélait
UN INTÉRIEUR. 11
une burette de fer-blanc, elle attendit pour l'allumer que la cloche eût cessé de se faire entendre. Le vent soufflait affreusement en battant contre la vitre.
— Rose! ils ne reviennent pas ! dit la vieille d'une voix mouillée de larmes.
— Ils reviendront, maman, répondit la jeune fille, en tâchant de raffermir sa voix.
— Enfant, si tu préparais leur souper...
— C'est juste, j'oubliais Mon Dieu !... nos
petits auront faim....
Et la jeune fille souffla le feu, et suspendit à la
crémaillère le souper de la famille
C'était un pot de pommes de terre.
— Mon Dieu! Mon Dieu! quand vous
voudrez... Que fais-je sur cette terre? Il y a assez de temps que je leur suis à charge... Retirez-moi de ce monde... mon Dieu !... par pitié... que j'aille bientôt dormir auprès de ma fille...
Ces paroles étaient prononcées à demi-voix par la pauvre vieille... Puis, joignant ses mains, l'infortunée cherchait le ciel du regard... Il y avait dans son attitude un air de résignation poignante...
Le père et les enfants rentraient. Il y eut ici une scène déchirante... En franchissant le seuil, le père, l'aïeule, les enfants, se trouvèrent dans les bras les uns des autres... Une grande douleur brisait leurs coeurs... Leurs voix étouffées ne pouvaient se
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faire jour... Je ne sais s'il est possible de se figurer quelque chose de plus triste que cette premier entrevue...
Le nom, l'image de cette pauvre mère se réveillait si sensibles, si visibles... On ne voyait qu'elle, on ne nommait qu'elle... Elle avait quitté pour toujours sa demeure, cette vie, sa mère, son mari, ses enfants... Mais quel vide!...
Un instant après la lampe s'allumait. Assis autour d'un feu puant, fumeux, tous les membres de cette famille affligée se tenaient en silence... Les deux plus petits seulement, Luce et Joseph , avaient repris la gaîté , la vivacité de leur âge... la petite disait tout bas à sa grand'mère :
— Maman Marguerite est cachée dans un trou... mais elle reviendra nous donner à manger, nous coucher et nous lever...
Le petit Joseph répétait le chant des morts... Toutes les larmes recommencèrent à couler.
Les pauvres innocents ne comprenaient pas la perte qu'ils venaient de faire... Heureux ceux qui perdent une bonne mère dès le berceau ! Ils ne connaîtront jamais la plus cruelle des douleurs, la plus irréparable des pertes !
Adèle, debout, la tète appuyée sur le dressoir, avait redonné libre cours à ses larmes. Il y avait. quelque chose de navrant dans les cris, dans les lamentations de cette vigoureuse jeune fille...
— Ma mère! ma mère! répétait-elle avec un
UN INTÉRIEUR. 13
accent déchirant... C'est moi qui vous ai fait mourir ! Ma pauvre mère ! Est-ce donc pour toujours? Ah ! pardon, maman , si je vous ai fait de la peine... Je voudrais mourir pour vous rendre à la vie !
Ces mots retentissaient durement sur le coeur de tous.
Othilie, la troisième, pleurait aussi abondamment.
— Ce n'est pas toi, Adèle, s'écriait-elle à son tour, c'est moi qui ai fait mourir maman... Mon Dieu! ayez pitié de moi... Maman, pardonnezmoi !... Je ne voulais plus faire comme cela !...
Les pauvres filles se reprochaient amèrement d'avoir contristé le front de leur excellente mère... On ne sent les bontés d'un être chéri, et les torts qu'on a eus à son égard, que quand il n'est plus...
Les deux petits enfants, en voyant les larmes de leurs soeurs, crurent que l'enterrement recommençait. Ils se remirent à pleurer...
La vieille femme, les mains serrées convulsivement, les lèvres tremblantes, les yeux élevés au ciel, priait pour sa fille, pour celle qui était plus de la moitié de son existence. Ses larmes emplissaient les rides profondes, dont l'âge et le chagrin avaient labouré ses joues.
Anselme Ballet — c'était le nom du père — tenait toujours ses yeux fixés sur l'âtre fumeux
Sa douleur était profonde, inextinguible. Les cris
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de ses enfants lui déchiraient l'âme ; mais il n'avait plus de larmes à mêler aux leurs.
— A bientôt ! à bientôt! murmurait-il dans son monologue intérieur.
Personne que lui n'eût compris le sens de ses paroles.
Mais la physionomie la plus difficile à peindre était celle de Rose. Maigre, souffrante, chétive, menacée elle-même d'une mort prochaine, rien ne pourrait dire tout ce qu'il y avait sur cette figure virginale de douleur résignée, de tristesse profonde, tempérée de courage héroïque. Rose avait quinze ans. On la nommait l'ange de la maison. Son tact supérieur, sa douceur exquise, surtout son angélique piété lui avaient mérité ce doux nom. Sa belle âme s'était ouverte dès l'âge le plus tendre aux attraits de la grâce, comme une fleur des champs s'épanouit aux premiers rayons du soleil. C'était une de ces piétés naïves, candides, fermes, telles qu'on n'en trouve plus que dans les campagnes et dans les conditions obscures, quand il plaît à Dieu d'aller se choisir une épouse parmi ces jeunes filles inconnues, oubliées, suivant l'habitude qu'a ce grand maître de n'être jamais du goût du monde.
Il y a toute l'épaisseur d'un monde entre cette piété modeste, née sans effort, grandissant sans se connaître, se donnant sans calcul, et cette dévotion apprêtée, musquée, des dévotes de ville, soigneuses
UN INTÉRIEUR. 15
d'elles-mêmes, avides de nouveautés, étroites de vues, et faisant de la vertu une sorte de coquetterie et une variété de la mode.
Il y a entre elles la différence qui sépare la fleur étiolée de serre chaude de celle qui croît au soleil et à plein vent.
Elle ne pleurait plus, cette jeune fille. Un abandon sublime se lisait dans ses traits. Une seule pensée l'occupait alors ; consoler son père, son aïeule, ses frères, ses soeurs... Pour elle, elle savait bien qu'elle ne tarderait pas à rejoindre sa bonne mère dans la tombe...
Un moment avant de mourir, la pauvre mère l'avait mandée à son chevet.
— Je m'en vais, mon ange; que la volonté de Dieu soit faite! Mais il m'en coûte de vous laisser... pauvres petits !
— Oui, ma mère, vous les laissez eux : mais moi... moi je vous suivrai bientôt.
La mourante jeta ses yeux flétris sur sa fille, et y sentit naître deux larmes.
— Je te les recommande, enfant; tous ton
père surtout : soutiens sa faiblesse... Il est bon, mais faible, mais découragé... Le malheur a aigri son caractère... Tu sais tout...
— Oui, ma mère, répondit la jeune fille enlevant ses yeux sur un crucifix attaché aux rideaux.
Il y avait dans ce oui une acceptation si large, une résignation si pleine, et dans cette figure fanée
16 UN INTÉRIEUR.
avant l'âge, mais belle encore et expressive, quelque chose de si calme et de si angélique, que la
pauvre mourante pria sa fille de s'éloigner Elle
sentait son coeur se briser, elle avait besoin de verser des larmes
Rose venait donc de descendre le pot de pommes de terre ; elle avait accommodé une salade, et mis le couvert ; c'était une table sans nappe, chargée d'assiettes ; au milieu s'étalait le panier de pommes de terre farineuses, blanches, épanouies; à côté le saladier ; au bout de la table, deux miches de pain, larges comme une meule de moulin, épaisses de deux doigts ; à l'autre extrémité, la cruche remplie d'eau fraîche.
Rose saisit la main de son père, et l'entraîna auprès. Anselme obéit machinalement, tous les enfants imitèrent son exemple ; l'ascendant de cette jeune fille avait toujours été grand ; la mort de sa mère le rendait irrésistible...
L'aïeule seule avait voulu rester près du foyer; si son gendre , si ses petits-enfants perdaient beaucoup , elle, elle avait tout perdu. Ce lui était un besoin de converser avec sa douleur. Toutes les plaies de son âme s'étaient rouvertes, ou plutôt tous ses souvenirs d'infortune venaient se perdre dans cette blessure large, profonde, immense... Sa fille n'était plus !
Le repas fut silencieux. Anselme s'appuya sur la table et ne mangea rien. Ses yeux cherchaient
UN INTÉRIEUR. 17
sans cesse le lit où la malade avait langui si longtemps , et le milieu de la chambre où, il y a une heure encore, la pauvre femme était clouée dans son cercueil et couverte d'un suaire.
Quel vide énorme faisait cette absence !...
Ce fut en vain que Rose chercha à tirer le malheureux de sa sombre tristesse. Anselme n'avait plus d'oreilles... Il rêvait à ses maux...à des choses
plus sinistres encore La voix, l'insupportable
voix lui répétait toujours :
— A bientôt ! à bientôt !
Anselme la repoussait, comme une affreuse pensée... mais toujours l'inexorable voix bourdonnait :
— A bientôt ! à bientôt !
Cependant, les petits enfants avaient mangé de bon appétit... A cinq ans, à six ans, la douleur est si peu profonde!... Il fallait se coucher... Mais Luce ne souffrit point qu'on la déshabillât, elle voulut attendre le retour de sa mère !
D'autre part, Joseph s'étant mis à genoux, joignit ses deux petites mains, et récita son Pater d'usage, pour que le Bon Dieu guérît maman Marguerite...
Adèle et Rose se regardèrent, et leurs yeux se remplirent de larmes. Anselme lui-même fut ému,
Il tressaillit de dessus son banc Il crut revoir
passer l'image de sa femme.
En ce moment l'horloge sonna huit heures. An-
18 UN INTÉRIEUR.
selme se retournant brusquement demanda d'un ton creux :
— A quelle heure devaient-ils revenir ?
— A huit heures, répondit Rose, mais il y a si loin, et puis le temps est si mauvais, mon père...
— Il est vrai, reprit Anselme, en baissant la tête. Il y eut un moment de silence pendant lequel
on entendit le vent souffler avec furie, et la pluie battre la fenêtre. Les petits enfants tremblaient à écouter ces voix hurlantes, plaintives. Luce et Joseph disaient ensemble :
— J'ai peur ! j'ai peur ! Maman Marguerite, venez nous cacher!...
Un cri subit partit à ce moment de la cuisine. On s'y précipita. La vieille aïeule était à genoux, les mains jointes et crispées, tout le corps pris d'un tremblement affreux, la bouche entr'ouverte, l'oeil égaré... Rien ne peut peindre l'horrible angoisse qui respirait dans ses traits
— Là ! là ! disait-elle en grinçant les dents de terreur, et en désignant du regard un coin obscur de la cuisine ; là ! là ! te dis-je, répétait-elle avec une énergie croissante.
En effet, une ombre, un vieillard venait de passer devant la fenêtre, et elle avait cru reconnaître aux sons de sa voix creuse un homme qui était la cause de ses douleurs.
Puis élevant ses bras, se courbant à demi, elle semblait demander grâce à la vision funeste.
UN INTÉRIEUR. 19
— Ah! par pitié!... par pitié... Monstre que vous êtes.... Épargnez-le.... épargnez-le... Marguerite... Albert... cher ami...
Elle avait arraché son bonnet dans un mouvement convulsif... Ses cheveux gris s'éparpillèrent alors sur son front ; elle serra quelque chose dans ses bras avec une inexprimable anxiété, puis elle tomba à demi morte...
La terreur que cette scène inouïe avait produite était telle qu'on semblait comme pétrifié... Cette bonne grand'mère, si douce, si,calme, qui donc l'a pu jeter dans de tels transports ?...
— Tous les maux à la fois, murmura Anselme, en relevant sa belle-mère qu'il déposait sur son lit... Folle! il ne faudrait plus que cela... Oui, la voix a raison :
— A bientôt ! à bientôt !
II.
LE LENDEMAIN.
Il y a des gens par le monde qui croient que le laboureur ne sent rien.
Consultez un dandy, un habitué du cercle ou de l'Opéra, voire même un épicier honnête , un maître ouvrier ; consultez surtout, une lionne, une de ces tendres créatures qui digèrent les monstruosités du roman moderne, et vont chercher des émo-
UN INTÉRIEUR. 21
tions en Cour d'assises ; ou simplement une bonne, une boutiquière , tous ces récipients où descendent les égouts des cabinets littéraires, toutes ces sottes et vaniteuses machines à lire qui consomment jusqu'aux pelures... Oui, consultez toutes ces petites gens-là, et vous verrez que pour elles la classe du laboureur est une famille à part, une espèce de bipède qui occupe sa place dans l'histoire naturelle très-peu au-dessus des animaux.... Si on ne vous le dit pas, on vous le laissera entendre.
— Fi! le paysan! Fi! la paysanne! C'est le dernier anathème.
— Duquel des deux parlez-vous? me disait un jour un commis-voyageur, que j'entretenais depuis un quart d'heure des bonnes qualités d'un paysan qui venait de passer avec son cheval.
La chose la plus niaise que j'aie entendue de ma vie, si le commis-voyageur ne s'était mis à rire ensuite.
Anselme ne dormit pas dans cette nuit funèbre. Adèle pleura jusqu'au jour. Rose pria. Les petits enfants s'endormirent, et rien ne laissa croire que leur sommeil eût été troublé par des rêves fâcheux.
Mais que ce fut triste encore, quand on se leva, quand on se revit!...
Luce, en ouvrant les yeux, appela sa mère
Joseph en fit autant.
— Papa, elle avait dit qu'elle reviendrait
22 UN INTÉRIEUR.
Est-ce qu'on fera encore l'enterrement aujourd'hui?...
L'aïeule affaissée par les commotions de la veille avait goûté un demi-sommeil, troublé par des songes affreux. Quand Rose alla l'embrasser dans son lit, la bonne maman fit comme les petits enfants, elle demanda Marguerite...
Ce jour-là cependant se leva comme les autres, devait se passer comme les autres. Cette marche inexorable du temps, que les cris de la joie ne retardent pas, que les cris du désespoir n'avancent pas, cette chose si mobile et si immuable, c'est étrange !
L'horloge sonnait huit heures du matin, comme elle avait sonné huit heures du soir, avec le même calme, le même timbre...
Le vent avait cessé. La terre luisait comme quand elle a été battue par une longue pluie. Les feuilles sèches la jonchaient. On voyait les moineaux voler en troupes sur les buissons ; quelques chardonnerets s'attachaient aux tiges de chanvre ou aux grappes de plantain; les corbeaux coassaient et voltigeaient par centaines; tout enfin semblait un peu respirer, après ces longs jours de deuil.
Les nuages découpés, immobiles, blanchissaient sous les rayons du soleil. Le soleil, il allait luire, jeter un regard sur cette nature pâle, nue, découragée
Anselme s'approcha de la fenêtre, et y regarda.
UN INTÉRIEUR. 23
La première chose qu'il vit, ce fut le cimetière. On le découvrait de sa chaumière ; mais vraiment, il , n'y avait jamais songé, ou s'il y avait songé c'était sans y attacher d'importance.
Dieu ! que cet aspect avait changé ! Quelle teinte noire prenait ce coin de l'horizon ! quel fatal point d'arrêt ! On ne voit plus maintenant que le maudit enclos Qu'Anselme regarde comme il voudra, en face, de côté, le cimetière est toujours là, prolongeant son mur recrépi, et sa ligne de peupliers Et dans toute son enceinte, le malheureux ne voit qu'un point, un tertre fraîchement remué... Use détourna pour ne plus rien voir. Et que faire? comment occuper cette journée? Il n'en sait rien ; un homme dans sa position n'a plus rien à faire. Comme on a les bras branlants le lendemain d'un enterrement !
Il oubliait tout... jusqu'à ses boeufs, jusqu'à son écurie... Mais Rose y avait pourvu. Le ratelier était garni. L'attentive jeune fille commençait à remplir le legs de sa mère. Je te les recommande tous.
Tous! Personne, rien n'était excepté. Car, si le laboureur n'est pas une bête, quoi qu'en puisse penser un commis voyageur, il aime néanmoins beaucoup les bêtes, celles du moins qui partagent ses labeurs, ses boeufs, son cheval, sa vache...
Il n'y a pas de honte à le dire, c'est comme
24 UN INTÉRIEUR.
cela; le laboureur aime tout ce qui vit avec lui, autour de lui. C'est le père le plus tendre, le mari le plus fidèle, l'ami le plus solide, le maître le plus doux.
Ce n'est guère que chez lui qu'on trouvera encore de vieux domestiques, plus anciens que les maîtres, de vieilles servantes maîtresses, des serviteurs fidèles qui comptent quarante ou cinquante ans de service... Ces phénomènes ne se rencontrent plus chez les bourgeois, qui changent d'esclaves trois ou quatre fois l'an.
Je connais un huissier dont la fille a eu huit bonnes avant d'avoir atteint l'usage de la raison.
Et l'affection calme et solide de l'homme des champs rayonne autour de lui ; il s'attache, oui, je le répète, il s'attache à ces pauvres bêtes que la Providence lui a données, moins pour instruments, je crois, que pour compagnons et pour amis. Il connaît ses boeufs, ses chevaux, ses moutons , ses vaches par leurs noms ; il les connaît et il en est connu ; et il s'établit entre eux une sorte d'amitié.
Qu'on ne s'étonne donc pas si nous disons, que la pauvre mère, avant de s'endormir, avait recommandé à sa fille ses vaches, et en particulier Roussette.
Nous trouvons cela aussi raisonnable, au moins, que les testaments faits en faveur d'une chatte ou d'un carlin.
UN INTÉRIEUR. 25
Roussette était une jeune vache, belle, grasse, proprette, qui n'avait encore porté qu'un veau; poil roux, tache blanche sur le front, cornes élégantes et polies, peau luisante, physionomie intelligente, rien ne manquait à Roussette pour en faire une vache charmante. Ajoutez à cela qu'elle promettait d'être une excellente laitière.
Rose avait toujours aimé Roussette ; la recommandation de sa mère la lui rendait doublement chère. Elle la baisa plusieurs fois avec tendresse. Un saisissement extraordinaire s'empara de la jeune fille, lorsqu'elle entra dans l'étable, pour la première fois depuis la mort de sa mère. Tout lui rappelait l'image de cette mère chérie; tout lui rejetait son nom. C'était là qu'elle s'asseyait pour traire elle-même les vaches : combien de fois elle a rempli ce ratelier ! écuré cette crèche ! vidé ces corbeilles!....
Etrange effet de la préoccupation ! Il sembla à Rose que Roussette la regardait d'une façon extraordinaire. La jeune vache se mit à mugir; puis elle avança la tête, et tira sa langue pour lécher les mains de l'enfant. Elle aussi, paraissait triste.
— Et tu ne la reverras plus, pauvre Roussette, dit Rose en s'adressant à la vache; toi, tu n'y perdras rien ; mais nous !....
Les yeux de la jeune fille s'humectèrent. La vache répondit par des mugissements profonds et répétés. Rose s'éloigna... Mais elle avait du couT.
couT. 2
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rage, ce bon courage qui se puise dans la résignation et dans l'espoir prochain d'une vie meilleure. Et puis, par un rare privilége, elle n'avait jamais contristé sa mère. Oh ! combien de jeunes filles pourraient en dire autant ?
Elle rentra. Son père était triste, sa soeur surtout n'avait rien rabattu encore de la vivacité de sa douleur. Rose n'essaya point de la consoler ; elle savait que ces chagrins sont de ceux que le temps seul peut adoucir.
Rien de plus opposé que les caractères de ces deux jeunes filles, nées sous le même toit, élevées par les mêmes mains. Adèle, robuste et vigoureuse paysanne, pleine de vie et de santé, vive, alerte, ouvrière infatigable, mais bourrue, impatiente, impérieuse, quoique bonne au fond, offrait dans sa personne un type assez commun dans nos campagnes. Elle avait dans tout Monval la réputation de la meilleure ouvrière. Son teint hâlé par le soleil ajoutait encore à la vigueur de ses traits. C'était l'image de son père, qui l'avait toujours aimée entre tous ses enfants, peut-être parce qu'il revivait en elle, peut-être à cause des services qu'elle lui rendait. Adèle, était l'âme, de la maison; c'était elle qui parlait, commandait, et surtout agissait.
On n'eût osé contrarier ses vues ; ce qu'on n'accordait pas à sa prudence, on le cédait à la crainte de lui déplaire. Anselme avait de coutume de dire
UN INTERIEUR. 27
en riant : Ce dragon-là fait le tonnerre dans ma maison !
A côté de cette physionomie mâle et décidée, placez une figure pâle et souffreteuse, empreinte d'une douce et sereine mélancolie. C'est Rose. On ne savait si c'était admiration ou compassion, le sentiment qu'on éprouvait, à l'aspect de cette face si morte et si vivante, où, au calme profond de la paix de l'âme, s'alliait l'expression d'une souffrance habituelle. Ces yeux doux et sans vivacité , cette pâleur, ces narines effilées, ces lèvres amincies, ce cercle jaune qui entourait les paupières, tout jusqu'à cette langueur de gestes, jusqu'à cette voix unie et sans ressort, tout, disje, faisait bien et mal à voir, inspirait je ne sais quel respect mêlé de pitié, dont personne ne savait se défendre. Et dans ce corps frêle et maladif, habitait une de ces âmes privilégiées, à qui la vertu semble naturelle, tant elle fait peu d'efforts et peu de bruit ! La première aspiration de ce jeune coeur avait été pour le ciel. Cette petite fille n'avait jamais été enfant. Dès l'âge le plus tendre , on remarquait en elle un calme, une gravité, je ne sais quelle retenue, quelle décence qui prévenait tout d'abord en sa faveur. On la citait pour modèle aux enfants de son âge. Et puis sa candeur relevait infiniment le prix de ses bonnes qualités, et une pudeur native l'obligeait à cacher ses vertus. On était forcé de l'aimer autant que
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de l'estimer. Son père et sa mère affirmaient ne lui avoir jamais vu commettre la faute la plus légère de propos délibéré.
— Voilà, disait le vieil abbé Prétot, voilà la pâte dont Dieu fait les saintes !
Mais de tels fruits sont bientôt mûrs pour le ciel. Dieu enlève vite ces pauvres fleurs, de peur que le souffle du monde ne les ternisse.
Comme Adèle était le portrait de son père, Rose était l'image de sa mère. La ressemblance était parfaite au physique comme au moral. Car, malgré sa faiblesse constitutive, Rose était toujours prête à agir ; elle avait l'amour du travail ; mais on sentait que c'était en elle plutôt l'effet de la vertu, que l'impulsion de la nature; elle faisait par devoir ce que sa soeur aînée faisait par goût, par besoin de répandre au dehors une vie exubérante.
Et comme Adèle avait la prédilection du père, Rose avait aussi l'affection de sa mère. Anselme n'appréciait pas sa fille puinée : dans sa pénible condition, il n'avait que faire de cette petite fille malade, vertueuse, pieuse, il le savait, mais peu propre aux durs travaux des champs.
— Si les Pater pouvaient aider! disait-il quelquefois avec un sourire amer.
Car, en comparaison de sa soeur, Rose ne faisait rien, vraiment rien; souvent le père était prêt à lui donner un coup de pied, pour l'aider,
UN INTÉRIEUR. 29
disait-il, à marcher; puis en voyant cette pauvre petite créature si faible, si pâle, suant à grosses gouttes et faisant des efforts si violents, il se sentait pris de compassion et se retenait. Mais tandis qu'Adèle, après sa journée faite, mangeait avec un appétit dévorant, Rose avait mal à la tête ou au coeur ; et pendant que la robuste ouvrière riait ou dormait, Rose trouvait un petit moment pour venir prier à l'église de Monval, et demander au bon Dieu de la rendre aussi forte que sa soeur, afin de pouvoir aussi aider sa famille.
Et malgré cet état d'infériorité, cette jeune fille avait pris sur tous un ascendant singulier. Tous se gênaient d'elle, c'est-à-dire rougissaient de faire le mal devant elle.
Il y a dans la vertu une force irrésistible... Souvent le père, à l'aspect de cette mélancolique enfant, sentait expirer sur ses lèvres un juron, un de ces mots durs que l'infortune arrache aux caractères aigris. Elle me gronderait, disait-il naïvement.
Adèle, par la même raison, se cachait de sa soeur, pour tout ce qu'elle sentait n'être pas conforme à la règle. Autant par goût peut-être que par l'entraînement de la mode, elle aimait la parure. Dans la position gênée de son père, il était difficile qu'elle se satisfit; mais l'exemple était si fort, mais la mode a tant d'empire sur une jeune fille, même au village, qu'il fallait bien céder.
30 UN INTÉRIEUR.
Le père laissait faire : il n'avait d'yeux que pour son Adèle... La mère grondait, mais faiblement: quelle mère ne se mire dans les parures de sa fille ? Rose seule savait faire entendre raison. Et il y avait dans ses avis tant de bon sens et de douceur, qu'Adèle ne pouvait pas toujours se fâcher. Elle affectait bien de ne tenir aucun compte de ces remontrances ; mais elle n'en subissait pas moins l'influence. Plus d'une fois, quand ses amies du village s'étonnaient de ne pas lui voir ou sa robe neuve, ou son beau bonnet, elle répondait :
— Ah ! oui ! notre Rose ferait un beau train !
Et il était heureux que ce sage mentor fût là. Entraînée par le goût de la dépense, étourdie plus que judicieuse, Adèle eût été loin au delà des bornes...
Et déjà plus d'une fois il avait fallu voler.
Oui, voler!
C'est là une des plaies du pauvre cultivateur, et nous devons la signaler en passant. Longtemps la simplicité régna au village, et la paix et l'aisance habitaient au sein des ménages. Aujourd'hui le luxe a envahi jusqu'au dernier hameau. On ne reconnaît plus la jeune fille de la semaine sous les broderies et les rubans du dimanche. Il y a quelque chose de triste à songer que les sueurs de tant de pauvres gens vont aboutir à quelques aunes de dentelles et à quelques noeuds de rubans. C'est
UN INTÉRIEUR. 31
comme cela pourtant. Nous connaissons des familles, des villages entiers dont la détresse n'a pas eu d'autres causes...
Anselme Ballet fût tombé depuis longtemps dans le précipice, si son ange n'eût été là
Oh! combien de parents s'aveuglent sur ce point!
Il avait fallu voler ! voler comme on vole dans la famille. Une mesure de blé ici, quelques douzaines d'oeufs là, du chanvre, des volailles, des retenues sur le prix d'une pièce de bétail... Tout est bon, tout sert, quand on a un goût impérieux, et qu'il faut le satisfaire.
Anselme était facile à tromper, et donnait sans peine dans le panneau. Nous avons connu un honnête paysan, à qui sa femme jouait en ce genre les tours les plus drôles. L'éclat des vêtements de ses filles ne pouvait pas ne pas frapper le brave homme : ces étoffes soyeuses, moelleuses lui semblaient devoir coûter bon.
— Cela, mon cher? répondait la femme avec
un fin sourire de pitié On voit bien que
tu n'y connais rien Sens comme c'est doux
et chaud Eh bien! devine : combien le mouchoir?
— Douze francs , disait le bon homme, qui craignait encore de trop dire et de se faire moquer de lui.
— Cinq!
32 UN INTÉRIEUR.
Le mouchoir coûtait trente francs. Et pour suffire à ces dépenses exagérées on levait la dîme au grenier, au cellier, au marché, à l'écurie... C'est entendu.
Il y a des femmes bien fines et des hommes bien bons!
Mais heureusement pour Anselme Ballet, Rose, amie de la pauvreté et de la simplicité de Jésus-Christ, suivait de l'oeil sa soeur aînée. La modeste enfant, avec ce ton persuasif, avec ces ruses qu'inspire la charité, savait modérer le ruineux penchant de l'étourdie. Si elle n'empêchait pas tout, elle empêchait beaucoup.
On comprend du reste qu'Adèle ne croyait pas voler. Les services immenses qu'elle rendait à la maison lui paraissaient mériter une compensation. Faisant beaucoup, elle croyait avoir droit à beaucoup. C'est là un des prétextes dont on colore ces sortes d'injustices.
Et le mal était d'autant plus grand, que l'exemple gagnait les petites soeurs : Othilie annonçait déjà un goût marqué pour la parure. Qui sait où se serait arrêté le fléau pour le pauvre Ballet?
La mère, nous l'avons dit, ne se faisait point illusion sur ce point. Mais soit par faiblesse pour sa fille, soit crainte de déplaire à son mari, elle n'eut jamais le courage de couper le mal par sa racine. Quand elle avait l'air de se plaindre, Anselme lui disait :
UN INTÉRIEUR. 33
— Laisse-la faire il faut bien qu'elle se
marie.
Mais quand cette pauvre mère eut les yeux fermés, oh! il se fit une étrange révolution dans l'âme de la jeune fille. L'aspect de cette bière, de ce cadavre, de ce suaire fit sur elle une impression étonnante. La vanité des choses de la terre lui apparut d'une manière frappante. Et puis les reproches qui lui avaient été tant de fois adressés, lui revinrent si vifs, si poignants, qu'elle faillit en perdre la tête. Et c'étaient les remords qui se faisaient jour par ces exclamations amères :
— Ah ! ma mère, ma bonne mère, c'est donc moi qui vous ai fait mourir
Ces cris étaient sincères. De plus, Adèle, depuis que le goût de la vanité s'était emparé d'elle, s'était peu à peu éloignée de son Dieu. Élevée par une mère pieuse, tant qu'elle avait gardé sa simplicité, les pratiques de la religion avaient eu pour elle de l'attrait. Mais on ne peut servir deux maîtres, suivant l'axiome éternellement vrai de l'éternelle vérité. Insensiblement le goût du monde avait chassé le goût de Dieu. On s'était éloignée des sacrements ; on avait perdu peu à peu l'usage de ces petites dévotions, qui ne sont pas la piété, si l'on veut, mais qui sont à la piété ce que les remparts sont à une ville, ce que les cils sont à l'oeil. On fréquentait encore l'église, mais le dimanche seulement, et certes, c'était beaucoup plus pour se
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34 UN INTÉRIEUR.
faire voir que par des motifs de dévotion. En deux mots, la tiédeur avait succédé à la ferveur; les embarras, les inquiétudes, à la paix intime.
Ah ! quels ravages affreux la vanité peut faire dans l'âme d'une jeune fille !
Nous n'osons pousser plus loin le tableau de ceux qu'elle avait déjà produits dans l'âme d'Adèle Ballet. La vanité n'est qu'un passage, un passage glissant à des fautes plus graves. Elle est la première, et souvent l'unique source de l'immoralité. Un vieux capucin disait : c'est le meilleur des gluaux du diable. Ce brave homme avait raison. Jamais vierge modeste, simple, timide, n'a perdu son honneur ; comme aussi rarement, une jeune fille vaniteuse, amie de la parure, mondaine, a gardé intact le dépôt de sa vertu.
Cependant Adèle Ballet n'était pas encore descendue dans l'abîme ; elle était seulement sur la pente. Grâce à ses occupations constantes, à son immense amour pour le travail, grâce surtout aux avertissements de sa mère', et aux beaux exemples de sa soeur, elle s'était toujours contenue dans les bornes. Mais qui savait pour combien de temps encore?
La mort de sa mère produisit donc sur elle un effet prodigieux; l'administration du Saint-Viatique surtout l'impressionna vivement. Cet appareil lugubre, cette obscurité, ces paroles touchantes du
UN INTÉRIEUR. 35
prêtre, la présence de son Dieu et de son juge, bouleversèrent la pauvre créature jusqu'au fond de son être. La douleur dont elle était saisie ne l'empêcha pas d'entendre une voix forte, tonnante, qui dominait tout ; et c'était la voix de sa conscience , ou plutôt la voix de son Dieu qui lui reprochait vivement l'abandon de ses devoirs. Pas une seule fois, elle n'osa lever les yeux sur le juge des vivants et des morts, tant elle était écrasée sous le poids de sa honte ! Elle prit dès lors la résolution d'être plus sage.
La triste cérémonie de l'inhumation acheva l'oeuvre de la grâce. Cette fosse, ce cercueil, cette pelle, ne lui sortaient plus de la tête. Mon Dieu ! c'est donc là que tout doit aboutir... Deux bouts de planche, la poussière et les vers!...
La pioche du fossoyeur avait extrait deux ou trois crânes jaunes, hideux, corrodés... Ils étaient là gisant sur la terre. Personne ne songeait à eux, ou plutôt on ne les regardait qu'avec horreur. Et peut-être — si on savait tout ! — avaient-ils appartenu à quelques beautés bien flattées, bien vantées dans leur temps... O mort! que tes railleries sont cruelles !
Bref, cet événement fatal, qui laissait un vide si profond, si senti dans cette pauvre famille, avait néanmoins, au point de vue providentiel, ses résultats heureux. Il retirait une jeune fille de l'abîme. C'était du moins un parti pris : Adèle
36 UN INTÉRIEUR.
était décidée à rentrer dans le devoir. Toute cette journée encore elle versa des larmes ; mais ces larmes lui semblaient moins amères; quelques consolations se mêlaient à ses douleurs.
III.
LE MENDIANT.
Anselme ne put faire de toute cette journée oeuvre de ses dix doigts. Une tristesse indicible l'immobilisait. Il ne perdait pas de vue ce malheureux cimetière. Toujours un instinct maudit le ramenait à la fenêtre, et sa vue se reportait irrésistiblement sur l'enclos funèbre. Dix fois il sortit à quelques pas du seuil de sa porte, pour regarder
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le village, la forêt, les champs, les nuages, et toujours encore le mur récrépi et les peupliers jaunes arrêtaient ses regards.
— A bientôt, Marguerite, murmurait-il, en croisant ses bras, et en fixant avec tristesse ses yeux sur cet inévitable cimetière.
Son coeur qui battait fort, fort, lui répondait : — A bientôt !
Puis une sueur de faiblesse, une pâleur extrême prenaient Anselme, et il était obligé de s'appuyer contre le mur pour ne pas perdre ses forces tont à fait.
En ce moment, il entendit battre la caisse du village. Sa maison, nous l'avons dit, était à quelques cents pas de Monval. Mais comme il se trouvait aussi d'autres habitations dans les alentours, le crieur se donnait quelquefois la peine de venir jusque-là. C'était rare, très-rare, mais ce soir-là, il en fut ainsi. Or, Anselme prêta l'oreille malgré lui; c'était une circulaire du préfet, fixant les différents jours où l'on tirerait à la conscription, dans les chefs-lieux de l'arrondissement.
Le 22 janvier, pour le canton dont Monval faisait partie.
Le 22 janvier, son fils Victor tirera à la conscription.
Ce mot tomba comme un coup de foudre sur le coeur du malheux Anselme. Le 22 janvier ! Encore deux mois ! et sa ruine est consommée. Car Ballet
UN INTÉRIEUR. 39
ne doutait pas que le sort ne lui fût défavorable; ce n'était pas la peine que l'infortune se démentît une fois pour M.
— C'est cela! Oui, c'est cela ! songea-t-il en posant sa main sur son coeur, qui palpitait avec une force nouvelle. Ils m'enlèveront mon pauvre Victor ! Que deviendrai-je alors ?
Il rentra pâle et abattu. Il lui prit un en mal extrême de son fils ; l'image de son Victor ne le quittait plus.
— Il devait rentrer hier, dit-il à ses filles, et voilà que la journée s'avance et on ne le voit pas. Je gagerais que quelque malheur est encore arrivé à ce pauvre garçon.
— Le Bon Dieu voudra bien que non, répondit Rose ; il ne souffre pas que ses enfants soient trop accablés à la fois.
— En tout cas, reprit le père d'une voix sourde, cela ne peut aller loin... Le 22 janvier !
En même temps il regardait son coeur qu'on voyait palpiter sous son gilet. Sa pâleur, la sueur huileuse qui baignait sa peau frappèrent ses enfants.
— Qu'avez-vous donc, bon père? dit Adèle avec émotion.
— Rien, mon enfant... Mais le 22 janvier!
— Qu'est-ce qui arrivera le 22 janvier, papa ? dit Othilie.
— Un vide de plus, ma fille, répondit Anselme
40 UN INTÉRIEUR.
en regardant battre son coeur avec une singulière anxiété.
— Papa, papa, comme votre gilet remue, dit le petit Joseph ; je gage que vous avez un oiseau sous votre gilet... comme le jour que vous m'avez rapporté une petite alouette.
— Papa, papa, ce sera pour moi, s'écria Luce, en se hissant pour poser la main sur le coeur de son père.
Anselme essaya de sourire. Une mélancolie profonde assombrissait ses traits.
— Oui, c'est pour toi qu'il bat, reprit-il d'un ton amer ; mais il ne battra plus long-temps. Ta mère a dit juste : A bientôt !
Les deux aînées furent frappées de l'expression de sa physionomie et du timbre de sa voix.
— C'est pour nous tous qu'elle l'a dit, cette pauvre mère, répondit Rose. Tant que nous puissions vivre, qu'est-ce en comparaison de l'éternité? Oui, ceux qui meurent peuvent toujours dire à ceux qui restent : A bientôt !
Anselme jeta sur sa fille un coup d'oeil terne et sans regard. Il secoua plusieurs fois la tête , et dit avec une expression singulière :
— Victor ! Victor ! tu ne partiras pas.
Un sourire pénible erra sur ses lèvres. Puis il se mit de nouveau à regarder battre son coeur.
— C'est vraiment bien singulier, dit Adèle bas à soeur, comme son coeur bat ! Vois donc, Rose !
UN INTÉRIEUR. 41
— Le chagrin ! répondit Rose : tu sais comme ils s'aimaient. Tu as entendu ce pauvre père dire quand maman a été morte : Voilà le premier chagrin qu'elle m'a fait de sa vie !
Soudain on vit Anselme pâlir une seconde fois, et trébucher. Puis sa tête s'en alla la première, et il tomba contre un lit. C'était un évanouissement. Les jeunes filles s'empressèrent de lui porter secours; il révint bientôt à lui.
— Je ne sais pourquoi il tarde tant! murmura - t-il d'une voix presque éteinte ; cependant il ne partira pas., je le jure...
— Non, mon père, il ne partira pas, répondit Rose de plus en plus affectée de l'air soucieux de son père; nous prierons tous le Bon Dieu, qui nous accordera au moins cette grâce.
— Si des Pater pouvaient servir, reprit Anselme avec un sourire railleur! Ange, ton Dieu ne nous gâte pas.
— Et pourtant, mon père, s'il est vrai qu'il châtie ceux qu'il aime...
— En ce cas-là, repartit Anselme avec amertume, il nous gâte.
La jeune fille rougit.
A ce moment une voix grave et vibrante résonna à la porte. Tous les membres de la famille tressaillirent. Anselme crut reconnaître la voix de son fils.
— C'est lui !
42 UN INTÉRIEUR.
— Mon père, c'est un vieux mendiant, répondit Rose.
— Ah ! un mendiant ! dit Anselme, elle les aimait, elle, les mendiants...
Le vieillard, avec la familiarité que se permettent quelquefois les pauvres au village, était entré et se trouvait déjà sur la porte du poële.
— Jeuseus ! s'écria-t-il, en joignant les mains, queu que je vois donc ? Du noir !
— C'est toi, Dodo.
— Jeuseus ! Maria ! Jouset ! reprit le pauvre avec un étonnement de plus en plus marqué. Queu que y a donc? Là ous qu'elle est la bourgeoise? Du noir !... Y a du nouveau donc !
Dodo promenait ses regards de tous les côtés, et ne trouvant pas celle qu'il cherchait, il arracha de sa tête son chapeau défoncé, se mit à genoux aux pieds d'une image de saint Sébastien, collée au mur, et récita un De Profundis à demi voix. Cette scène émut tous les assistants. Quand le vieillard eut fini, il reprit son bâton, et s'éloigna en essuyant ses larmes.
— Où vas-tu, Dodo ?
— Là où je vas donc ? Je m'en vas, à cause de la chose que je vois ben ce qu'y a. Y a pus trop ici... Pus de mère!... Six enfants!... Jeuseus! Maria! Jouset ! Que dommage ! Une si bonne !...
Dodo essuya une nouvelle larme.
— Viens, viens! lui cria Anselme, il y a en-
UN INTERIEUR. 43
core un morceau de pain pour toi. Allons, ne nous fais pas la mine.
— Jeuseus ! Maria ! Jouset ! reprit le vieux pauvre, en s'arrêtant : Une si bonne!... J'avais bien vu la chose qu'y avait, la dernière fois ! las, qu'elle était si jaune et si esquelette... Là moi ! je n'aurais pas cru que ça sera sitôt...
— Nous n'avons plus de pain, père Dodo, dit Rose, en remettant cinq ou six pommes de terre au vieillard ; mais vous passerez bien comme cela pour aujourd'hui.
— Oui-dà, la demoiselle, répondit le mendiant, et bien des obligations, ma foi, car sans ça j'aurais couché sans souper... Que l'estomac me tire depuis le midi...
— Il y a encore des gens plus malheureux que. nous au monde, dit Rose en se retournant vers son père ; prenons courage, papa.
— Plus malheureux? Je ne sais, répondit Ballet d'une voix faible.
Et il fixa de nouveau ses yeux sur son coeur qui, après avoir été calme au moment de son évanouissement, recommençait à battre avec plus de vivacité.
Dodo s'était arrêté à la cuisine, et achevait son Pater de cette voix grave et sonore si commune chez les vieux pauvres, et qu'ils doivent sans doute à l'habitude de parler ou de chanter des journées entières en plein air. Tout à coup l'aïeule
44 UN INTERIEUR.
qui dormait près du foyer, s'éveilla en criant :
— Mon Dieu ! mon Dieu ! au secours... au secours. .. Il meurt... Les brigands...
Le vieux mendiant tressaillit lui-même à ces cris inattendus. On eût pu voir sa figure changer de couleur ; mais il était seul avec la bonne vieille qu'il n'avait pas même aperçue, parce que la nuit tombait. On accourut, on alluma une lampe ; la grand'mère avait un air effaré, un désordre dans les traits qui faisait peine à voir.
— Eh bien ! aussi, bonne maman, dit Rose, en l'embrassant, pourquoi restez-vous seule comme cela? Allons, vous ne voulez pas obéir, et le Bon Dieu vous punit.
— C'est qu'elle s'avait endormisse, dit le mendiant, là, comme çà... les vieux...
— Ah! monstre! fuis! fuis d'ici, s'écria la grand'mère, en mettant ses deux mains en avant et en détournant la tête... C'est lui ! je ne m'étais pas trompée... Mon Dieu ! c'est lui !...
— Elle rêve encore, dit Anselme, elle voit encore son spectre... Il ne me manquait plus que cela : une folle sur les bras.
La lampe illuminait à ce moment la figure du vieux mendiant. Elle avait en réalité quelque chose d'austère', de repoussant même. Ses cheveux blancs et crépus étaient hérissés ; sa longue barbe, aussi toute blanche, était mouchetée de grains de tabac et de longs sillons de bave jaune ; ses sour-
UN INTÉRIEUR. 45
cils fortement arqués et ombragés de longs poils gris, cachaient deux yeux noirs, d'une singulière expression de férocité. Un front étroit et bas fuyait en cône sous une touffe de cheveux raides ; un nez recourbé, deux ou trois balafres parsemées sur une figure maigre et osseuse, achevaient de donnera cette physionomie une dureté extraordinaire. Mais cette voix surtout, cette voix caverneuse et en quelque sorte souterraine, produisait un effet étonnant, une impression d'effroi dont on ne pouvait se défendre. Les deux petits enfants venaient jusque sur la porte, regardaient Dodo, et s'enfuyaient-épouvantés. Rose elle-même tressaillait, sans savoir pourquoi, au son retentissant de cette voix de tonnerre.
— C'est toi ! c'est toi ! dit la vieille femme en se levant comme par ressort, et en tendant vers le mendiant, un bras que l'émotion faisait trembler.
— Y a pas de doute que c'est moi, répondit Dodo, ha ! ah ! pardienne, qu'est-ce que ça serait, si ça n'était pas moi ?... Ha ! ha !
Le rire donnait encore à cette physionomie une expression plus sauvage, tellement qu'Adèle et Rose eurent sérieusement peur. La grand'mère haletante, immobile, la bouche ouverte, regardait avec fixité cette figure qui semblait la fasciner.
— Mère ! dit Anselme à demi voix.
A ce mot, la vieille reporta ses yeux sur son
46 UN INTERIEUR.
gendre, mais avec un air hébété, comme une personne qui rêve.
— Mère ! venez vous mettre au lit, il se fait tard... vous dormirez mieux qu'ici...
— Ah ! ah ! lui ! c'est lui ! fit la vieille en tremblant et en suivant son gendre avec une inexprimable anxiété.
— Heu coquin ! dit le mendiant en la suivant des yeux : v'là donc ce que c'est d'un vieux de la vieille , vois ! Ah ! faites excuses, Mamzelle, si j'ai dit un juron : c'est l'habitude, comme ça, vois, d'un vieux... Ah! les vieux...
Pater noster, qui es in coenis, sancrificetur homentuum, arveniat regnum...
— Holà ! Dodo !
— Hein !
— Est-ce que tu t'en vas !
— Pardienne, si je m'en vas ! Là ousque j'en irais donc, si je ne m'en allais pas? Faut-y pas que ça s'en va, le Dodo ? Là ous qu'y trouverait donc à mettre sa vieille caboche pour c'te nuit, là?
— C'est ce que je voulais te dire. Tu coucheras ici.
— Bien des obligations, M'sieu Ballet, mais un vieux comme moi, çà est... diablement incommode.
— N'importe : on te fera un ht au fond de la grange, où tu n'auras pas froid. Vois-tu, Dodo,
UN INTÉRIEUR. 47
je n'oublie pas le service que tu m'as rendu., et je suis bien aise de t'en témoigner ma reconnaissance.
— Ha ! ah ! comme vous dites çà, M'sieu Ballet , dit le mendiant, ha ! ah !
Son rire caverneux fit encore une fois trembler toute la maison. Il hésitait cependant ; il passa sa langue deux ou trois fois sur les longs poils de barbe qui bordaient ses lèvres, replia celles-ci dans l'intérieur de sa bouche, et roula de tous côtés ses deux yeux, qui brillaient d'un éclat particulier.
— Réponds-tu, Dodo? lui cria Anselme du fond du poêle.
Le mendiant hésitait toujours et ne répondait rien.
— Ici ou ailleurs, qu'est-ce que cela vous fait, Monsieur Dodo? dit Rose, qui ne comprimait qu'avec peine la terreur qui l'agitait, mais que la charité poussait invinciblement à un acte de miséricorde.
— Allons donc, Dodo, dit le vieillard en se secouant avec vivacité et en se parlant à lui-même, qu'est-ce que y a donc que tu lambines ? Pisque ces braves gens-ci te donnent l'auberge pour c'te nuit, pourquoi donc que tu barguignes ? T'as pas toujours ça pour ta caboche, toi qu'as couché pus d'une fois à la belle ételle. — Oui-dà, Mamzelle, le Dodo accepte, reprit-il en s'adressant à Rose, et en la perçant d'un regard d'une incroyable éner-
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gie... Que notre Seigneur vous le rende! Mais pour un lit, y a pas besoin, hah ! Le Dodo couche mieux sur la paille ou le foin, n'importe quoi... Çà n'est pas délicat le Dodo. Pater noster qui es in coenis, sancrificetur homen tuum, arveniat...
Adèle qui n'avait pas perdu de vue un seul instant l'énergique vieillard, rentra tout émue près de son père.
— Il a une mine effrayante, ce mendiant, ditelle ; et je vous avoue, mon père, que je n'aimerais pas à le rencontrer au coin d'un bois.
— Il m'a rendu un service important, le jour de la foire de septembre. Brunette, piquée par les mouches, s'était échappée de mes mains ; elle était furieuse, et tu sais s'il fait bon la rencontrer dans cet état. Chacun se sauvait, quand ce vieux mendiant la saisissant par une corne, l'arrête tout court, et me la ramène douce et soumise comme un agneau. Tout le monde était dans Tétonnement. J'ai offert à boire un coup au vieillard qui n'a pas refusé, et je lui dis que si jamais il venait à Monval, je tâcherais de lui faire une petite aumône... Il est déjà venu une fois, et n'a trouvé que ma femme, ma pauvre femme... Et aujourd'hui rien pour lui donner ! Nous n'avons rien ! Rien ! répéta Anselme avec une profonde tristesse. Le dernier argent, le prix de cette pauvre Brunette est passé dans les mains de ce cruel usurier.
UN INTÉRIEUR. 49
Ah! tonnerre du ciel, quand écraseras-tu cette peste! Jour de Dieu! Jour de Dieu!
Anselme avait levé ses deux poings vers le ciel avec une effrayante énergie. Puis soudain il baissa la tête, et regarda encore battre son coeur. Il y avait quelque chose de poignant à voir ce vigoureux paysan suivre, compter, les pulsations de son organe malade, pulsations tantôt lentes, tantôt précipitées, mais tellement fortes, que l'oreille pouvait les saisir.
Pendant ce temps-là, Rose dominant sa terreur, avait conduit Dodo au fond de la grange. Dans sa charitable sollicitude, la jeune fille avait mis à sa disposition deux bottes de paille fraîche.
— Ah ben donc ! comme on te gâte vieux Dodo, dit le vieillard, en contemplant avec satisfaction sa couche ; depis quand donc que t'as pas couché sur de la si doucette ? Ah ! Mamzelle, ben des obligations , vois, pour tout çà. Y n'y a que ç'ui de la haut qui pourra vous en payer le prix... Que le Bon Dieu et la bonne sainte Vierge vous donnent toute leur bénédiction.
— Merci, mon brave homme, répondit Rose avec candeur ; mais croyez-vous que ce n'est pas déjà une douce récompense que d'avoir obligé un honnête homme et un bon chrétien, surtout quand il est malheureux, sans qu'il y ait de sa faute ?
— Eh ! mille noms de noms... cinq cent mille misères que je veux dire. Que c'est donc vrai, çà ,
T. I. 3
50 UN INTÉRIEUR.
reprit le mendiant avec un geste d'une vigueur surprenante ; oui, pas de sa faute... Ah ! que y a donc des gensses malheureux au monde ! Pourquoi donc que y a des si malheureux au monde?
La voix vibrante du vieillard avait pris un tel volume, et ses gestes dénotaient une force musculaire si puissante, que la jeune fille recula involontairement de deux pas. Un horrible froncement de sourcils avait ramené au milieu du front la mèche de cheveux gris du vieillard ; les poils de sa barbe s'éloignaient et se rapprochaient sur son menton , comme les pointes d'un porc-épic, et ses membres d'acier se tordaient avec une sorte d'angoisse.
Puis promenant ses yeux flamboyants autour de lui :
— Pourquoi donc que y n'y a pas ici une image du saint Bon Dieu ?... — Allons , Dodo , v'là que tes fou, là, que tu crois être dans l'Église parce que y a un ange ici à côté de toi.
Ses yeux rencontrèrent alors ceux de la jeune fille, et il essaya d'un sourire, sourire effrayant, dont rien ne peut rendre l'indéfinissable expression. La pauvre Rose était comme clouée sous la puissance de cet athlétique mendiant. Fouillant alors dans un coin de son havre-sac, le vieillard en tira un crucifix mutilé.
— Pardienne, t'es fou, Dodo , reprit-il en continuant de s'adresser la parole à lui-même, toi
UN INTÉRIEUR. 51
que t'as oublié ton saint Bon Dieu, mille noms de noms... — Saint amour que je veux dire; qu'est dans ta poche depuis des temps infinis, que t'as pas quitté, toi, et qui ne t'as pas délaissé non plus. Ah ! les vieux, nom de nom...— Sainte miséricorde, que je veux dire, les vieux, qu'est-ce que c'est des vieux... Heu coq... ? là, un vieux.
Puis, se tournant avec une roideur de ressort du côté du mur qui faisait le fond de l'écurie, il soulève d'une main une échelle qu'il applique contre un des murs latéraux, sans plus d'efforts que s'il eût manié son bâton. Et, montant quelques: échelons, il cherche à fixer son crucifix contre l'une des poutres du perchis. Une poutrelle, s'étant détachée sous le contact de sa main puissante , roule et menace de l'écraser ; mais l'intrépide mendiant l'arrête au passage, l'étreint de son poignet vigoureux, et la jette de côté comme on jetterait un brin de fagot. Il parvient enfin à attacher solidement son christ et redescend.
— Heu ! tonnerre de D.... — Saint amour du ciel que je veux dire, s'écria-t-il en tombant à genoux et en joignant ses deux mains, v'là donc ce qu'y faut au Dodo pour poser tranquille sa pauvre caboche... Avec ça, qu'est-ce qu'y craindrait, le Dodo? Jeuseus mon Dieu !... Y se recommande à vous, et y vous recommande surtout ces braves gensses-cy, que y n'y en a point de pareilles sous la calotte du ciel, et pis cette petite
52 UN INTÉRIEUR.
ange que v'là, que y en a pas deux de plus doux et plus beaux dans le saint Paradis...
Après cette allocution prononcée avec un timbre cave et sourd, Dodo s'arrêta tout à coup, puis recula lentement en fixant ses yeux sur l'image du Christ. Il semblait qu'une vision terrible l'avait tout à coup frappé. Ses doigts crispés comme des barres de fer tordu figuraient les dernières convulsions de l'agonie. Une haleine pénible , une sorte de râle s'échappait de sa poitrine ; tous les muscles de son visage contractés donnaient une expression satanique à sa physionomie déjà si farouche, et ses yeux, surtout ses yeux brillaient comme deux escarboucles au fond de leurs orbites. La lampe que la jeune fille tenait d'une main tremblante éclairait seul cette inexprimable scène.
— C'est lui ! c'est ton Dieu! c'est ton juge ! reprit-il en changeant tout à coup de langage ; l'heure de la vengeance approche, et... à défaut d'autres témoins, les pierres mêmes crieraient contre toi. Oh! que le poids de la colère d'un Dieu est lourd!... Oh! qu'il est triste d'être maudit de Dieu !... Le remords... est parfois... intolérable... C'est elle, oui, elle...
En reculant toujours, le mendiant rencontra à la fin le mur opposé et s'y heurta. Le choc le fit revenir à lui.
— Heu ! saint tonnerre ! murmura-t-il en
UN INTÉRIEUR. 53
baissant la tête avec une sorte de confusion, queu que c'est donc d'un vieux de la vieille, nah ! tu perds la caboche, Dodo... Ah ! pardon, fait' excuse, Mamzelle,... le Dodo est presque fou... Queu que y a donc qui bouscule comme ça la caboche du pauvre Dodo ? C'est comme la vieille de chez vous, vois, qui bat aussi un peu la breloque. A septante ans, on passe ça.
La première, la seule pensée que pût avoir Rose, c'est que ce vieillard était fou. Il lui prit plus d'une fois envie de s'enfuir; mais un instinct secret, une lumière d'en haut lui découvrit subitement le mystère à demi... Une compassion mêlée de terreur la retint, et dominant encore une fois la frayeur qui la glaçait, elle lui dit :
— Je crois, Dodo, que vous ferez bien de vous recommander à Notre-Seigneur et à la bonne Vierge, et de vous coucher tranquillement. Le sommeil calmera votre agitation. Allons, bonsoir.
Les dents de la jeune fille claquaient.
— Merci ! merci ! bel ange du Bon Dieu ! répondit le mendiant en joignant ses deux mains, et en fixant ses regards pénétrants sur l'intéressante enfant. Ah ! que la bonne sainte Vierge, comme vous l'y dites, vous en envoie sus la tête, des bénédictions... Pour le Dodo, il est maudit... maudit de çui de là haut... maudit, répéta-t-il avec un accent d'énergique conviction.... Heu ! ton-
54 UN INTÉRIEUR.
nerre ! pourquoi donc que y a des gensses si malheureux au monde?...
Ici la voix du vieillard s'adoucit et son regard sembla s'humecter. Il croisa ses deux bras, et ses traits reprirent leur expression naturelle, mais où dominait un profond abattement.
— Maudit ! reprit la jeune fille en s'arrêtant, et avec un ton de tendre compassion ; comment ce mot affreux peut-il sortir de votre bouche ? Vous, un chrétien !
— Un chrétien ! reprit Dodo d'un air hébété et attendri...
— Un pauvre...
— Un pauvre !
— Un ami du Bon Dieu...
— Un ami du Bon Dieu !
— Un frère de Jésus-Christ...
— Un frère de Jésus-Christ !
— Oui, tout cela, Dodo, tout cela, reprit la jeune fille avec une onction toute céleste ; et vous désespéreriez? Et vous vous diriez maudit? Il n'y a de maudit que les damnés, mon brave homme.
— Les damnés, répéta le vieux pauvre, avec une voix vibrante qui fit tressaillir le corps de l'enfant... Est-ce que y a pas deux enfers, un dessus, l'autre dessous ?
Et il se retourna, les bras croisés du côté de son crucifix, et resta comme absorbé dans son effrayante méditation.
UN INTÉRIEUR. 55
— Mon Dieu ! quel être étrange ! songeait Rose Ballet en se raidissant sur ses jambes.
Pourtant elle ne savait d'où lui venait la compassion extraordinaire que lui inspirait ce malheureux.
— Il n'a rien pris depuis longtemps peutêtre, est-ce la faim qui lui creuse le cerveau et trouble sa raison
— Brave homme, dit-elle à haute voix, vous oubliez vos mauvaises pommes de terre. Si vous mangiez un peu! que je suis fâchée que nous n'ayons rien de mieux à vous donner... ce serait de bon coeur... mais nous sommes pauvres, nous aussi, oh ! bien pauvres... A part ces haillons que je vous vois, je ne sais s'il y a de la différence entre vous et nous.
Ces paroles de la jeune fille respiraient une charité si douce, si pénétrante, qu'elles parurent remuer le coeur du vieillard. Il releva la tête : ses lèvres tremblaient comme celles d'une personne qui veut parler et n'ose. Ses traits si durs semblaient s'amollir.
— Ah! Dieu, s'écria-t-il, en regardant encore une fois son crucifix... pour elle, je vous le dis, oui pour elle, cette petite ange-là... oui, çà me gagne le coeur... Dieu du ciel! quoique vous êtes fâché contre le Dodo, écoutez le Dodo ; y prie pas pour lui... mais pour... heu! heu! vous làhaut vous donc, qu'êtes le maître, ayez pidié
d'elle que vot' sainte bénédiction l'y tombe
56 UN INTÉRIEUR.
dessus. Amen ! Pater noster ques in coenis sancrificitur homen tuum....
Pendant que le vieillard priait, Rose sortit sur la pointe du pied et rentra bientôt après.
— Tenez, Dodo, dit-elle, en présentant au pauvre un petit morceau de pain bis, voilà ma part, je n'ai pas faim ce soir ; faites-moi le plaisir de prendre ce peu... et ceci encore...
Elle lui présentait de l'autre main une gorgée d'eau-de-vie dans un verre d'étain, et une paire de vieux souliers, car elle avait remarqué qu'il avait les pieds nus.
— Heu ! jour des saints! dit le mendiant touché de l'angélique bonté de cette pauvre enfant, et en lui baisant la main avec toute la tendresse de la reconnaissance... Y a-t-il dans le ciel assez de choses, nah! pour vous le rendre, cher ange du saint Paradis?
Rose, sentant la nerveuse étreinte de cet hercule en haillons, retira sa main avec effort ; Dodo prit pour un acte de modestie ce qui n'était qu'un effet de la terreur.
— Et puis tâchez d'être calme, et de bien dormir, dit-elle avec sa bonté accoutumée... de peur que vous ne soyez incommodé cette nuit, je vais vous laisser de la lumière. D'ailleurs, comme vous le disiez tout à l'heure, sous les ailes de notre bon Jésus, que pouvez-vous craindre? Allez, brave homme, c'est le Dieu des pauvres... oui, c'est le
UN INTERIEUR. 57
Dieu des pauvres un jour, il s'en souviendra ;
un jour, Dodo, celui qui aura vécu comme vous, comme nous, dans la misère, sera plus avancé que bien des riches, s'il a su souffrir avec courage. Adieu, mon frère en Jésus-Christ, bonne nuit !
Elle avait, la courageuse enfant, oublié ses terreurs pour ne plus se souvenir que de sa pitié ; elle perdait de vue l'être hideux, féroce, pour ne plus voir que le membre souffrant de JésusChrist.
Ayant allumé la petite lampe qui sert à éclairer les batteurs pendant la nuit, elle sortit.
— Tonnerre ! murmura Dodo, en la suivant des yeux avec attendrissement ; que le diable me soulève, si c'est pas là une petite ange, nah !
IV.
UN AMI.
Quand Rose rentra, on était presque inquiet d'elle ; mais déjà elle avait su comprimer les étranges sensations dont son âme était pleine, pour reprendre sa sérénité ordinaire.
La famille était à souper ; des pommes de terre et de la salade, comme la veille ; au bout de la table, un quart de miche... de la seule miche qui restât.
UN INTÉRIEUR. 59
Tous les fronts étaient tristes, les petits enfants seulement gardaient leur vivacité, encore bien tempérée par le silence et la tristesse qui les entouraient. Ils ne comprenaient pas ce sérieux extraordinaire. Heureux âge, qui ne connaît rien des misères de la vie !
— Quand maman Marguerite sera ici, elle causera, dit Luce.
— Papa, dit le petit Joseph, quand est-ce que maman Marguerite reviendra pétrir ?
Anselme jeta machinalement les yeux sur la miche, sur le dernier morceau de pain qui lui restât pour nourrir sa famille.
Un saisissement involontaire étreignit son coeur qui ne battit plus.
— Que faisais-tu là, Rose? dit Adèle à sa soeur, pour faire diversion à de sinistres pensées.
— Tu ne manges pas, ange? dit Anselme à son tour.
— Non, mon père, merci! répondit Rose; je puis me passer de manger ce soir.
— Je gagerais que le morceau de pain que tu es venue chercher, c'était pour Dodo. Mais n'importe, va, mon enfant, tu peux manger : partage au moins avec ton père.
— Merci, papa, j'ai mal à la tête.
— Et moi au coeur, reprit Anselme en regardant le mouvement de son coeur qui venait de recommencer à battre. Mais prends toujours ma
60 UN INTÉRIEUR.
fille.... quand le bout sera venu, et il n'est pas loin, nous verrons... nous aviserons...
La parole émue du père fit naître des larmes dans les yeux de ses trois filles.
— Et ce qui me peine le plus, enfants, reprit Anselme, c'est qu'elle, la pauvre femme, c'est qu'elle n'a pas eu toutes les douceurs qu'il aurait fallu à
son triste état elle demandait du sucre, la
veille de sa mort, et nous n'en avions plus
— On m'en a refusé à crédit, ajouta Adèle, et pourtant j'offrais ma plus belle robe en gage...
Les larmes coulèrent plus fort des yeux de la jeune fille. ■
— Elle n'a pas même eu de médecin, reprit Anselme... quelques rares, rares visites, et encore bien courtes... et accompagnées de tant de rudesse.
— En comparaison des riches, dit Adèle ; il est si doux, si bon, là; il a tant de prévenances, qu'il vient même sans qu'on le demande. Je l'ai vu, pour un petit bobo, un mal de doigt ; ah ! Dieu, quelle gentillesse ! quelle délicatesse !... mais c'était madame Rigolot !
— Le pauvre ! le pauvre ! murmura Anselme en posant ses deux poings fermés sur la table.
— Et encore, mon père, dit Rose, il y en a de bien plus malheureux que nous. Ah ! si vous aviez vu ce pauvre mendiant tout à l'heure !
— Il est seul au monde, il n'a pas d'enfants,
UN INTÉRIEUR. 61
répondit Anselme avec un ton amer; et toi...., regarde !
Sa main montrait les deux petits enfants, qui jouaient aux miettes de pain, au bout de la table.
— Et celui-là, mon père, dit Rose, avec un accent angélique.
Elle montrait un crucifix suspendu à la muraille.
— Croyez-vous qu'il laissera ces petits oiseaux sans un grain de millet pour les nourrir ?
— Il a vu mourir ta mère , murmura Ballet d'une voix creuse.
— Oui, oui ! dit la jeune vierge avec cette chaleur qu'elle trouvait toujours quand on remuait la corde de sa foi — oui, il a trouvé, le bon maître, qu'elle avait assez longtemps porté le poids de la chaleur et du jour, il lui a donné la joie et le repos du ciel. Ah! mon père ! le ciel....
Anselme regarda sa fille : Rose avait joint ses mains et contemplait amoureusement le crucifix.
Mais en attendant, reprit le père, ne faut-il pas traîner ici-bas une misérable vie ? Ce n'est pas pour moi, ma fille ; je supporterais mes maux avec courage, je sais d'ailleurs qu'ils ne doivent plus guères durer, mais où veux-tu, où veux-tu que je prenne pour nourrir mes enfants ?
— C'est lui qui s'en chargera, mon père
IL ME L'A PROMIS.
Il y avait dans cette physionomie pâle et déli-
62 UN INTERIEUR.
cate une conviction si pleine, si surnaturelle, que le père en fut frappé. Un calme profond régnait dans la chambre; les petits enfants eux-mêmes avaient suspendu leurs jeux, comme s'ils eussent compris la gravité des circonstances.
Tout à coup un cri douloureux se fit entendre ; l'aïeule se réveillait en sursaut.
— Ah! le monstre!... Albert!... Il coule il
coule... Je tombe... Je meurs...
On approcha du lit ; elle était en larmes, et les yeux égarés.
— Allons, bonne maman, disait Rose, serezvous raisonnable ! Pourquoi vous mettre des chimères dans la tête?
— Tue-le ! Tue-le ! s'écriait la grand'mère dans son délire... Vois... C'est un monstre... Son poil... sa barbe...
Anselme regardait sa belle-mère, avec une stupéfaction profonde.
— Folle ! dit-il tout bas folle ! Oui, tous les
maux me tomberont dessus à la fois...
— La vue de ce misérable mendiant lui a tourné la tête, dit Adèle en laissant tomber ses deux mains jointes. Faut-il donc qu'on soit malheureux !
Un léger bruit attira à ce moment l'attention la cuisine. On ouvrait la porte avec précaution.
— Victor! s'écria Luce.
— Hippolyte, dit Othilie.
— Ah ! fit le père avec une joie impatiente.
UN INTÉRIEUR. 63
En effet, Victor Ballet et Hippolyte Bernier entraient , l'un fils, et l'autre proche parent de la défunte, et de plus celui-ci médecin. Le premier regard de Victor fut pour le lit où il avait laissé sa mère malade. Les rideaux sont serrés à la tête, il est couvert de sa courtepointe, il est froid... il est vide... Mais déjà Adèle, Othilie, Luce sont suspendues à son cou, et leurs cris ont averti le jeune homme qu'il est orphelin. Deux larmes alors jaillirent subitement de ses yeux ; il resta muet, immobile, en face de ce lit désert.
— Ah ! répéta Anselme, en essayant inutilement de se lever.
Le docteur Bernier s'approcha, embrassa son parent, le coeur serré de tristesse.
Hippolyte, dit le malheureux Anselme, en faisant une troisième et aussi vaine tentative pour se lever; Hippolyte, vous voyez...
Il étendait sa main vers le lit désert.
— Je sais, je sais, répondit le docteur en embrassant de nouveau son ami ; ce n'est plus une nouvelle pour moi.
— Qui vous l'avait dit? reprit Anselme.
— Mon art. Je ne pouvais m'y tromper.
— Vous comptiez la trouver morte, docteur?
— J'y comptais.
— Et vous êtes venu ?
— Vous consoler et mêler mes larmes aux vôtres.
64 UN INTÉRIEUR.
Anselme prit silencieusement la main de son parent, et la serra avec émotion.
— Tout est dit, tout est dit, docteur, reprit-il, après un moment de silence, je suis perdu sans ressource... Perdu ! Moi, je m'en consolerais encore... mais ces pauvres enfants Regardez,
docteur!
Mais ce que regardait le docteur, c'était le teint plombé , cadavéreux de son ami ; ce qu'il regardait surtout, c'étaient les mouvements précipités de son coeur ; le gilet bien que fortement tendu et boutonné cédait à ces palpitations violentes. Le docteur Bernier pâlit.
— Du courage, mon bien cher, dit-il en prenant la main d'Anselme, en apparence pour la serrer, en réalité pour lui tâter le pouls. Je vous ai toujours cru de la force de caractère : c'est le cas aujourd'hui de la déployer. — Un anévrisme! se dit-il à part lui.
— Ah! du courage, répondit Anselme avec abattement ; que ce mot ne coûte guère, mais que la chose est difficile ! Regardez, Hippolyte. ■
Et le malheureux père indiquait une seconde fois du geste le groupe de ses enfants, enlacés les uns dans les autres, et ses traits exprimaient la plus profonde sollicitude. Courageux dans ses propres souffrances, il ne pouvait se résigner à la perspective de misère qui s'ouvrait pour sa chère et intéressante famille. Hippolyte ne put se re-
UN INTÉRIEUR. 65
tenir de jeter un regard sur ces six enfants, actuellement réunis, et de partager avec une vive sympathie l'inquiétude paternelle du bon Anselme.
— Victor! dit le père Ballet avec une sorte d'effort douloureux.
Le jeune homme stupéfié, hébété, sentait à peine les caresses et les embrassements de ses soeurs et de son petit frère, absorbé qu'il était par l'aspect de ce Ut désert. Mais à ce nom de Victor prononcé d'une voix cave, il sortit de son immobilité , et vint se jeter dans les bras de son père.
— Mon père !
— Mon fils!
Ils se serrèrent longtemps, avec une ineffable tendresse. La source' des larmes s'était rouverte dans les yeux desséchés d'Anselme.
— Tu vois, Victor, seras-tu sage?
— Ah! mon père.
— Le malheur nous frappe, mon fils, c'est à nous de lui opposer un courage à toute épreuve, et surtout une conduite irréprochable. Tu deviendras sage, mon fils, oui, tu deviendras sage.
— Ah! mon père! répéta Victor suffoqué par
ses sanglots Toujours... toujours... à vous,
à mon devoir Toujours mais ma mère,
que je n'ai pu embrasser avant le dernier moment !
66 UN INTÉRIEUR.
— Elle t'a pardonné., mon fils, dit Anselme, d'une voix ferme, quoique attendrie.
— Et je n'ai pu l'embrasser, lui demander pardon de mes sottises. Mon Dieu ! mon Dieu ! ma pauvre mère m'a-t-elle pardonné?... Oh! que cette pensée me pèse sur le coeur ; elle est partie sans me donner sa dernière bénédiction!...
— Elle t'a nommé, reprit Anselme, quand elle leva sur ses enfants ses mains flétries... Ton nom n'a pas paru être amer à sa bouche...
— Grand Dieu ! Grand Dieu ! s'écria le jeune homme, en se tordant les bras de désespoir ; peuton être plus malheureux que je suis? Ma mère, ma mère, ayez pitié de moi. Maman, je vous demande pardon, mille fois pardon Ah ! pourquoi faut-il que je vive encore, pourquoi ne suisje pas mort à votre place?...
L'inexprimable douleur du jeune homme eût fendu une âme de bronze, tant elle était vraie et sincère. Adèle, la tête appuyée sur le lit, sur le lit même où était morte sa mère, sentait se rouvrir toutes ses blessures ; la pauvre fille le mouillait de ses larmes. Les petits pleuraient aussi. Rose, les bras croisés, tenait les yeux sur le crucifix. Anselme, les mains jointes sur ses genoux, les regardait tour à tour.
Le docteur, malgré l'habitude du spectacle des douleurs, se sentait remué par cette scène déchirante. Mais Ballet surtout le préoccupait. Il le
UN INTÉRIEUR. 67
contemplait dans son attidude résignée, muette; il calculait, pour ainsi dire, les mouvements de son coeur; puis reportant aussi ses yeux sur ses enfants, il se répétait, plein d'une tendre compassion :
— Pauvres petits ! vous ne savez encore que la moitié de vos maux!...
Un nouveau cri interrompit ce silence lugubre ; l'aïeule sortait de son demi-sommeil, et écartant de la main le fantôme qui semblait l'obséder, elle répétait d'une voix dolente :
— Albert ! Albert !... il te fait mourir... Fuis ! mon cher époux... Laisse-moi mourir à ta place...
Les regards du docteur rencontrèrent ceux d'Anselme.
— Folle ! murmura celui-ci.
Hippolyte Bernier se leva, s'approcha de sa vieille parente, et tâcha de s'en faire reconnaître.
— Ah! fuis, monstre... d'assassin!... Que Dieu te maudisse!.. Du sang sur tes mains... Du sang, malheureux!...
Le docteur lui tâta le pouls ; il était agité. Le désordre de ses traits était affreux.
— Folle ! répéta le docteur à son tour, en se posant la main sur le front.
— C'est trop à la fois, reprit Anselme, en tendant la main à son ami ; convenez que la mesure est comble.
68 UN INTÉRIEUR.
— C'est beaucoup ! c'est beaucoup ! répondit Bernier avec une vive compassion.
— Et puis... le 22 janvier!
— Le 22 janvier ?
Anselme montra du doigt son fils qui pleurait en silence dans un coin de la chambre.
— Je ne comprends pas.
— Le 22 janvier, reprit Anselme à voix basse, on me prend mon fils... Il est soldat...
— Ceci est autre chose, répondit Hippolyte, en prenant un ton plus assuré ; allons, allons, Anselme , vous vous frappez l'esprit ; c'est assez de prendre les maux quand ils viennent, sans leur courir au devant.
Anselme secoua mélancoliquement la tête, et dit:
— Du reste, il ne partira pas. Je sais un secret
Il eût été difficile de deviner quel sens avaient ces paroles, bien que le ton sinistre dont elles étaient prononcées laissât présumer quelque projet funeste.
— Après tout, c'est vrai, dit Anselme, en se secouant lui-même comme pour s'arracher à sa tristesse; avant de s'occuper de l'avenir, il faut s'occuper du présent. Pardon, docteur, vous avez besoin, et on ne pense pas à vous. Adèle, Rose, allons donc ; ne voyez-vous pas que ces pauvres voyageurs meurent de faim et de soif?...
UN INTÉRIEUR. 69
Soudain la pensée lui vient qu'il n'a rien, pas même de pain à offrir. Sa chaumière est vide, ses provisions sont épuisées, son crédit perdu ; il ne peut satisfaire aux plus simples exigences de la politesse, envers un ami, envers un bienfaiteur généreux, qui s'arrache à ses occupations pour venir le consoler.
Ah ! si la pauvreté est dure, c'est surtout dans ces cas-là! On supporte volontiers sa misère en particulier en famille ; mais, quand il faut accuser ce dénuement le plus profond devant un étranger, fût-ce un ami, oh! alors le coeur saigne, car il éprouve une double blessure, celle de la misère et celle de l'amour-propre...
Cependant Anselme s'aperçut que Rose avait disparu.
— Si l'ange avait trouvé quelque ressource, se disait-il; elle a tant d'esprit, cette chère petite!... C'était tant de coeur qu'il devait dire. En effet, Rose avait réfléchi au moyen de subvenir aux besoins du moment. Elle sortit bientôt sans rien dire, et quelques instants après elle entrait dans la seule boutique de Monval, dans une de ces boutiques omnibus, où se rencontre tout ce qui peut suffire aux besoins d'un village.
La boutiquière s'appelait madame Guigui Rigolot, née Courtequeue.
Madame Rigolot était une grosse et large femme, qui avait peine à passer entre son comp-
70 UN INTÉRIEUR.
toir et les rayons de sa boutique. A chaque pas qu'elle faisait dans cet étroit espace, on voyait s'agiter derrière elle des paquets de ficelle, des écheveaux de coton, des, peignes de tisserand, etc.. qu'elle avait mis en branle. Aussi se déplaçaitelle rarement. Enfoncée dans sa chaise à bras, dont elle occupait toute la largeur, ses deux mains posées sur les branches, ses lunettes descendues jusqu'au bout du nez, un bas de coton sur son giron, — de mémoire d'homme, c'était le même bas et toujours au talon, — madame Rigolot passait son temps à dormir, ou à faire les petits calculs de son commerce, ou à regarder les passants. Sa figure large et épanouie, ornée de longs poils de barbe et constellée, çà et là, de verrues rouge-violet, avait pour première expression, pour premier plan, en quelque sorte, la bonhomie et cette affabilité qui est le cachet obligé de toutes les personnes qui vivent du public. Mais à qui l'observait de plus près, à qui étudiait le froissement de ses lèvres épaisses, l'instabilité de ce regard caché sous ses lunettes, et surtout le fin sourire qui, après avoir payé sa dette à la coutume, allait se perdre dans le coin de l'oeil, à qui étudiait tout cela, dis-je, madame Rigolot ne paraissait plus qu'une fine et adroite femme, cachant sous l'enveloppe la plus épaisse une âme rusée d'épicière. En effet, madame Rigolot avait fait une for-
UN INTÉRIEUR, 71
tune considérable dans les épices. La première elle avait hasardé une boutique à Monval; les pratiques, heureuses de trouver là ce qu'elles allaient auparavant chercher au chef-lieu, abondèrent bientôt; achalandée et sans concurrence, l'épicière accrut peu à peu son assortiment, remit ses fonds dans de nouveaux articles, et bientôt se trouva aussi bien fournie qu'une boutiquière de petite ville : du poivre, des crayons, du fromage, des almanachs, des sangsues, de l'huile, du. pain même, on trouvait tout chez madame Rigolot. On portait à plusieurs centaines les articles qui composaient son magasin. Elle épousa un vieux sergent en ver traite, qu'elle enterra après cinq ou six ans de mariage. Elle en avait eu une fille unique, mademoiselle Adeline-Zémire-Idalie Rigolot.
Rose entra donc. Madame Rigolot baissa la tête pour voir par-dessus ses lunettes, et reconnut Rose Ballet. Sans l'heureuse impassibilité dont sont douées les personnes qui traitent du matin au soir avec les pratiques, madame Rigolot eût dû être honteuse; car l'avant-veille elle avait formellement refusé de vendre à crédit un. quart de sucre à Adèle Ballet, qui avait dû s'en retourner en pleurant de ne pouvoir accorder à sa mère mourante une dernière satisfaction. On se souviendra même qu'Adèle offrait en gage sa plus belle robe. Mais sur un mouvement dédaigneux de mademoi-
72 UN INTÉRIEUR.
selle Adeline-Zémire-Idalie Rigolot, l'offre avait été refusée...
Rose eut en entrant le sourire ordinaire de madame Rigolot. La pauvre enfant, nous devons le dire, était aussi bien honteuse. C'est si dur d'aller, dans une boutique, acheter sans argent ! après des refus réitérés ! quand il y a un compte ouvert, et qu'on ne peut acquitter !
Mais dès l'arrivée du docteur, pendant que sa famille se livrait à la douleur, la chère petite avait songé, songé les yeux sur le crucifix. Et ce pauvre crucifix en ivoire lui avait rappelé sa petite croix d'or, si connue, si enviée de mademoiselle Idalie Rigolot!... Sa croix d'or! vendre sa croix d'or ! C'est sa mère qui la lui a donnée, au jour de sa première communion ; oserait-elle s'en défaire ? C'est presque un sacrilége.
Elle rougit d'abord : son coeur palpita. Puis elle regarda encore le Christ, et il lui sembla que ce Dieu mort sur la croix lui conseillait de se détacher de tout à son exemple. Son coeur se raffermit ; elle part :
— Bonsoir, madame Rigolot.
— Tiens, mademoiselle Rose, bonsoir! Qu'estce qu'il y a donc pour votre service, mademoiselle Rose?
Rose Ballet rougit encore plus fort. Elle ne sut un moment que dire, par où entamer son affaire.
UN INTÉRIEUR. 73
— Eh mais! madame Rigolot, je viens aux emplettes. Mon cousin le docteur Bernier est arrivé ce soir, et il nous faut pour le recevoir.
— Bien fâchée, mademoiselle, répondit madame Rigolot, en regardant toujours par-dessus ses lunettes Rose qui baissait les yeux de confusion; mais vous sentez... à crédit, on ne peut pas... dans le commerce... Il faut de l'ordre, de l'exactitude... Les maisons à qui nous avons affaire sont si exactes à se faire payer... Les billets à ordre vous arrivent; il faut l'argent... et puis les banqueroutes, les, mortes-paies... Ce n'est pas , vous m'entendez bien , que je me défie... Mais, enfin, le commerce... Ah! ne m'en parlez pas... C'est des horreurs!...
Pendant ces phrases cauteleuses, entrecoupées, Rose roulait son Christ entre ses doigts dans la poche de son tablier. La pauvre enfant ne se sentait plus le courage de le montrer, ni d'en parler. Et puis son beau petit Christ en or, un don de sa mère... Ah! le coeur lui fendait, rien que d'y penser.
— C'est comme j'ai dit l'autre jour à votre soeur, reprit madame Rigolot, en joignant ses deux mains sur son ventre; j'espère que la pauvre Adèle ne m'en voudra pas... Mais c'est comme cela... de l'ordre, de l'exactitude, il en faut... Sans cela, on ne joindrait pas les deux bouts... Eh! Dieu de mon coeur! le commerce! ajouta madame Rigolot en pliant les épaules en devant.
T. I. 4
74 UN INTÉRIEUR.
Le lecteur saura que Guigui Rigolot, née Courtequeue, avait, indépendamment de son fonds de commerce, quinze à vingt mille francs placés à intérêt.
Rouge de honte, Rose Ballet ne pouvait décrocher un mot; sa langue semblait scellée à son palais; mais à force de rouler son Christ dans ses doigts, elle l'avait enfin extrait de sa poche; le bijou n'échappa pas à l'oeil clairvoyant de Guigui Rigolot, qui venait cette fois de relever la tête pour voir en dessous de ses lunettes.
— Ah! le voilà donc! pensa- t-elle, ce fameux petit joujou que notre fille a tant pleuré pour l'avoir.
— Fin finale, reprit-elle à haute voix, peuton vous demander, sans indiscrétion, si vous avez de l'argent?... C'est comme votre soeur l'autre jour, qui me proposa une robe!... Je sais bien, à beau demandeur beau refuseur, comme on dit ; mais enfin, vous sentez, une robe!... Dieu soit loué! Idelly n en manque pas...
— Tenez, madame Rigolot, dit enfin Rose en surmontant sa honte, je vous dirai franchement
que je n'ai pas d'argent Si ma soeur Adèle
avait eu quelque chose de mieux à vous offrir
qu'une robe, certainement elle l'aurait fait
Mais moi, voilà tout ce que je puis vous présenter
— Qu'est-ce que ça donc? demanda la boutiquière en affectant un air de surprise; tiens! un
UN INTÉRIEUR. 75
crucifix d'or ou de cuivre doré, que je crois
Idelly! Idelly !
— Oui, mama-an! répondit une voix de l'arrière-boutique.
Bientôt on vit paraître sur l'horizon mademoiselle Adeline-Zémire-Idalie Rigolot. C'était une masse dense et compacte de graisse, âgée de seize ans environ. Nous avons peu de chose à dire de ses traits et de sa tournure ; qu'il suffise au lecteur de savoir qu'on la désignait généralement sous le nom de Boule-de-suif. Quant à son caractère , il était tout ce qu'il pouvait être sous les gâteries continuelles d'une mère aveugle. Seulement Idelly promettait d'être encore plus tenace, plus regardante que Guigui Rigolot, et les chalands préféraient de beaucoup la façon adroite mais polie de la mère, au genre accrocheur et guindé de la fille.
Rose salua révérencieusement son ancienne amie et compagne d'école et de catéchisme, qui le lui rendit en avançant le menton et jetant le sommet de la tête en arrière.
— Dis donc, mon toutou, v' là mam'zelle Rose Ballet qui nous offre ce joujou-ci pour de la marchandise... Regarde donc... C'est du cuivre doré, ça, hein?
— Pardon, madame Rigolot, reprit Rose, c'est de l'or, je vous assure, et de l'or pur. Il a été plusieurs fois éprouvé.
76 UN INTÉRIEUR;
— Cela se pourrait bien être de l'or, mama-an, dit Idalie.
— Alors, mon chat, si le coeur t'en dit...
— Mon Dieu ! répondit Idalie avec une légère grimace, quand j'était enfant, je l'aurais bien aimé, je ne dis pas non... mais aujourd'hui, mama-an, tu sens bien... c'est gros comme une croix d'évêque... De quoi aurait-on l'air?...
— T'as raison, mon poulet, c'est bien gros... Avec ça que c'est lourd comme du plomb, ajouta Guigui Rigolot en balançant le christ sur trois doigts....
— Et pis, ce n'est plus la mode... si c'était la mode, je ne dis pas... gna plus que les vieilles femmes qui en portent... Ça va avec une bavette, ça....
— Heu ! petite chattote, dit Guigui Rigolot, en embrassant sa fille, comme t'as bientôt fait de juger la chose!... Oui, avec une bavette, ajoutat-elle en produisant un gracieux sourire, qui alla, comme d'usage, se cacher dans l'angle de l'oeil gauche.
On comprend quel martyre subissait Rose durant cette enquête d'épicières. Elle se détourna, la pauvre enfant, pour essuyer une larme, l'image de sa mère lui revint ; elle se rappela tout ce qu'on lui avait dit en lui suspendant au cou le précieux meuble, au moment même où elle allait recevoir son Dieu pour la première fois Et le
UN INTÉRIEUR. 77
coeur de la pieuse enfant se fendait de douleur. Plus d'une fois l'envie la prit d'arracher son cher crucifix des mains de ces profanes créatures, qui semblaient le marchander encore, comme autrefois Judas. Mais le sentiment des besoins de sa famille la retient ; elle attend en silence ce qu'il plaira aux deux boutiquières de décider enfin.
Cependant Guigui Rigolot ne s'abusait pas sur la valeur réelle de ce beau crucifix, ni même sur l'envie qu'en avait sa fille.
— La petite cocotte, songeait-elle, elle n'en a
pas l'air mais, sapristi! en a-t-elle envie!...
Heu! qu'elle est fine, la Ratote !
En effet, l'objet avait de la valeur. Il pesait 36 francs en or ; mais ce qui valait mieux peut-être que la matière, c'était le travail exquis qu'on y admirait, et pour cette pauvre famille, les souvenirs sacrés qu'il rappelait. Il avait ce prix inestimable que les affections du coeur, que l'infortune même attache aux objets que des mains chères nous ont transmis. Mais la nécessité, l'impérieuse nécessité ! c'est une loi de fer...
— Après tout, songea Guigui Rogolot, moi je le trouve joli, si la grosse n'en veut pas, ce sera pour moi... Et puis, v'là le moyen de raccrocher un petit à-compte de six francs.... Avec des mauvais payeurs, on fait comme on peut.
— Eh bien! tenez, mam'zelle, dit-elle à haute voix, en regardant Rose par-dessus ses lunettes,
78 UN INTÉRIEUR.
la Ratote a raison, ça n'est plus de mode mais
n'importe, à cause que c'est vous, et puis à cause de l'accident de vot' mère, je le prendrai... Combien que vous nous faites ça?...
— Je vous le laisse estimer, madame, reprit Rose en passant sa main sur ses yeux ; j'ai toujours ouï dire à ma pauvre mère qu'on lui en offrait quarante francs.
— Dieu de Dieu ! quarante francs, répondit madame Rigolot, en grattant une de ses verrues plantée sur sa tempe droite ; Cocotte, qu'en dis-tu?
Mademoiselle Idalie tourna la tête vers l'épaule droite, et plia en avant l'épaule gauche. C'était le geste habituel, le tic de Boule-de-suif. Pendant ce temps-là, appuyée sur le dos de la chaise de sa mère, elle plissait le bas de son tablier, qu'elle déplissait, pour le replisser ensuite.
— Jésus ! quarante francs ! répéta Guigui en tournant et retournant le crucifix en tous sens, pour voir s'il n'avait point de défaut. Tenez, mam'zelle, parole d'honneur, si j'en donnais vingt, je croirais bien le payer.
Une horloge placée dans l'arrière-boutique sonna à ce moment une demie. Rose se souvint de l'embarras où devaient être son père et sa soeur ; il lui tardait d'en finir.
— Vingt francs ! madame Rigolot, reprit-elle, c'est bien peu : vous n'y songez pas ! rabattre la moitié du prix ! tout d'un coup !
UN INTÉRIEUR. 79
— Ah! les marchands, ça a le coup d'oeil, voyez-vous, à cause de l'habitude. Qu'en dis-tu, bè-belle?
— C'est ma foi tout ce que ça vaut, répondit Idelly avec le geste ci-dessus, et en déplissant son foulard.
— Comme je vous le dis, mam'zelle, vingt francs, dernier prix. Et d'ailleurs, je ne vous force pas... le v'là vot' crucifix... ajouta Guigui en le rendant à la jeune fille.
Rose baissa les yeux, et parut réfléchir. Il se passait un cruel combat dans son âme. Enfin elle leva les yeux au ciel, comme pour chercher un peu de courage, et dit ?
— Vingt francs ! c'est bien peu ; mais au moins, madame Rigolot, vous me donnerez une miche de pain et un litre d'huile par-dessus...
—Allons ! cela me fera encore une quarantaine de sols de plus que le compte, reprit madame Rigolot; mais qu'en dis-tu, bijou, à cause de la circonstance de leut' mère?...
— Tout ce que tu feras, Mama-an, sera bien fait, répondit Idalie avec un air de fausse compassion ; oui, faut avoir pitié des malheureux.
Ah! que ce mot de pitié tombait lourd sur le coeur de la pauvre Rose ! que c'est dur, cette dédaigneuse compassion des riches !... Mais il fallait s'y résigner. Rose fit un léger signe de tête pour accepter.
80 UN INTERIEUR.
Madame Guigui Rigolot tira de dessous le comptoir un cahier relié en basane jaune, d'un coup de pouce trouva l'endroit, raffermit ses lunettes , et s'appuyant les deux bras sur son livre ouvert, dit:
— Un petit reliquat, mam'zelle Rose; vous ne trouverez pas mauvais qu'on règle tout d'une fois... vous comprenez... voici : 2 livres de sucre.
— Lis donc bien, Mama-an, interrompit Boulede-suif ; un kilo de sucre et non pas deux livres.
— Savante comme un coeur, dit la mère en jetant un coup d'oeil riant à Rose Ballet ; on ne peut lui en revendre sur rien : elle vous raisonne sur les cocogrammes comme pas un... Il sera bienheureux celui qui l'aura...
— Fin finale, mam'zelle, voici votre compte... Guigui Rigolot lut le compte : le total se montait à 6 francs 25 cent.
Restait 13 francs 75 centimes sur lesquels Rose Ballet fit ses. petites provisions. Mais avant de sortir, elle s'arrêta, triste, silencieuse; elle semblait entrer en conseil avec elle-même.
— Ah ! madame Rigolot, dit-elle, une dernière grâce.... laissez-moi le baiser encore une fois.
— Qué conte ! répondit l'épicière, gna pas là moindre difficulté à ça.
Elle tendit le précieux objet à la jeune fille, qui le baisa avec une ineffable tendresse : le coeur lui en allait. Elle laissa couler une larme sur
UN INTÉRIEUR. 81
l'image sacrée, puis sentant que ses forces l'abandonnaient , elle sortit en diligence.
— Le vl'à donc ! fit Idalie en sautant avec la légèreté d'un ours, le vl'à donc enfin ce fameux christ, dont elle était si fière... Tiens, péronelle, attrape ça ! C'est à moi ce coup-ci. Y en passera, va, des gouttes d'eau sous le pont d'Austerlitz — ( elle tenait ce trait de son père le sergent), — voué, y en passera des gouttes d'eau, avant que tu le revoyes ton fameux christ ! Allez donc, hup!
Ici Boule-de-suif recommença son saut périlleux. Tout le plancher frémit sous sa masse.
— Ah! t'es fine, petite gueusotte, reprit Guigui Rigolot avec un sourire de tendresse ; t'as pas l'air, mais la chanson. Que tu semblais n'en pas vouloir, et que t'en avais envie, heu! cocotte ! quelle envie ! ah! linotte!
— Faridondon! Faridondaine! chantait Idalie, en faisant trembler tous les meubles sous son poids, et en soulevant en l'air son crucifix ; nous le tenons! nous le tenons! qui tient, tient, dit Tonton...
— Pas moins, dit la mère, c'est un joli coup de commerce. Je le donnerais pas, comme le vl'à, pour quarante beaux francs.
Peut-être serait-ce le cas de remarquer ici en passant l'espèce de tyrannie qu'exercent sur les chalands les épiciers sans concurrence. Nous devons dire
82 UN INTÉRIEUR.
que Guigui Rigolot avait amassé sa fortune, en . profitant, pour vendre à tout prix, de l'impossibilité où étaient les gens de Monval d'aller à l'emplette ailleurs. On ne saurait croire combien elle avait grapillé, la chère femme, et en toute conscience sans doute, en surfaisant sa marchandise, en escroquant cinq centimes par kilo sur tel article, deux décimes par mètre sur tel autre, et puis toujours une raison à mettre en avant.
— Eh! chère enfant, le sucre hausse, hausse, hausse...
— Les laines sont hors de prix...
— Il y a plus de dix ans que les soies n'ont été si haut; écrivez à Lyon...
— Cela me coûte à moi, tant je gagne un
iard...
— Que vous dites ? J'y gagnerais gros. Fournissez-m'en à ce prix-là : j'en prends dix mille.
— Allez-y à puisqu'on leurs y donne à ce
prix-là. Pour moi je ne puis pas
Et pour l'une ou l'autre de ces raisons, il fallait bien céder. C'est ainsi que l'honnête épicière levait la dîme sur tout un populeux village, et s'arrondissait une fortune en vertu du principe : les gouttes d'eau font les rivières.
Elle appelait cela des coups de commerce. Mais nous doutons fort que jamais coup de commerce lui eût fait plus de plaisir que celui qu'elle venait
UN INTÉRIEUR, 83.
de faire. Elle s'épanouissait à voir danser sa fille : de longtemps elle n'avait été si heureuse.
Pendant ce temps-là, Rose s'en allait en pleurant. Elle devait passer non loin du cimetière ; elle se détourna de quelques pas, s'agenouilla à la porte, et dit en versant des larmes :
— Ma mère! ma bonne mère! vous ne m'en voudrez pas... Vous savez combien j'y tenais... Vous savez tout : ne me grondez pas.
Puis elle récita un De Profundis avec un indicible serrement de coeur. Mais il lui sembla que la voix de sa mère se faisait entendre à elle, et approuvait l'oeuvre de charité qu'elle venait d'accomplir. Elle revit, elle crut revoir l'image de cette mère chérie, lui sourire et lui annoncer que bientôt elle la rejoindrait dans le ciel. Elle s'en alla consolée.
Avant de rentrer, elle colla son oreille contre la porte de la grange, et n'entendit qu'un sourd ronflement. Elle pensa que le vieux pauvre dormait.
Déjà sa soeur Adèle avait tué et préparé une poule. Rose put encore jouir de la douce surprise que son ingénieuse charité causait à son père. Le repas fut triste. Anselme songeait à l'affreux avenir qui se préparait pour lui. Hippolyte, ému d'une profonde sympathie, sondait cette misère si vaste, si universelle, et pourtant si peu méritée.
84 UN INTÉRIEUR.
— Qui dirait, songeait-il, en passant devant cette chaumière, qu'elle renferme de si hautes douleurs? Les économistes et les philosophes qui raisonnent sur le paupérisme et ses remèdes, et qui ne voient la misère que sur le pavé des rues ou dans les bouges des cités, croiraient-ils que là, sous des dehors honnêtes encore, sous l'apparence de la médiocrité, dans une demeure qui n'est ni infecte, ni humide, ni négligée, dans une condition honorable, avec un nom sans tache, une vie régulière, l'amour du travail, une cote même assez considérable, que là, dis-je, et avec tout cela, on puisse être si profondément malheureux?
Pour éclaircir la pensée du charitable médecin, remontons à l'origine des maux de Ballet.
V.
L'INFORTUNE.
Anselme était né au village même de Monval. Son père était un homme à moeurs antiques, craignant Dieu, et du reste possesseur d'une assez belle fortune. Il demeurait avec une soeur unique qui, par goût, ou par attachement pour lui peutêtre, n'avait pas voulu se marier. La révolution venait d'éclater. Le père Ballet resta fidèle aux
86 UN INTÉRIEUR.
principes de son éducation ; sorti un moment de sa paisible obscurité, il montra un grand zèle à soutenir la foi, rendit les services les plus signalés aux prêtres réfractaires, dont sa maison devint l'asile habituel. Cette conduite lui suscita nécessairement des ennemis. Tout le monde sait que les fatales divisions qui déchiraient le sommet de la société, avaient pénétré jusque dans ses éléments les plus infimes. Chaque village avait ses suspects et ses terroristes, ses victimes et ses bourreaux. Ballet dénoncé, fut traîné en prison. Élargi, faute de preuves suffisantes, il n'en continua pas moins sa vie de dévouement. Tant qu'il n'eut que des ennemis au dehors, il tint ferme et s'en soucia peu; mais le serpent se glissa dans son propre foyer. Sa soeur, cette fille jusque-là si calme et si paisible, qui l'avait si bien secondé dans son zèle charitable, séduite par je ne sais quelle espèce d'agent révolutionnaire qu'elle épousa, se lança à pleine voie dans les idées révolutionnaires, et devint son persécuteur le plus acharné. De nouveau arrêté et mis en prison, Ballet ne dut qu'à de fortes sommes d'argent de conserver sa tête. En attendant, sa fortune, jusque-là possédée en commun avec sa soeur, dut être partagée. Son beau-frère l'agent y mit la main, et l'on peut croire qu'il ne lui épargna ni tracasseries ni procès. Bref, quand l'époque de la terreur fut passée, il ne restait à Ballet qu'une fortune au-dessous du
UN INTÉRIEUR. 87
médiocre, une femme habituellement malade, à cause des frayeurs qu'elle avait éprouvées, une petite fille qui mourut en bas âge, et son fils Anselme.
Puis vinrent le Directoire, le Consulat, l'Empire. Malgré son esprit d'économie, son goût pour le travail, le malheureux laboureur ne put jamais se remettre à flots. La maladie de sa femme, tout en le privant d'un aide nécessaire, lui occasionnait encore de grandes dépenses. Il se vit bientôt réduit à un état voisin de l'indigence.
C'est d'ailleurs une remarque frappante, que le cultivateur une fois jeté au-dessous de son niveau, ne peut presque jamais y remonter ; car en thèse générale, il ne peut ni ne doit s'attendre à aucun profit extraordinaire ; pour lui tout est régulier dans les produits, dont le maximum peut toujours être prévu ; il connaît la valeur de ses terres ; il sait à très-peu de chose près ce qu'il a droit d'en attendre ; le sol ne lui ménage point de ces heureuses surprises si fréquentes dans le commerce, et qui suffisent à enrichir un homme dans un instant. Ici tout est lent, tout est calculé ; la terre avare semble ne donner qu'avec peine ; une balance s'établit nécessairement entre les recettes et les dépenses, le prix des denrées s'augmentant avec leur rareté, et l'abondance réduisant les prix. En somme, tout ce à quoi peut prétendre l'immense majorité des cultivateurs, c'est de vivre ; c'est,
88 UN INTÉRIEUR.
suivant l'expression consacrée, de joindre les bouts. Heureux si à la fin de l'année, le malheureux n'est pas obligé d'emprunter pour payer le charron, le maréchal, pour acquitter ses impôts, réparer ses pertes, etc.
Quant à faire du profit pour acheter un sillon à sa convenance, chacun sans doute y prétend, mais très-peu y parviennent. Et encore que de sacrifices, que d'économies, que de privations de tous genres, pour atteindre à ce but si désiré, c'est-à-dire en résumé, pour augmenter ses peines! Sur un laboureur qui met de côté, il y en a cinq qui empruntent.
Car si tous les profits sont prévus, les pertes ne le sont pas. Une grêle, une inondation, un incendie, une épizootie, la perte d'un boeuf ou d'un cheval, une maladie pendant la saison des travaux, et mille autres accidents de ce genre peuvent précipiter le malheureux laboureur, surtout s'il est fermier, dans un état voisin de la misère.
Et pourtant cette condition est encore celle qui offre le moins d'exemples d'extrême pauvreté. Ce n'est pas chez le laboureur que la mendicité recrute ; on voit rarement la main qui a manié la charrue se tendre pour demander l'aumône. Mais c'est beaucoup moins aux avantages de sa condition qu'aux vertus qui l'accompagnent, que le cultivateur doit de se suffire à lui-même. C'est à force d'ordre et d'économie qu'il vit. Si le laboureur
UN INTÉRIEUR. 89
dépensait en menus plaisirs le dixième de ce que l'ouvrier des villes prodigue pour la débauche, il ne pourrait y tenir. Mais tandis que l'ouvrier qui voit arriver l'argent par masse dans ses mains, s'imagine qu'il viendra toujours de même, et ne songe jamais au lendemain, le cultivateur qui achète ce même argent par les travaux de tout une année, et ne le reçoit qu'en petite quantité à la fois, en sent beaucoup mieux le prix, et l'économise avec une admirable persévérance. Et puis comment vit-il ? Nous affirmons que des milliers de cultivateurs envieraient au prisonnier, au GALÉRIEN même, le pain qu'il mange. Mais revenons à notre sujet.
Le père Ballet vit naître pour lui une série dé misères dont rien ne pouvait l'affranchir désormais. Il perdit sa femme ; il se vit forcé de vendre une partie de ses biens ; il tomba aux mains des usuriers... Anselme, élevé dans la gêne, reproduisit dans son caractère mélancolique, la tristesse qui avait entouré ses jeunes années. Mais avec sa misère et son lot de souffrances, son père ne lui avait point légué ce courage chrétien qui l'avait soutenu lui-même à travers tant d'épreuves. Anselme croyait, mais d'une foi molle et faible, sans résultat pour la pratique ; il payait, sans s'en douter, le tribut à son siècle. Le père, au contraire, avait gardé jusqu'au bout cette foi primitive, patriarcale, qui lui avait inspiré de si
90 UN INTERIEUR.
beaux dévouements. Le bon paysan, après avoir fait mille actes de charité héroïque, sans en mesurer seulement la valeur, sans en tirer la moindre vanité, comme s'il n'eût fait que son devoir le plus simple, supporta avec une résignation sublime les cruelles épreuves de ses derniers jours, car il dut se séparer de son fils.
On était en 1809. Anselme, âgé de vingt ans, devenait conscrit. Le sort le favorisa néanmoins, il obtint le dernier numéro de sa classe. C'était un bonheur indicible dans ces époques désastreuses : car alors, aller à la guerre, c'était aller à la boucherie. Mais l'état de détresse où vivait le père d'Anselme rendit cette joie bien courte. Pressé par les usuriers, le malheureux se voyait sur le point d'être exproprié, quand Anselme, mu par son coeur généreux, résolut de se vendre pour tirer son père de presse. Un jeune homme, issu d'une famille noble, mais ruinée en grande partie par la révolution, cherchait partout un remplaçant. Anselme s'offrit : six mille francs : on ne marchanda pas. La moitié de la somme fut versée entre les mains du père Ballet, qui se hâta de la remettre aux usuriers ; l'autre moitié devait porter intérêt et être payée au jeune homme à son retour, ou à son père sur son ordre.
Il fallut se séparer... Ah! que le coup fut cruel! Anselme en souffrit plus peut-être que son père; il n'avait pas, lui, la force d'âme du saint vieil-
UN INTÉRIEUR. 94
lard, et puis il allait vers une vie de péril, vers une mort assurée... Cette séparation fut déchirante; elle acheva de déterminer le caractère triste et mélancolique du pauvre Anselme.
Pour le vieillard, il montra un certain courage; mais en suivant des yeux son fils qui s'éloignait en pleurant, il dit : — La balle qui le tuera n'est pas encore fondue; mais le coup qui m'achèvera est porté.
Il disait vrai. Dès ce moment, il ne fit plus que languir. Le vieux curé de Monval, l'abbé Prétot, venait souvent à son foyer. Là, ils devisaient ensemble du vieux temps et des vieux souvenirs. Ils étaient du même âge; plus d'une fois le bon prêtre était venu, dans les jours orageux, se cacher dans cette chaumière ; il en avait connu tous les recoins ; et c'était pour les deux un intarissable sujet de conversation, que leurs larmes venaient souvent mouiller.
— Ils croyaient vous tenir, ce jour-là, disait le père Ballet.
— Oui, vraiment, Hilaire, et moi je croyais être pris. Je les entendais aussi distinctement que je vous entends, se dire : Nous l'avons vu rentrer ; il ne nous échappera pas.....
— Et la cachette est encore là, Monsieur le Curé à votre service.
— Merci, Hilaire, répondait le vieux prêtre en souriant, elle servira pour d'autres.
92 UN INTÉRIEUR.
— Et le jour de la planche donc, Monsieur le Curé? Jamais ils n'étaient entrés ici, sans la soulever cette planche, que voilà encore—le vieillard montrait un coin de son plancher. — Et ce jourlà, surpris par les gendarmes, nous n'avons pas le temps de vous cacher ailleurs; on vous enfile dans le trou, et pas un d'eux n'a la pensée d'y regarder seulement.
— Je les sentais, Hilaire, oui, je les sentais me marcher sur la tête. Songez, si je faisais mon acte de contrition!...
—Et je tremblais pour vous, Monsieur le Curé ; ah ! cette fois-là je vous croyais perdu.
— La présence d'esprit de votre femme me sauva.—Eh! citoyens, leur criait-elle, la planche, donc ? Vous oubliez ? — Ils n'y avaient jamais rien trouvé ; ils crurent qu'elle se moquait d'eux, et partirent en jurant (1).
— Pauvre femme ! murmura Hilaire d'un ton mélancolique.
— Une sainte, père Ballet : une sainte !
— Ah ! Monsieur le Curé !
— Et nous irons la rejoindre bientôt !.. Entendez-vous, Hilaire ? Mais vous ne partirez pas sans moi, c'est convenu, c'est arrangé, nous nous en irons ensemble.
Le père Ballet manqua de parole. Une nuit on
(1) Historique.
UN INTÉRIEUR. 93
vint chercher l'abbé Prétot, pour rendre les derniers devoirs à son vieil ami. Le chagrin, hélas ! l'avait dévoré ; l'absence de son fils était devenue pour lui d'un poids insupportable. On n'avait pas de nouvelles des armées ; il tremblait que son cher Anselme ne fût mort. Il n'en était rien, mais Dieu se servait de cette occasion pour rappeler à lui l'âme de son fidèle serviteur. La fin la plus digne termina cette vie si obscure aux yeux des hommes, et si glorieuse devant Dieu. Je ne sais quel auteur a dit que les bonnes actions faites pendant la vie se réunissent au chevet du mourant, pour former comme une auréole à son front. Il en fut ainsi pour le noble paysan.
Cependant Anselme vivait. Et dans le même régiment, à côté de lui, se battait le jeune homme même qu'il avait remplacé. Dans ce temps-là, pour avoir échappé une fois à l'hydre, on n'en était pas quitte. Une amitié étroite unissait les deux jeunes gens, malgré la différence des conditions. Mais Anselme vit un jour tomber à côté de lui son ami coupé en deux par un boulet de canon. Son coeur battit déjà bien fort ce jour-là.
Il ignorait encore la mort de son père ; sans cela, il eût envié franchement le sort de son ami. Combien il lui tardait de rentrer à ses foyers, de venir embrasser et consoler ce pauvre vieux père ! Un instant d'éclaircie eut lieu; Anselme, qui avait perdu deux doigts sous le sabre d'un cosaque,
94 UN INTÉRIEUR.
fut renvoyé, et s'en revint, Dieu ! avec quelle joie, avec quelle impatience !
Il trouva, son foyer désert !... depuis deux mois, son père était enterré...
Oh ! qu'il regretta alors de n'être pas tombé sur le champ de bataille ! Oh ! qu'il envia le sort d'Hector de Saint-Vit ! L'abbé Prétot vint bien accueillir le malheureux soldat, chercher à remonter son courage ; les consolations ne portaient pas ; la Religion même n'avait plus de prise sur cette âme ulcérée par l'infortune et flétrie par le fatalisme.
Car le soldat impérial était fataliste, comme son chef.... Napoléon croyait à son étoile : les soldats y croyaient comme lui. Avec un empereur sans religion, avec des généraux sans moeurs, au milieu d'une atmosphère pleine de gloire et vide de Dieu, le soldat s'habituait à se battre comme un héros, et à mourir comme une brute.
Quand Anselme revint, il rapportait une mélancolie profonde, une extrême sensibilité ; mais il vait laissé par là, à travers champs, deux doigts, son courage chrétien, la foi de son berceau, le Dieu
de son père et de sa mère
Un instant cependant le bonheur sembla lui sourire. Rappelé sous les drapeaux, il avait été licencié après les Cent-Jours ; mais le reste de la somme qui lui était due n'avait point été payé.— Je ne veux point y toucher, avait dit le père Ballet ;
UN INTÉRIEUR. 95
il faut bien qu'il retrouve quelque chose quand il reviendra ; j'en ai toujours assez pour mourir ; lui, il lui en faut pour vivre...
Or, la famille de Saint-Vit se trouvait de plus en plus hors d'état de payer. Une succession d'événements malheureux avait pesé sur elle : la mort du jeune Hector vint y mettre le comble, et pour dernier complément, le père fut assassiné. Le crime resta enveloppé d'une affreuse obscurité. Hors d'état de satisfaire à la dette sacrée contractée envers Anselme, madame de Saint-Vit lui dit un jour:
—Ballet, il ne nous reste qu'une chose à faire : c'est d'unir nos deux misères. Je n'ai plus que ma fille pour tout bien ; la voulez-vous?
Anselme n'eût osé prétendre à tant d'honneur. Marguerite de Saint-Vit était tellement au-dessus de lui par sa naissance, par son éducation, par ses formes, qu'il rougit à la proposition qu'on lui faisait. L'affaire se conclut cependant. Les deux caractères s'assortirent si bien, que l'union la plus parfaite en résulta. Élevés tous les deux au sein de l'infortune, doués de tact naturel et de sensibilité, ils se trouvèrent réunis par cela même qui est la cause principale du trouble domestique, la pauvreté! Anselme sentait la supériorité de sa femme ; il savait y déférer. Marguerite rendait justice aux qualités de son mari, et n'agissait que par lui. C'était de ces ménages rares et heureux,
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où personne ne commande et où tout le monde obéit.
Six enfans naquirent de cette union. Et comme de petits oiseaux, nés d'espèces différentes, reproduisent dans leurs plumages, et même dans leurs habitudes, quelque chose de leur double principe, ainsi les enfants de Ballet portaient comme un double sceau, qui attestait l'influence variée qui avait présidé à leur éducation. Ils tenaient de leur mère une délicatesse de sentiments, un tact, des formes, un langage même évidemment au-dessus de leur condition ; mais le tout mélangé d'un peu de fierté de race, d'un certain orgueil de famille, qui déplaît généralement dans les conditions inférieures, parce qu'il n'est pas soutenu par la fortune , et qu'il a les inconvénients du rang, sans en avoir l'éclat. De leur père, ils avaient recueilli des moeurs plus communes, la vivacité du caractère, une obligeance plébéienne, une étourderie impatiente et un peu de fatalisme même.
Oui, le fatalisme du vieux soldat de l'Empire avait gagné sa couvée. A force de l'entendre parler de son étoile, les enfants avaient fini par y croire. L'autorité de la mère, qui était sincèrement pieuse, avait bien contrebalancé cette influence , mais ne l'avait pas détruite entièrement. En sorte que, ici encore, le double principe se faisait remarquer : dans les événements heureux, on remerciait, on bénissait le Bon Dieu avec la
UN INTÉRIEUR. 97
mère; dans les accidents malheureux, on se rangeait du côté du père, et l'on revenait à l' étoile.
L'étoile, la fatale étoile semblait régler toute la destinée d'Anselme.
Une exception pourtant, et bien tranchée, se faisait remarquer dans Rose. Celle-là différait entièrement de ses frères et soeurs : l'âme de sa mère était passée tout entière dans son âme.
Dans les premiers jours de son mariage, Marguerite Ballet s'était aperçue, que, malgré ses bonnes qualités, Anselme s'égarait. La sensibilité de l'âme, exaltée par de longues souffrances, est le plus mauvais guide qu'on puisse prendre. Malheureuse aussi, faible peut-être même par nature, elle sut pourtant puiser dans sa piété, dans le sentiment du devoir, le courage de servir d'appui, de redresser, de soutenir, de consoler. On oublie ses maux en allégeant ceux des autres ; on se fortifie de tout l'appui qu'on prête. Et vraiment, on ne saurait trop le répéter : la religion est, pour la femme surtout, le principe de toute force;.par elle, elle peut tout; sans elle, elle ne peut rien. Oh! que nous voudrions que l'épouse chrétienne comprit tout ce que la foi lui donne de puissance et d'empire sur l'homme !
Mais ce n'était point par les remontrances, par les avis donnés à temps et à contretemps, que la pieuse Marguerite espérait ramener son époux à des pensées meilleures. Elle savait qu'il y a un ar-
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gument plus puissant que les paroles, l'exemple. C'était à force de douceur et de déférence, c'était par cette influence irrésistible d'une conduite pieuse et irréprochable, qu'elle songeait à influencer un coeur naturellement droit, mais dévié par la double tyrannie de l'infortune et du mauvais exemple. Quelle nature si perverse résisterait à cette action incessante de l'amour et de l'estime, partant d'un être auquel on a lié sa destinée?
Anselme subit bientôt ce noble ascendant. Il aima la vertu quand il la vit de si près ; il supporta l'infortune, quand il la vit relevée, ennoblie par tant de courage. Peu à peu la foi de son enfance sembla reprendre sur lui de l'empire : mais c'était bien faible encore; l'oeuvre de la grâce ne marchait qu'à petits pas ; il se réconciliait néanmoins avec la pensée chrétienne, quand tout à coup la mort vint le frapper, au coeur même de ses affections...
— Elle avait beau dire, songea-t-il en reculant alors tout d'un trait à ses idées de soldat : j'ai là mon étoile... je subis mon étoile...
Le bonheur, disions-nous, avait un moment souri aux yeux d'Anselme. Marié à une femme qu'il aime et qu'il respecte, honoré par une alliance qui le rélève au-dessus de sa condition, jeune, robuste, ami du travail, sobre, économe, que lui manquait-il pour former un rêve, un de ces rêves qui sont permis, même au sein de l'infortune?
UN INTÉRIEUR. 99
Mais il tomba vite, ce rêve, ou plutôt il se dédoubla, car deux éléments le composaient, l'un positif, l'autre idéal; l'un de réalité, l'autre d'espérance. Ce qui resta à Anselme, ce fut l'attachement tendre, le dévouement, les vertus de sa femme, la paix domestique, l'union du ménage. Ce qui s'envola, ce fut l'espoir de sortir de l'état de gêne où il se voyait; le bonheur de procurer à sa femme et à sa famille non la fortune, mais une modeste aisance... Oh! à ceci, Anselme dut y renoncer, car sa position s'aggravait tous les jours. Cette pente inaperçue, qui entraîne l'eau dormante, le menait insensiblement à sa ruine. Tous les jours, malgré son travail assidu, son économie et sa sobriété , sa détresse augmentait. Le nombre dé ses enfants vint encore multiplier ses charges et accélérer sa perte. Anselme n'avait plus en perspective que la misère, que l'affreuse MENDICITÉ !
Et ce pauvre père aimait passionnément ses enfants. Il semblait que l'indigence les lui rendît de plus en plus chers. A mesure que ses ressources diminuaient, il sentait s'éveiller dans son coeur un nouvel et irrésistible attachement pour ces objets de sa tendresse. Heureux, il les eût moins aimés peut-être ; car à l'affection naturelle que porte un père à ses enfants, se joignait pour lui cette tendre, cette immense pitié qu'on éprouve pour ceux que l'infortune menace. A chaque heure, il portait ses yeux sur ces pauvres innocents, et
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ses larmes coulaient à la pensée qu'il ne les avait engendrés que pour le malheur. Dans sa sombre imagination, il se les figurait déjà tous, le havresac au dos, et alors un bouleversement étrange troublait tout son être. Et puis il levait les yeux du côté du bois, du côté de l' étang ; et il secouait la tête, et il pensait : il y a là place pour moi... pour tout le monde.... je ne veux pas les voir malheureux...
La mort de sa femme produisit en lui un effet qu'il serait difficile d'analyser. Il perdait en elle son appui, celui de ses enfants ; il perdait une compagne chérie, qui savait supporter plus de la moitié de la charge, tant elle y mettait de vertu et de force d'âme! Mais au fond, il se félicitait qu'elle eût pris son avance ; il goûtait quelque consolation à penser qu'elle était morte avant d'avoir vu ses enfants réduits à la plus profonde misère.
— Elle est partie au bon moment, disait-il, avec un sourire amer ; elle s'est dispensée de faire un havre-sac à ses enfants. Économe, vas !
Car, au moment où Marguerite Ballet descendait dans la tombe, Anselme était menacé d'expropriation. Il devait six mille francs. Depuis plusieurs années, pressé de rembourser cette somme, il avait toujours pu, à force de privations, payer les intérêts, au 12 pour cent ; cette année il était absolument hors d'état de le faire. Quelque temps avant la mort de sa femme, il avait reçu un avis
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de son créancier ; la mort de cette malheureuse avait cependant suspendu les poursuites. Mais peu de jours sans doute devaient s'écouler, avant que la menace ne fût réitérée et exécutée.
Comment Anselme était-il redevable d'une somme si exorbitante? c'est ce que trois mots expliqueront.
Ballet père avait vu presque toute sa fortune passer aux mains de son beau-frère l'agent. Une autre portion s'était engloutie dans les mains des avocats et des procureurs. On sait combien il faut gagner de procès pour être ruiné. Ballet avait toujours gagné ; et voilà pourquoi sa décadence avait été si rapide.
Les trois mille francs que lui avait procurés la vente de son fils l'avaient libéré de ses dettes. Mais il ne possédait presque plus rien. Et l'on ne peut dire jusqu'où le bon vieillard avait poussé l'économie, pour réserver à son fils le reste de la somme. Pendant plusieurs semaines il ne vécut que de bouillon d'herbes, c 'est-à-dire d'un peu d'eau dans laquelle des herbes avaient cuit, sans sel et sans beurre. On ne peut guère douter que ces privations n'aient abrégé ses jours.
Quand Anselme rentra, il trouva quelques terres délabrées, une maison ruinée, un grenier vide, quelques pièces de bétail étiques. On lui devait trois mille francs, qu'on ne pouvait payer. Il eut pour tout cela, une femme, et quelques
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débris de prés et de champs, à peu près dans le même état que les siens.
Cependant, il y avait là encore de quoi vivre. Économe et laborieux, il pouvait raccommoder ces propriétés ruinées, et se créer une sorte d'aisance. Il était dans une condition commune : quinze mille francs environ de biens fonds, deux bons bras, l'amour du travail, et une excellente ménagère. Il pouvait s'en tirer, si les événements le secondaient. Mais son étoile était là. Il perdit d'abord un boeuf, puis une vache... sa femme
tomba malade une épizootie lui enleva son
cheval l'année de la famine vint (1). Il fut
obligé pour vivre de vendre plusieurs pièces de champs et des meilleures, et cela à un prix infiniment au-dessous de la valeur réelle, etc., etc. (2).
Or, c'est un fait incontestable, nous le répétons, que le cultivateur une fois en arrière ne peut plus retrouver son niveau. Nous en connaissons dont les biens fonds représentent une valeur de quarante ou cinquante mille francs, et qui traînent depuis vingt ans une dette de cent écus, sans pouvoir s'en affranchir. Et nous doutons qu'ils en
(1) 1816-1817.
(2) On ne saurait dire combien cette fatale année a ruiné ou arriéré de pauvres familles , surtout dans la classe des fermiers: et ce malheur peut se représenter. Ceci fait voir combien est étroite, difficile et précaire l'existence de la classe agricole.
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viennent à bout de toute leur vie ; et cela, avec de l'ordre et une économie qui va jusqu'à la crasse.
Anselme fut réduit ainsi à emprunter. Il tomba de droit aux mains d'un usurier. Ce seul mot dit tout. On put dès lors lui prédire une ruine prochaine. Le premier emprunt fut en 1818 de quatre cents francs. Vingt ans après, Anselme avait vendu une partie de ses fonds et devait six MILLE FRANCS!!!
Et encore, tant que sa femme lui était restée, tant qu'il avait eu de la santé, tant qu'il avait vu ses enfants seconder ses travaux par leur activité, il avait toujours espéré. L'espérance est le dernier bien des mortels ; elle est restée au fond de la boite de Pandore... Mais aujourd'hui tout lui échappe à la fois.
Sa femme meurt ;
Sa santé est perdue ;
Sa belle-mère est folle, au moins malade ;
Son fils va subir la conscription ;
Sa seconde fille est menacée d'une mort prochaine ;
Ses biens sont menacés de l'expropriation ;
Il n'a donc plus en perspective que la douleur, et ce qui le révolte le plus profondément, la misère, la MENDICITÉ !
Nous prions le lecteur de croire que ce tableau n'est pas purement idéal. Nous aurions pu le charger encore sans sortir de la vérité.
VI.
UNE SCÈNE.
La présence d'un ami sincère est un grand soulagement dans l'infortune, et Hippolyte Bernier en était un. Il connaissait en grande partie les maux de son parent, et devinait le reste. La certitude qu'Anselme était affecté d'un mal incurable, ajoutait encore à la compassion que lui inspirait le sort de ce malheureux. Le pauvre docteur ne
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savait plus comment essayer de la consolation ; les paroles expiraient sur ses lèvres. Il considérait avec une affectueuse pitié la mine cuivrée d'Anselme, il écoutait sa voix sourde et creuse, il regardait ses enfants ; et toutes les parties de ce tableau l'occupaient tellement tour à tour qu'il ne se retrouvait plus lui-même.
Au lieu de ramener la gaîté, il avait besoin d'être distrait. Rose, toujours ingénieuse, toujours active, tâcha de rappeler la conversation à des sujets moins tristes : elle y réussit. La chaleur de l'amitié, le doux entraînement du repas, déridèrent enfin ces fronts nébuleux ; Bernier et Anselme s'abandonnèrent aux épanchements de leur affection mutuelle. On espéra, on sourit, on pleura, on refit des rêves... Les rêves, c'est le premier besoin, c'est l'unique consolation du pauvre. Personne ne rêve autant, plus doucement que le pauvre : la réalité a beau renverser un à un ces songes flatteurs autant que fragiles,on les reconstruit avec la môme facilité, on s'y laisse aller de nouveau, et on retrouve dans la joie de les rebâtir une compensation à la douleur de les avoir vus tomber.
Le pauvre rêve beaucoup plus que le riche. Nous avons été plus d'une fois ému jusqu'aux larmes en entendant des malheureux formuler leurs rêves. Il s'agissait de si peu de chose, et ce peu de chose était tant pour eux, que le contraste de ce rien et de cette ardeur de désir nous péné5.
péné5.
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trait l'âme. Pauvre coeur humain que si peu de chose occupe, et que rien ne peut remplir!
Bernier, naturellement généreux et bon, secondait Anselme dans ses illusions. Les rêves construits à deux ont une force irrésistible. Les probabilités, les possibilités mêmes, deviennent des certitudes. Combien de faces nouvelles et variées l'on découvre ! Avec quelle joie on s'entraîne l'un l'autre dans ce dédale riant d'éventualités ! L'avenir est toujours si riche. Ah! c'est une chose sacrée que les rêves de l'indigent! Malheur à qui aurait le courage de les flétrir !
Anselme qui était si pauvre au commencement du repas, se trouvait riche à la fin. Son coeur palpitait d'une force étrange. Bernier jetait à chaque instant un coup d'oeil à la dérobée pour suivre les mouvements tumultueux de ce pauvre coeur que le plaisir agitait maintenant, comme tout à l'heure la souffrance. Et cet aspect modérait singulièrement sa joie.
Qui a jamais vu deux pauvres à table? Que leur joie est plus vive, leur amitié plus franche que celle des riches ! Je ne connais rien de large, de généreux, d'aimant comme le coeur du pauvre, quand il a subi ce chaleureux entrain de l'amitié. Les riches sont toujours réservés et secs : le pauvre est d'un abandon charmant; il donne tout, il donnerait tout s'il avait ; ses étreintes sont chaudes, ses promesses sont sincères. C'est comme
UN INTÉRIEUR. 107
une terre longtemps délaissée et qu'échauffe un rayon de soleil ; une sève immense y circule.
Bernier, pauvre lui-même, promit tout pour tirer son cousin de presse. Il calcula ses moyens, parla de ses amis, énuméra ses espérances. Bernier, dont la fortune était si mince, l'existence si pénible, se trouvait tout à coup riche à donner, à aider, à soulager dix misères comme celles qu'il avait là en face... Et pourtant quand ses yeux se rabattaient sur ce coeur qui palpitait sous l'effet même de son amitié brûlante, il sentait son impuissance, il se disait tout bas : toi qui ne peux pas seulement le guérir! Mais Anselme, tout entier aux illusions que lui créait son ami, ne songeait plus qu'au bonheur d'épargner à ses enfants les horreurs de la misère; il ne songeait plus qu'à témoigner à son généreux parent la vivacité de sa reconnaissance. Son coeur battait, battait alors ; mais il ne s'en apercevait plus.
Rose, heureuse de le voir sortir de sa tristesse , ne se laissait pourtant point aller aux espérances qui le flattaient. Elle sentait que le Ciel les avait privilégiés pour l'infortune. Au lieu de sourire, elle pleurait. Quelques instants avant de se mettre à table, Bernier l'avait prise à part :
'— Je te crois courageuse, enfant, lui avait-il dit, et voilà pourquoi je te confie un secret.
— Parlez, mon cousin, Dieu voudra que je puisse le supporter.
108 UN INTÉRIEUR.
— Eh bien ! ton père est malade.
— Je m'en doutais, reprit Rose, son coeur bat bien fort.
— C'est cela même; il est atteint au coeur... d'un anévrisme !
La jeune fille joignit les mains à cette révélation accablante, les porta jusqu'à sa figure qu'elle y appuya, et parut abîmée dans une résignation profonde.
— Et on en meurt bien vite, mon cousin, de cette affreuse maladie?
— Non, mais on meurt subitement, sans annonce, sans préparation, à table, en marchant, en montant un escalier, en faisant un effort quelconque. Et voilà le côté triste de cette affection fatale, c'est qu'on n'a pas un instant à soi.
— Et quel remède? dit l'enfant en relevant sur Bernier ses yeux remplis de larmes.
—Point que je sache ; le repos, le calme, éviter les mouvements trop brusques, les efforts exccessifs, toutes les affections vives, de joie ou de tristesse.
— Ah ! de joie, répondit Rose en portant à sa bouche la main de son cousin qu'elle mouilla de ses pleurs, de joie... c'est facile, mon cousin... mais de tristesse !
Rien ne peut rendre les traits de la jeune fille pendant qu'elle exprimait ces mots, ni le son pénétrant de sa voix.
—Je le sais, je le sais, mon enfant, reprit Bernier
UN INTÉRIEUR. 109
ému de cette douleur touchante... Et il ne tient pas à moi qu'il n'en soit autrement...Tu ne doutes pas que je ne sois prêt à tout faire pour alléger l'infortune qui vous menace...
— Je connais votre bon coeur, mon cousin, et je vous en témoigne ici ma reconnaissance. Mais il est des maux que la prudence humaine ne peut ni prévoir ni réparer... CELUI qui est là-haut veillera sur nous.
Elle prononça ces mots d'une voix plus ferme et avec un air inspiré. Elle essuya ses larmes, et comme si elle eût été honteuse d'un moment de faiblesse, elle tâcha de rasséréner sa figure.
— Une grâce, mon cousin, c'est que vous ne parliez de ceci à personne. Je vous remercie de ce que vous avez eu le courage de me le révéler ; mais peut-être cette affreuse nouvelle produiraitelle sur mon frère, sur ma soeur, un effet tout différent. Vous me le promettez, mon cousin ?
— Volontiers, mon enfant, et je te confie spécialement, exclusivement le soin de ce pauvre malade. Je sais assez combien il t'est cher !
— Ah ! mon Dieu ! fit Rose, en levant au ciel ses yeux qu'une larme involontaire venait encore mouiller.
— Et toi, ma fille, comment vas-tu? reprit Hippolyte, que tant de grandeur d'âme touchait.
Car la pauvre enfant était aussi menacée d'une mort prochaine.
110 UN INTÉRIEUR.
— Assez bien, mon cousin. J'espère avant peu rejoindre ma pauvre mère...
— Allons donc, Rose! interrompit le docteur; quelle idée singulière vas-tu encore te mettre dans la tête?
—Vous le savez bien, dit-elle en souriant, nul ne le sait mieux que vous. Mais moi je le sais aussi, ma mère me l'a dit.
Bernier la regardait fixement, ne comprenant pas qu'une jeune fille de quinze ans parlât de la mort avec un si grand calme.
— Mais, ajouta-t-elle, je prierai le bon Dieu de ne pas permettre que je meure avant que mon père soit hors de peine, et je prierai tant et si bien qu'il m'accordera cette grâce. Et puis la sainte Vierge! Oh! elle ne m'abandonnera pas : elle est si bonne ! Je désire mourir...
— Et pourquoi, dit Hippolyte, en contenant avec peine son émotion, pourquoi veux-tu mourir si tôt?...
— C'est mon secret, reprit l'enfant en posant contre son front l'extrémité d'un de ses doigts. Mais que faut-il faire pour adoucir à ce bon père ses derniers moments ?
— Je te l'ai dit : de la gaîté... pas de soucis... des distractions aimables.
— Tout ce que nous ne pouvons pas lui donner, je le vois. Cependant nous tâcherons... Et vous, mon cousin, laissez-le dans l'illusion. Nous som-
UN INTÉRIEUR. 111
mes pauvres, plus pauvres que vous ne pouvez croire ; mais n'ayez pas l'air de vous en apercevoir, cela blesserait son extrême susceptibilité. Rassurez-le surtout sur mon compte ; il sait que je dois mourir, et c'est un de ses plus gros soucis. Dites-lui tout ce que vous pouvez dire de rassurant , sans mentir.
— Et tu serais bien aise de mourir, enfant? dit Bernier qui ne pouvait croire à tant de courage.
— Oh! bien aise, mon cousin, surtout si je laissais ma famille dans un état d'aisance. Mais, ajouta-t-elle avec mélancolie, je dois renoncer peut-être... à cette espérance...
— Et tu comptes bientôt mourir ?
— Au printemps prochain. Je ne puis plus aller loin, à en juger par ma faiblesse et les progrès de mon mal. Croiriez-vous que pour aller d'ici chez madame Rigolot, il a fallu m'arrêter cinq fois ? L'haleine me manque ; et puis je tousse, et puis je crache, et puis des douleurs dans le dos, de la gêne, de l'oppression... N'est-ce pas, mon cousin, que je ne dépasserai pas ce terme? au mois de mai prochain...
— Peut-être ! peut-être ! répondit Hippolyte en hésitant; on ne sait... Quelquefois on est si singulièrement trompé...
—Allons! allons! vous me traitez comme une petite fille, dit Rose en souriant et en posant un de
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ses doigts sur sa bouche. Mais c'est bien là-dessus. Ce père, ce pauvre père, consolez-le, soutenezle, je vous le recommande, mon cousin. Oh! vous ferez un acte de charité dont je vous sera; reconnaissante toujours, toujours.
Ils rentrèrent. Bernier tint parole. Il réussit à infuser un peu de courage dans le coeur de son ami ; il promit de faire tout ce qui serait en son pouvoir pour lui trouver un emprunt à un taux raisonnable ; il le flatta de l'espoir de voir sa fille se guérir. Et pendant ce temps-là, Rose fixant ses yeux sur le coeur de son père, en comptait les battements; chacun d'eux lui faisait mal. Parfois, quand une parole consolante de Bernier, quand un mouvement d'espoir, ou une pensée pénible, ou un souvenir amer le faisait battre plus fort, la pauvre innocente craignait de le voir rompre son enveloppe, et se briser sous ses yeux. La joie factice d'Anselme lui déchirait l'âme.
La nuit avançait. Bercés par mille sentiments divers, les deux amis avaient devisé, craint, espéré , ri et pleuré : c'est si doux de mêler ensemble des affections vraies et sincères! Un moment le silence s'était fait, un de ces silences improvisés, subits, qui laissent bruire dans le coeur tous les sentiments qui viennent de l'occuper, à peu près comme le timbre d'une cloche qui a cessé de sonner agite encore les airs. On n'entendait que le son régulier du pendule de l'horloge, de cette vieille
UN INTÉRIEUR. 113
horloge qui avait sonné toutes les heures des aïeux de Ballet de temps immémorial. On écoutait silencieux, partagé entre la douleur et l'espérance, qnand un cri affaibli se fit entendre. Il fut bientôt suivi d'un autre que l'on dut croire un cri de détresse, tant il était rauque et éclatant. Rose avisa son vieux pauvre, et courut prêter l'oreille à la porte qui conduisait de la cuisine à la grange. Elle ne se trompait pas ; c'était Dodo qui poussait des hurlements saccadés, puis se taisait, puis hurlait de nouveau, en donnant à sa voix de stentor un développement extraordinaire. Elle se hasarda à entr'ouvrir la porte : la petite lampe qu'elle avait laissée allumée, était éteinte ; et le mendiant criait et se débattait dans l'ombre. Elle eut peur, la jeune fille, elle vint toute tremblante avertir ses gens; on se rendit dans la grange, et là on fut frappé d'un spectacle aussi singulier qu'effrayant. Mais remontons un peu plus haut, au moment même où Dodo détachait ses yeux de la porte où il avait vu s'éclipser Rose Ballet.
—Heu! destin! s'était-il dit en croisant les bras, et en passant, suivant son habitude, sa langue sur les poils blancs qui bordaient son menton. Heu ! cristi de malheur ! nom de nom de malheur ! qu'y faut que je portasse ça sur le coeur... Quoi, jusqu'au fond, jusqu'au fin fond de la chose ! Fallait-il pas encore que je trouve là c'te autre vieille, c'te pau-
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vre vieille, que le coeur du ventre m'en a remué dans la panse. Voyons donc, nah ! que je ne pourrais pas éviter ca, ni dessus, ni dessous!... Et que çui de là haut me poursuit comme un loup, et que ça fera ma fin? Heu! malheur! répétait-il en laissant tomber ses bras, et en fixant ses yeux sur le petit gobelet d'étain.
Il resta longtemps abîmé dans ses réflexions. L'extrémité de ses doigts tremblait, sous la touche de la sensation énergique, dont la présence se révélait sur ses traits. Puis, se retournant contre le mur, il regarde obliquement son crucifix. Sa bouche alors ouverte à un angle et serrée à l'autre, avait pris l'expression d'une ironie amère. Puis il soupira et baissa les yeux comme si l'aspect de l'image sacrée eût soudain donné le change à ses pensées.
— Si on tâchait de fermer l'oeil donc, en dedans et en dehors, dit-il en s'étendant sur la paille qui formait sa couche. Faut-y donc, fauty donc! Mais là, juste, tomber sur c'te vieille qui me reconnaît. Ça dormait là, continua-t-il en frappant sur sa poitrine avec une vigueur colérique. Oui, ça sommeillait, et pis, nom de nom! v'là que tout d'un coup ça ressort et ça bouligue de plus belle... Mais queu que tu fais donc làhaut, tonnerre de nom de chien, que tu ne broyes pas la caboche du Dodo ? A quoi qu'y sert donc, ici-bas, à traîner sa carcasse, pisque çui de là-
UN INTÉRIEUR. 115
haut l'a maudit? Mais là, juste, sus c'te vieille. Heu ! faut-y ! faut-y !
Le mendiant s'était étendu sur sa paille et cherchait à s'endormir. Mais l'agitation à laquelle il était en proie ne lui permettait pas de songer au repos. Il se retournait sur sa couche avec une vivacité impatiente, et tirait du creux de sa poitrine de longs et douloureux soupirs.
— V'là trois nuits que t'as pas tapé de l'oeil, pauvre Dodo, reprit-il dans son monologue à demi voix, il faut encore que tu passasses celle-ci toute blanche. Pourquoi donc que t'as pas levé le piquet, quand c'te vieille-là t'a montré sa frimousse? Pardine! que tu l'as reconnu, faut-y voir ! Et là tout juste, que ces gens-là te montrent de la charité, comme pour te vesquer ! Et c'te petite ange donc, que c'est doux comme un coeur de pain d'épices; un agneau, un poulet, quoi !... Faut-y donc pas qu'on soit malheureux... Heu ! enfer du bas, es-tu aussi dur que çui du dessus !
En prononçant ces mots, l'athlétique vieillard se démenait, se retournait avec une roideur étonnante. Puis, se couchant à plat ventre, les deux bras étendus il essayait de se calmer, d'échapper aux pensées violentes qui le torturaient. Effort inutile! Bientôt il se lève, croise de nouveau ses bras, et regarde autour de lui d'un air effaré. Après avoir longtemps cherché des yeux :
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—Y n' y est pas pourtant; queu que tu te fourres dans la caboche, vieux tison? se dit-il; qué idée que tu as là? Voyons donc! est-ce que les morts reviennent? Pardine ! est-ce que ça sort de la tombe ? Ah ! il y a été trop bien enfoncé çui-là et tous les autres. T'es fou, Dodo, t'es fou; y a queuque chose qui te brouille la boule; faut pas te laisser comme ça... Et pis, que ton estomaque est creuse comme pas une, et qu'une lampée de goutte te fera du bien. Hum ! hum ! on la gobe...
Il étendit la main, saisit le vase d'étain, et avala d'un trait le peu d'eau-de-vie qu'il contenait. Puis se recouchant à plat ventre, il parut un instant s'assoupir. On entendait son râle vigoureux , semblable au ronflement d'un boeuf.
— Enfer des enfers ! s'écria-t-il, en se relevant tout à coup et en saisissant son bâton ; pourquoi donc qu'y faut qu'on porte l'enfer dans son coeur? Quand ça sera-t-y la fin des fins? Catachrèse de vieille, vas ! si je t'avais étouffée, là, quoi ! on ne parlerait plus de toi : et j'avais bien aisé ! Pourquoi donc qu'y faut que tu viennes, là, pour me remettre le feu dans le ventre, pisque ça dormait tranquille? C'est pas que j'ai peur de toi, vieille fripée, que je ne te voyais pas ; mais pourquoi donc que tu ouvres la gueule pour brailler et me montrer au doigt ? Heu ! mille tonnerres !
Dodo avait jeté son bâton et tenait ses bras étendus. La férocité de ses traits était montée au plus
UN INTÉRIEUR, 117
haut degré. Ses deux lèvres enroulées dans sa bouche laissaient saillir ses longs poils de barbe et son nez pointu ; ses cheveux avançaient, reculaient sur le sommet de son crâne; et ses yeux fixes et pétillants s'enfonçaient sous ses sourcils et sous un amas de rides agglomérées au bas de son front. Il semblait en ce moment pétrifié par la fureur. La lampe éclairait faiblement les objets ; Dodo les parcourut encore une fois du regard, étudia tout autour de lui, et plongea de sa vue perçante jusqu'au toit, à travers le perchis, où quelques gerbes d'avoine reposaient encore, unies entre elles par d'innombrables toiles d'araignée. Partout le silence et une immobilité lugubre. Mais ces profondeurs semblaient se peupler pour lui d'une foule d'êtres fantastiqnes, que ses yeux suivaient avec anxiété. Puis, revenant bientôt à lui par un mouvement saccadé :
— Ça serait fini tout de même, dit-il, en reposant ses yeux sur la lampe fumeuse; oui, tout d'un coup... Il a raison, le père Grognon... On serait grillé là comme une friture, dans un moment. Et elle ne gueulerait pus la vieille : et j'en ferais la fin. Là, oui, là, continua-t-il en relevant la tête pour voir les gerbes suspendues audessus de lui, un zest de temps, et tout serait flambé. Heu ! Dodo ! heu ! Dodo ! la bonne idée qu'il a eue là, le cher homme... Et tu seras làdessous enfoui comme une taupe, sous la braise.
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Dans une minute t'auras oublié de souffler. Pour lors, ce sera fini... du dessus du moins; pour le dessous, on verra, si çui de là-haut est dur... Ah! s'il est dur, tout est définagé... Mais queu que ça fait donc, ajouta-t-il avec une sombre énergie, et en fourrant les deux mains dans ses cheveux; oui, queu que ça fait, mille millions ! pisque t'es un malheureux, un martyr? Allons, Dodo, du coeur, fais pas le lâche... y dorment tous...
Et le misérable s'approchait de la lampe, et allait exécuter l'idée funeste qu'on lui avait suggérée. Déjà il tenait la lumière, et cherchait des yeux l'endroit où la placer, quand revenant à lui par une pensée soudaine :
— Mais elle, pendard de chien que tu es ! mais elle, c'te petite ange ! qui est pus douce, pus gentille qu'un saint du Paradis ! Elle qui t'as donné une lampée de goutte, qui s'est montrée si bonne, qui te parlait du saint bon Dieu, avec une douceur si douce, quoi ! que ça te remuait le coeur du ventre ; elle qui a une petite mine si gentille, que sa bonté fait pleurer. Dis donc, Dodo, est-ce que t'aurais le coeur de la griller? toi qui larmeyais tout à l'heure en entendant sa voix doucerette... Ah ! tu crèverais pus tot sur place que de l'y faire le moindre mal, hein? Non, non, mille noms de chien ! tu n'y feras pas tomber un cheveu de sa tête... C'est un petit ange ! Et qu'est-ce que ça te fait à toi, le Grognon?...
UN INTÉRIEUR. 119
Telle était l'impression qu'avait faite sur ce misérable vieillard la charité d'un enfant, qu'il sentit tomber à sa seule pensée l'affreux projet dont il allait devenir l'instrument. Cédant alors à la vivacité de ce sentiment, il lance avec une vigueur étonnante contre la muraille la lampe qu'il tenait à la main, en lâchant un juron énergique qui retentit sous le toit. Quelques mugissements de vaches y répondirent. L'obscurité était complète. Dodo eut peur : il se rapprocha de sa paille et s'y étendit de nouveau, afin de faire un dernier effort pour obtenir le sommeil. Pendant une demi-heure, il resta immobile. Son râle lent et pénible interrompait seul le silence ; et les animaux dans l'écurie dressaient l'oreille, écoutaient avec une sorte d'anxiété, et mugissaient tout bas, comme s'ils eussent senti la présence d'un être malfaisant. Mais bientôt le poids qui oppressait le mendiant devenant sans doute trop accablant, il se lève sur son séant, parcourt des yeux l'enceinte obscure, et reprenant son mystérieux monologue:
— Pourquoi donc que tu me taquines comme ça, toi de là-haut ? dit-il en relevant la tête du côté où était son crucifix; est-ce que nous n'avions pas fait la paix, vieux des vieux? Dis-moi, est-ce que tu n'es pas mort pour nous autres, pour tous, même pour le Dodo ? Une tache de sang ! Heu ! est-ce que le tienne ne l'a pas lavée ? Allons, voyons, ça ne finira-t-y pas? Pardonne-moi,
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ajouta-t-il, en se relevant et en se mettant à genoux en face de son crucifix. Voyons, faisons la paix... La paix! Heu! enfer des enfers! Je n'y puis pus rien... Il y a là un ver qui me ronge... Vieille carabosse ! queu que t'avais donc à faire ici, pour me remettre dans ces draps-là? S'y me pardonnait!... Te tairas-tu? gueule d'enfer! reprit-il en s'adressant à Roussette qui mugissait plus fort. Ici, le mendiant étendit ses mains, et se jeta la face contre terre. Puis, saisi d'un accès violent de désespoir, il se roula dans des contorsions effrayantes. Roussette multipliait ses mugissements; deux ou trois veaux faisaient chorus avec elle.
— Ils ne se tairont pas, ces horreurs-là, repritil en frappant du poing; que je les ferai danser tout à l'heure d'une belle manière !
Et comme si les pauvres animaux eussent compris la menace, ils se turent. Dodo lui-même sembla un moment redevenir tranquille. Mais ce n'était là qu'un calme trompeur. Bientôt il se relève, renifle comme un taureau; ses bras se tordent dans une inexprimable angoisse, et exhalant de sa large poitrine des soupirs profonds, il saisit son bâton, et frappe en aveugle dans l'obscurité, dans la direction de son crucifix. Au bruit qu'il fait, les mugissements recommencent.
— Eh bien ! luttons donc, tonnerre, s'écriat-il avec colère, luttons, pisqu'il le faut... Pisque tu ne veux pas me laisser un moment de repos !
UN INTÉRIEUR, 121
Ah! ! si je t'avais laissée sur ce vieux prêtre ! tu ne serais pas là comme un ver rongeur, pour me débringuer l'âme... Moi que je t'avais gardé pour t'embrasser, pour faire la paix avec toi, eh bien ! pourquoi donc, au nom de Dieu, que tu me déchires comme un feu d'enfer ? Faut bien que je t'anéantisse pour être un moment tranquille... V'là un vieux Dodo qui n'a plus qu'une pauvre heure à vivre, et tu ne peux pas le laisser dormir sur ses vieux jours ! Moi, que je t'avais jeté cinquante fois, et que je t'ai toujours ramassé pour faire la paix, et tu me tortures ! Holà ! holà ! fais la fin de moi, ou je fais la tienne , nom de nom!
Et le malheureux frappait à coups redoublés, pour abattre et briser son crucifix. Il y avait quelque chose d'infernal dans cette scène étrange : un homme armé par la puissance du remords et luttant contre l'image sacrée de son juge. Une vigueur frénétique animait ses membres herculéens ; le bâton rebondissait contre les poutres, contre le mur ; l'effrayant vieillard déployait contre une image inanimée une furie qui eût suffi à écraser une armée ; mais ses coups lancés au hasard n'atteignaient pas leur but, et sa fureur semblait en augmenter. Ce tumulte insolite provoquait les mugissements de Roussette.
— Te tairas-tu, gueule d'enragée ? dit le mendiant en donnant à sa colère une direction nouvelleT. 1. 6
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En même temps, il enfonçait la porte de l'écurie, et se jetant à l'aventure, il cherchait l'innocente bête, dont la voix accusatrice semblait éveiller ses remords. On devine le mouvement qui se fit parmi les animaux. La colère qui transportait Dodo ne lui permettait pas de calculer les dangers qu'il courait à se jeter parmi sept ou huit bêtes à cornes. Le hasard voulut qu'il rencontrât Roussette. La fureur qui l'animait était telle, qu'il brisa d'un seul effort la corde qui l'attachait , la fit tourner sur elle-même, et l'envoya tomber à plusieurs pas sur les veaux qui étaient au fond de l'écurie. S'il eût vu clair, nul doute qu'il n'en eût fait la fin. La pauvre bête, blessée dans les côtes, poussa un sourd beuglement, et se releva avec peine, tremblante et effrayée. Dodo revint à sa besogne.
C'était, nous le répétons, quelque chose de satanique que cette haine d'un vieillard et d'un pauvre contre le Christ. Le démêlé datait de loin. Cent fois réveillée, cent fois assoupie, la rancune du mendiant contre cet objet sacré datait de cinquante ans ; depuis cinquante ans la force des remords, une puissance irrésistible, occulte, l'avait condamné à se charger de cette croix, recueillie de la main d'un mourant, et depuis cinquante ans cette âme dépravée luttait contre les invitations de la grâce et les terreurs de sa conscience. Le ver rongeur sommeillait, suivant l'expression
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de Dodo lui-même, quand soudain la vue d'une vieille femme lui rendit sa cruelle énergie. Et Dodo, après s'être longtemps tordu sous sa brûlante étreinte, se sentait enfin surmonté et lâchait bride à sa haine féroce. Il lui tardait de détruire ce témoin, ce terrible accusateur ; le malheureux ne songeait pas qu'on ne détruit point le remords, en anéantissant l'objet qui le réveille.
Et le voilà, frappant de plus belle, en grinçant les dents de rage. Tableau sombre, hideux, digne d'être éclairé par un rayon de l'enfer! Mais ce Christ a pris aux yeux du stupide vieillard d'immenses proportions ; il parut moins terrible aux Juifs déicides, le jour où, à sa voix expirante, le soleil se voila, les entrailles de la terre s'entr'ouvrirent, quand le centenier terrifié, s'écriait, en se frappant la poitrine : Celui-ci était vraiment fils de Dieu. L'assassin en haillons avait cinquante ans de remords à venger sur l'image vénérée. Son imagination frappée la lui fait voir sous je ne sais quel aspect sinistre, qui soulève toutes les puissances de son âme ; il veut exercer ce dernier acte de sa haine, puis clore sa vie criminelle par un acte de désespoir.
Et bientôt le délire grandit. Dodo ne se contente plus de frapper avec une fureur d'énergumène ; sa poitrine exhale des cris saccadés ; il ne sait plus lui-même ce qu'il dit, ce qu'il blasphème dans l'emportement de sa rage. Ce fut un de ces cris
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qui attira l'attention de la famille Ballet. On arriva, et nous ne pouvons dire l'effroi dont tout le monde fut saisi à cet étrange spectacle.
Le mendiant avait ses haillons en désordre, les traits égarés; ses paupières étaient injectées de sang ; ses yeux lançaient la flamme ; ses cheveux dressés comme des poils de sanglier, sa barbe hérissée, sa face anguleuse, la rougeur vive qui animait ses joues, ses lèvres tremblantes, la saillie de ses muscles, et surtout la tension de ses bras nerveux et la crispation de ses doigts, tout décelait le tumulte qui bouleversait son âme. Adèle et les enfants poussèrent un cri d'horreur. Le crucifix atteint par le bâton de l'impie gisait depuis longtemps dans un coin de la grange ; Rose le ramassa avec respect. Il portait écrit sur son dos : Barret, prêtre (1).
A l'aspect de la lumière qui frappe subitement ses yeux, Dodo semble sortir d'un rêve pénible. Il se calme peu à peu. Ballet n'osait s'approcher; Dernier lui-même paraissait craindre d'aller plus loin, tant les formes de ce vieillard étaient effrayantes, tant il était à redouter que ce bras herculéen ne donnât un coup mortel !
— Il me fait l'effet d'un fou furieux, dit le docteur en s'inclinant vers Ballet; où avez-vous ramassé ce mendiant?
(1) Une des victimes de septembre, aux Carmes.
UN INTÉRIEUR. 125
— Il m'a rendu un service, répondit Ballet tremblant, et... il est venu ce soir me demander l'aumône; je lui ai offert maladroitement l'hospitalité; j'ai eu tort, ne le connaissant pas...
— Heu ! tonnerre ! murmura Dodo de sa voix souterraine, et en regardant la place où il avait planté tout à l'heure son crucifix ; qu'y a donc des gensses malheureux au monde! Mon Dieu! mon Dieu! queu que vous a donc fait le Dodo?
Et joignant ses mains qu'il laissait tomber, il restait oeil fixe, bouche béante, devant cette poutre où il avait fait disparaître l'image vengeresse. Les spectateurs regardaient avec un étonnement mêlé de terreur. Rose, touchée de compassion, osa s'avancer jusqu'à lui, et de sa voix douce lui dit :
— Allons, Dodo, vous m'aviez promis d'être calme, et voilà que vos fureurs vous reprennent.
— Fureurs vous reprennent! répéta le vieillard en fixant d'un air hébété ses yeux perçants sur la figure de la jeune fille.
— Oui, Dodo, vous aviez bien promis d'être raisonnable et de dormir tranquille.
— Dormir tranquille! reprit le mendiant avec la même physionomie égarée et stupide.
— N'étiez-vous pas sous la protection du bon Dieu? n'aviez-vous pas invoqué le saint nom de Jésus? Je vous ai vu placer là un crucifix, comme pour vous endormir sous ses ailes.
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— Endormir sous ses ailes ! continua Dodo avec un sourire idiot.
— Et voilà ce que vous en avez fait... Voilà comme vous avez traité votre ami ! ajouta-t-elle, en montrant à Dodo son crucifix; tenez, le voilà votre Christ... vous l'avez détrôné...
— Heu! ange du bon Dieu! s'écria le vieillard, en joignant ses mains avec une force convulsive; petit ange du saint Paradis, que le ciel fasse descendre toutes ses bénédictions sur vot' tête... Mon Christ! mon Dieu! mon vieux, quoi! Heu! nom de... saint amour que je veux dire, là ousqu'il était donc mon vieux, que le revoici? Oh! merci, petite ange, que vot' voix est si doucerette que c'est comme une serinette dans les oreilles du Dodo. Ah! redonnez-le moi mon vieux, mon ancien, quoi! que je ne sais comme il a tombé de là haut.
En môme temps, il saisissait le crucifix de la main de l'enfant avec une force telle, que la pauvre Rose fut sur le point de crier.
— T'es fou, Dodo, t'es fou, reprit-il en regardant fixement l'image sainte ; ces braves genslà diront que t'es fou. Ah çà! mais que diable t'a donc remué la caboche? que v'là ton petit bon Dieu qu'est ben gentil, qui te tend les bras comme pas un... Allons, embrasse ton petit bon Dieu, pour te refaire camarade avec lui.
Et il baisait son crucifix avec une émotion vi-
UN INTÉRIEUR. 127
sible. Rose, rassurée par cette nouvelle démonstration de piété, tâcha de l'affermir dans sa paix.
— Oui, oui, Dodo, embrassez-le cent fois par jour. Je vous le dis, c'est le Dieu des pauvres, c'est l'ami des malheureux. Vous êtes vieux déjà, eh bien ! tant mieux, réjouissez-vous : le terme de vos maux approche.... Ah! que vous aurez une belle récompense dans le ciel! Oui, oui, Dieu vous aime et vous protège : ne désespérez pas; il aura pitié de vous...
Ces derniers mots émurent singulièrement le vieillard. Il détacha ses yeux de son crucifix pour les reporter encore une fois sur cette douce et bienveillante figure; mais une tendresse singulière avait soudain remplacé chez lui l'expression de la férocité. Toute cette face anguleuse et sévère avait revêtu une majesté austère et calme.
— Dites donc encore, chère ange du bon Dieu, dit-il d'une voix chevrotante, que vos paroles font du bien à mon coeur...
— Ah! je gagerais bien, Dodo, reprit l'enfant avec une certaine hardiesse, que vous avez fait de la peine à notre bon Sauveur, et que cette pensée-là vous tourmente; n'est-ce pas que vous voudriez rentrer en paix avec lui? Dites-moi cela, Dodo, vous avez des remords...
— Heu! heu! fit le vieillard en passant sa langue sur ses lèvres.
L'aveu ne pouvait sortir. Rose devina sa pensée.
128 UN INTERIEUR.
— Oui, je gage que vous êtes dans l'éloignement de votre Dieu et que vous le sentez... Vous avez là sur le coeur un remords qui vous tourmente. N'est-ce pas que j'ai deviné juste?
— Heu! heu! nom de nom! heu! heu ! répondit le mendiant, mais en laissant cette fois couler une larme.
Il soupira profondément et baissa la tête, avec l'expression d'une grande tristesse.
— Allons ! allons ! Dodo, je veux vous revoir : demain, nous parlerons de tout cela. Vous me direz vos secrets; en attendant, couchez-vous bien tranquille, et qu'on ne vous entende plus.
— Elle dit que Dieu aura pitié de moi! murmura-t-il entre ses dents.
Puis obéissant à cette voix magique, il s'étendit en effet sur la paille, en embrassant son crucifix. Un calme profond succéda bientôt à son agitation. Rose écouta longtemps encore à la porte et n'entendit plus rien.
Le lendemain, dès le matin Dodo avait disparu.
VII.
LE GARCON DE VILLAGE.
Le départ de Bernier laissa bientôt la famille Ballet dans sa première tristesse. L'espérance qu'avait fait naître le docteur semblait s'affaiblir à mesure que s'éloignait le moment où on l'avait conçue.
— Bah! bah! disait Anselme, chaque lois? qu'on lui en parlait, mou étoile !
6.
130 UN INTÉRIEUR.
Le vide immense laissé par la pauvre mère apparaissait aussi grand, aussi triste que le premier jour. Encore, si c'eût été la saison des travaux, aurait-on trouvé une distraction à cette muette douleur ; mais dans un temps mort, toujours en face les uns des autres, toujours en présence des lieux et des objets qui rappellent celle qu'on regrette ! A toute heure du jour, surtout le soir, les regards se rencontraient et laissaient lire le chagrin qui oppressait les âmes.
Que c'était triste ce crépuscule précoce, ces vents d'automne, ces longues soirées et ces nuits plus longues encore !
Mais Rose priait toujours pour que Dieu adoucit cette accablante douleur, pour qu'il y mit bientôt un terme.
— Sa miséricorde est grande, disait-elle, et puis nous avons une avocate de plus dans le ciel. Du reste, si ceci doit tourner à notre bien spirituel, pourquoi nous en plaindrions-nous? Le bon Dieu veut sauver le père, et nous corriger tous.
Et la pieuse enfant redoublait ses efforts pour ranimer et consoler sa famille; mais c'était de ces efforts délicats, sans apprêts, tels que la charité les inspire et que la plus grande susceptibilité est forcée de les accepter. Et déjà sa position avait bien changé au sein de sa famille. Elle avait été estimée jusque-là, mais peu aimée; sa soeur redoutait en elle un argus vigilant, un mentor sé-
UN INTÉRIEUR. 131
vère; Anselme lui-même se sentait peu de sympathie pour cet être chétif, souffreteux, inapte aux travaux de la campagne ; la vivacité bourrue de sa fille aînée l'avait entièrement séduit. Mais quand vint l'heure de l'infortune, il retomba tout naturellement sur son appui ; il comprit sans raisonner qu'on ne peut s'étayer que sur la force morale, et qu'en vérité cette petite fille en était éminemment pourvue. Cette lenteur maladive d'autrefois, ce goût de la simplicité, cette douceur de caractère, cette égalité d'âme, cette angélique piété, qui avaient été jusque-là des défauts ou des ridicules, devinrent à ses yeux ce qu'elles étaient réellement, de solides et héroïques vertus. Toujours ses regards cherchaient son ange ; sa présence lui devenait une consolation, ses avis un besoin. Le même effet se faisait remarquer dans Adèle et dans tous les autres enfants : Rose avait subitement grandi dans l'estime commune ! Elle se trouvait hissée comme sur un piédestal, formé par l'adversité ; tous les yeux, tous les coeurs se tournaient vers elle, comme vers le seul soutien; elle ressemblait à un arbrisseau qui, jusque-là étouffé, s'élève tout à coup et dépasse tout ce qui l'entoure.
Cet ascendant fut surtout remarquable sur Victor. En qualité d'aîné de la famille, il avait naturellement une certaine autorité, mais souvent contestée et toujours circonscrite par le caractère
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impérieux de sa soeur Adèle. De cette collision continuelle était résultée dans Victor une certaine aigreur, qui allait quelquefois jusqu'à l'emportement. Avec toutes les qualités qui font un jeune homme estimable et utile, Victor n'était qu'un fils indocile et dissipé, parce que ne trouvant pas au sein de sa famille bonheur et satisfaction, il les avait cherchés au dehors, et les occasions n'avaient pas manqué pour l'entraîner dans cette carrière où les premiers pas mènent si droit et si vite à l'abîme.
Et c'était là la nouvelle plaie de la famille Ballet. Victor était dans toute l'étendue du terme un garçon de village. Son enfance avait été régulière ; jusqu'à sa première communion, il fut un modèle d'édification. C'est que jusqu'alors il était resté sous les ailes de sa vertueuse mère. — Tant que ce ne sera qu'un poussin, avait-elle coutume de dire, je pourrai répondre de lui. —Mais bientôt la tutelle finit; le poussin alla au grand air, et alors s'éveillèrent en lui des goûts et naquirent des habitudes qui démentaient singulièrement de si beaux commencements. Malheureusement, Marguerite Ballet, douée de tant d'autres vertus, manquait de cette fermeté de caractère, si nécessaire aux parents dans les jours néfastes où nous vivons. Son extrême douceur, son amour tendre pour ses enfants, ne l'aveuglaient pas, sans doute, sur leurs défauts et les tendances de leurs carac
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tères, mais la rendaient moins propre à corriger les uns et à diriger les autres. C'était une de ces âmes excellentes qui suffisent à remplir les devoirs de la maternité dans des jours de paix et d'existence régulière, mais qui restent au-dessous de leur tâche dans les temps d'entraînement et de luxe.
Or, depuis peu, un étrange changement s'était fait voir dans les moeurs des habitants de Monval. Les dernières commotions politiques y avaient eu un grand retentissement, et étaient devenues pour les idées comme un nouveau point de départ. La jeunesse avait pris subitement de singuliers goûts d'indépendance; les vieillards disaient en secouant la tête que quand Dieu veut punir un peuple, il a coutume d'y envoyer ainsi à l'avance un esprit de vertige et d'erreur, et surtout cette insubordination dans la jeunesse, qui est le plus funeste avant-coureur d'une chute prochaine.
Ce fut, en effet, vers ce temps-là, qu'un étranger vint se planter à Monval, en qualité de cabaretier. Cet événement fut une époque, une triste époque pour le malheureux village. Dès lors, on put dire qu'il était perdu. C'est une vérité incontestable que des milliers de faits appuient, qu'un ou deux cabarets suffisent à la ruine spirituelle et temporelle de tout une population agricole. C'est le chancre qui s'attache à un corps sain, et ne le laissera que quand toutes les chairs seront cor-
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rompues. C'est l'égout par où s'écoulent les sueurs des familles. C'est l'hydre pour laquelle le pauvre cultivateur use son temps et ses peines. Il faut les avoir vus et observés de près, pour se les figurer, les ravages que ces repaires immoraux peuvent produire au sein d'une population laborieuse et fidèle. Nous avons vu des fortunes honnêtes et solides se fondre tout entières dans cet odieux creuset ; des jeunes gens y puiser le goût de la débauche et de l'oisiveté ; des hommes faits y consumer sans remords la substance de leurs familles; des enfants mêmes y préluder à l'immoralité et à la crapule. C'est là que l'ouvrier se gâte, que le propriétaire se ruine, que le vol se conçoit, que l'improbité s'essaie, que les rixes s'élèvent, que les haines s'engendrent, que tous les vices naissent, que toutes les vertus s'engloutissent. Nous ne finirions pas si nous voulions rémunérer les résultats désastreux qui prennent là leur origine.
Nous en appelons sur ce fait à la conscience des honnêtes gens, et surtout aux témoignages des curés de campagne.
Oh ! quel service immense rendrait à la classe agricole, la suppression de ces écoles de débauche et d'oisiveté! Nous entendons sans cesse parler de la dépravation croissante des campagnes, des désordres qui envahissent les populations des hameaux, jusque-là si heureuses et si paisibles : eh
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bien! qu'on remonte à la source, et l'on verra que la plupart de ces maux ne découlent pas d'autre principe.
Ainsi du moins en était-il pour le village de Monval. Le café du Coq Gaulois devint bientôt le rendez-vous de la lie du peuple, des oisifs d'abord, des médisants, des libertins, et peu à peu de toute la jeunesse; on y allait par mode, par entraînement ; c'était là qu'on s'amusait vraiment, qu'on faisait la gazette du pays. Rien de si délectable que ces causeries secrètes ou bruyantes, ces révélations, ces confidences, ces cancans; on y courait comme au spectacle, les uns pour rire des autres, les autres pour qu'on ne rît pas d'eux. C'était là que les sobriquets ridicules, les calomnies adroites, les bruits injurieux, les anecdotes scandaleuses prenaient naissance ; c'était là qu'on stigmatisait la piété des jeunes filles, la vertu des jeunes femmes, la simplicité des jeunes hommes ; c'était le grand atelier du pays. Puis peu à peu le cercle s'agrandit ; on y parla commerce, agriculture, affaires, politique même; oui, politique, car M. Bonvalet s'était abonné à un journal, et on devine lequel. Tous les jours on était servi d'une diatribe contre les prêtres, contre les jésuites, contre la congrégation; car c'était encore le temps de la congrégation, de cette pauvre congrégation qui a tant occupé le public et entretenu tant d'abonnements, sans
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qu'on ait jamais pu savoir au juste où elle est née, comment elle a vécu, et quand et pourquoi elle est morte. A défaut de la diatribe cidessus et même à côté, on était régalé de quelque procès croustilleux, de quelque scandale de cours d'assises, ou autre menu de ce genre. Etait-il aimable, ce cher M. Bonvalet du Coq Gaulois?
Pour comble d'attention, un billard en droguet vert était à la disposition des amateurs. Un billard! de l'histoire pour ces bons rustauts de villageois, qui n'en savaient rien que par ouïdire : les plus avancés en avaient vu un au chef-lieu de canton, aux jours de foire... Mais bientôt on se familiarisa avec ce meuble gracieux ; maints et maints maniaient la queue avec plus d'habileté que le fléau ou la charrue; les parties s'engagèrent; on jouait la bière, le vin chaud, le café, des discrétions mêmes ; plusieurs allèrent jusqu'à hasarder de fortes sommes d'argent; bref, la passion du jeu prit racine; on déserta jusqu'au classique jeu de quilles pour cet aimable billard, devenu le centre de tous les plaisirs du village.
On pressent les suites de ce progrès. Nous n'avons pas besoin de dire que tout le reste monta bientôt au même niveau : ivrognerie, immoralité, luxe dans les habits, querelles, tapages nocturnes, etc.. Et comme dans la société tout est soli-
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daire, l'ébranlement devint général; le fond de cette population paisible fut complétement remué ; on remarqua dès lors plus de légèreté dans les jeunes filles, plus de coquetterie et de recherche dans les parures ; les enfants dès le bas âge montraient plus d'indiscipline et d'indocilité ; l'église se désertait; les sacrements s'abandonnaient; à peine quelques vieillards se recueillaient-ils encore autour des pratiques du culte des pères ; le bon abbé Prétot gémissait jour et nuit de ces tristes désordres , qui lui rappelaient l'époque désastreuse de la grande révolution, et faisait de continuels et inutiles efforts pour s'y opposer.
— Mais, enfants! mais, enfants! leur répétait-il à satiété, quel démon s'est donc déchaîné parmi vous? D'où vient ce changement si subit, auquel mes yeux ont peine à croire? Voyons donc, jeunes filles, la fortune de vos parents a-t-elle augmenté tellement tout à coup, qu'elle puisse suffire à vos dépenses? Tous les dimanches, je me crois en temps de carnaval, tant vous êtes bien masquées sous vos dentelles et sous vos rubans... Et vous, jeunes gens, où avez-vous trouvé ces sommes énormes que vous hasardez au jeu ou que vous dépensez en folles débauches? Je n'y comprends plus rien... Pères et mères, ajoutait le bon prêtre en haussant sa voix cassée, je ne sais si je me trompe, mais ceci ne nous mène à rien de bon. Prenez garde, vous n'êtes ni
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les uns ni les autres en état d'élever des marquis et des marquises, et j'ai bien peur que vous ne versiez un jour des larmes amères, pour avoir montré tant de faiblesse à l'égard de vos enfants...
Ainsi disait le bon vieillard, mais ses paroles volaient aux vents. Les parents avaient beau s'efforcer d'arrêter ce désordre; les jeunes gens riaient et continuaient leur train. Il vient un temps où l'autorité paternelle ne suffit plus à comprimer un mal qu'elle aurait pu facilement étouffer dans sa source. Les mères avaient souri d'orgueil les premières à voir leurs filles parader sous ces étoffes voyantes, chatoyantes, miroitantes, et à si bon marché. Et puis elles s'en mordirent les doigts : mais il n'était plus temps.
Cet entraînement, nous l'avons dit, s'était fait sentir jusque dans la famille Ballet. Adèle avait payé son tribut à la circonstance. Pour Victor ce fut encore pis, et si la mère ne fut pas exempte d'un peu de faiblesse vis-à-vis de sa fille, Anselme ne put non plus se laver d'un peu de lâcheté, par rapport à son fils.
A la première apparition du drapeau tricolore, le vieux soldat de l'Empire redressa la tête.
— Hem ! fit-il, est-ce que le magicien reviendrait encore avec son étoile?
Le bon homme sentit remuer dans son sein ces vieux sentiments de gloire militaire, qui l'avaient tant fait battre autrefois. Il passa involontaire-
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ment ses doigts sous son nez , pour y chercher sa moustache. Il s'imagina, dans le transport de ses souvenirs, que ce drapeau magique allait encore redevenir l'emblème ou de la liberté ou de la conquête , et faire une seconde fois le tour du monde. Combien il se trompait, c'est à chacun de le voir. Mais il applaudit, mais il battit des mains, mais il devint fou dé joie, la première fois qu'il vit les trois couleurs onduler au-dessus du clocher du village.
— Vive l'empereur ! s'écria-t-il dans le premier mouvement de sa joie.
C'était là l'illusion; la réalité vint ensuite; on sut bientôt qu'il ne s'agissait plus de renouveler les prodiges de Marengo et d'Austerlitz, mais tout bonnement de donner une nouvelle édition de la Charte, et de substituer une branche cadette à une branche aînée. Cependant Ballet ne voulut pas en avoir le démenti, ni en être pour ses frais d'enthousiasme; il resta du côté de la révolution, à cause de ce drapeau, à cause du vieux, de l'ancien , du petit troupier, quoi ! C'était le moins. Dans le premier moment du tumulte, il avait fait un pas, et ce premier pas une fois fait, il ne voulut plus reculer : c'est l'histoire d'un grand nombre. Il eut à ce sujet de violentes querelles à soutenir avec sa belle-mère, à qui la seule vue d'un tricolore faisait mal. Mais Anselme n'y fit pas attention et passa outre. Dès le début, on le
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vit remplir chaudement les fonctions de garde national; zèle, du reste, qui s'abattit bientôt. On put surtout voir son fils Victor, âgé de huit à neuf ans, habillé en grenadier, en grenadier de la vieille garde; ce qui fut d'un merveilleux exemple, car bientôt les marmousets du pays tourmentèrent leurs papas et leurs mamans tant et tant, qu'il fallut en habiller un bon nombre comme Victor Ballet.
Et cet événement, si mince qu'il fût, exerça la plus grande influence sur cet enfant; les idées de liberté et d'indépendance germèrent insensiblement dans sa petite tête; bientôt il devint un des plus dissipés du village, et un des habitués les plus fidèles du Coq Gaulois. Sa mère prévit l'abîme où il allait descendre, et ne ménagea ni les corrections ni les avis. Mais le torrent fut plus fort, et emporta sa digue. Anselme, préoccupé de sa position financière, oublia trop son fils, et appuya mal les efforts de sa femme. Ainsi, de jour en jour, les goûts de dissipation et de dépense augmentèrent dans le jeune homme; ce vase est de ceux où il faut qu'on boive à longs traits, dès qu'une fois on y a trempé la lèvre.
Et ce qui dissimula mieux le mal, ce qui abusa mieux le père, c'est que, à l'exemple de sa soeur, Victor avait conservé l'amour du travail. C'était un vigoureux et habile ouvrier; l'ouvrage, suivant
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l'expression du père, fondait sous sa main. Les six jours de la semaine étaient pleins comme un oeuf. Quelle paire! disait Anselme avec orgueil, en montrant son fils et sa fille, dévorant, pour ainsi dire, la besogne. Jamais il n'avait besoin des mains étrangère; ces deux enfants semblaient se multiplier pour suffire à la tâche. Mais le dimanche, on se dédommageait. Victor passait la plus grande partie du saint jour au cabaret ou au jeu; il dépensait beaucoup, et perdait encore davantage. Et pour combler le vide, on devine où il avait recours : il volait. Le blé, l'avoine, les fèves, les pois, tout était bon à cet excellent M. Bonvalet, qui était bien le plus aimable et le plus engageant des hommes. Et tout cela se faisait si habilement, que la mère le soupçonnait à peine, et que le père n'y voyait rien. En attendant, le malaise augmentait dans le sein de la famille ; la position se rétrécissait; les rentes diminuaient sans qu'on sût pourquoi ni comment; c'était l'histoire d'un tonneau qui perd sa liqueur par un imperceptible trou de ciron.
Mais sous ce désordre apparent, un bon fond restait. Victor était surtout doué d'une sensibilité de coeur, qu'il tenait de sa mère, et qui laissait toujours l'espoir d'un retour sincère. Il n'y a de désespéré dans le mal que les coeurs froids, qu'aucune affection généreuse ne stimule ; ces âmes impassibles que la fibre de l'honneur a depuis
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longtemps désertées, et que le sentiment du bien n'exalte pas plus que l'aspect du mal ne les épouvante ; ceux-là s'endorment dans le vice, se figent sur leur lie ; un coup de tonnerre peut seul les réveiller. Or, Victor n'était pas de cette trempe ; le soin même qu'il prenait de cacher ses désordres montrait qu'il en, avait honte, et dans tout ceci, il cédait beaucoup plus à l'entraînement qu'à une nature perverse.
Le grand nombre de ceux qui se perdent, ne se perdent que par faiblesse.
Rose déplorait la conduite de son frère, et ne manquait pas de lui en faire des reproches. Et ces reproches allaient à leur adresse. L'étourdi et impérieux jeune homme redoutait ce censeur vigilant, dont la conduite régulière, dont l'admirable piété lui était un continuel remords. Chose étrange! quand il rentrait le dimanche soir, le plus souvent fort avant dans la nuit, il ne craignait rien tant que de rencontrer cette petite fille assise seule près du foyer en l'attendant. Un jour, dans son emportement, il alla jusqu'à la frapper brutalement ; la pauvre innocente se contenta de relever sur lui ses yeux pleins de larmes. Ce regard le pénétra d'une douleur si amère, qu'il fut plusieurs années à ne pouvoir se défendre d'un saisissement douloureux toutes les fois qu'il se rappelait cette malheureuse circonstance.
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Or, quand Victor, de retour de son voyage, retrouva le lit de sa mère vide, un mouvement extraordinaire s'opéra en lui. Toute son âme fut retournée sens dessus dessous. Les sentiments honnêtes reprirent leur empire, le passé lui apparut avec son cortége de désordres et de souvenirs déshonorants. Son âme se trouva subitement tendue de noir. Il vit d'un trait la position pénible de son père, les créanciers, la conscription, la ruine, l'indigence... Et ces idées, ces prévisions, qui se dressaient devant lui depuis si longtemps, il semblait ne les avoir jamais eues; c'était tout neuf pour lui, cet abîme de douleur et de misère entrouvert à ses yeux. Pour la première fois, il voyait la part énorme qu'il avait prise à la ruine de sa famille. Il s'étonnait que son père ne lui jetât pas une malédiction fatale, que l'ombre de sa mère ne se levât pas pour le frapper d'anathème. Comme sa soeur Adèle, il sentait une voix dans sa conscience lui crier qu'il avait tué sa mère. Un regard, un mot de reproche , l'aurait pétrifié sur le seuil, l'aurait peut-être forcé à fuir à tout jamais le toit paternel , pour échapper à la vivacité de ses remords.
Nous l'avons déjà dit, immobile, atterré il n'osait même embrasser son père.
Mais Anselme qui aimait son fils, et qu'inondait à cette heure cette douce bienveillance qu'en-
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gendre la tristesse, lui tendit les bras, en prononçant de sa voix sourde et émue ce mot où toute son âme était passée :
— Victor !
Oui, elle fut chaude cette première étreinte! Elles furent pressées et amères ces premières larmes!
Et déjà, par l'effet de l'amour paternel qui n'est jamais si vif que quand il pardonne, Anselme oubliait son épouse pour penser à son fils. Cette conscription lui pesait comme un poids lourd sur le coeur. Ce pauvre coeur, c'était surtout quand il songeait au 22 janvier, qu'il battait si fort, qu'il secouait si vigoureusement sa fragile enveloppe.
Et puis Victor, comme tous les autres, se retourna vers le petit Ange. Il ne lui vint pas même l'idée de chercher ailleurs un appui. Chose merveilleuse! ce fut d'elle qu'il sembla implorer son pardon, à elle qu'il se sentit pressé d'avouer ses torts, et de promettre de mieux faire à l'avenir; non, ce n'était pas à son père qu'il demandait grâce, pas même à l'ombre de sa mère : un sentiment supérieur lui disait que son père et sa mère avaient été jusqu'à un certain point complices de ses désordres, et qu'on ne demande pas pardon à un complice. Mais cette douce et virginale créature n'avait jamais fait que l'accuser, bien moins par ses paroles encore que par sa conduite. C'était elle
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l'offensée, on l'eût dit : ce fut à elle seule que le jeune homme contrit se sentit pressé d'ouvrir son coeur, de confier ses peines, de demander conseil et force.
Admirable ascendant de la vertu !
Et cette pieuse enfant, ce soutien de la famille, pourquoi faut-il qu'elle soit elle-même minée par la maladie? Une toux sèche, une faiblesse de plus en plus grande, pronostiquaient sa fin prochaine. Mais bien qu'elle ne se fît pas illusion sur son état, Rose se flattait toujours que Dieu ne la retirerait pas de ce monde avant qu'elle eût vu sa famille hors de peine. Confiance naïve de la piété, que Dieu agrée infiniment, même quand il juge à propos de ne point l'exaucer, pour les desseins de sa gloire.
I. 7
VIII.
LES CONSOLATEURS.
La position honorable qu'Anselme occupait à Monval ne permettait pas à la population de rester indifférente à l'événement fâcheux qui venait de le frapper. Cette perte douloureuse fut pendant deux jours le sujet de toutes les conversations. Marguerite Ballet avait d'ailleurs laissé des souvenirs trop précieux, pour ne pas éveiller
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les regrets et la tristesse de toutes les personnes qui l'avaient connue. On la vantait ; on plaignait son mari et ses enfants. Les pauvres citaient d'elle des traits de charité vraiment admirables ; il n'était personne à qui elle n'eût rendu service. Et cela étonnait d'autant plus, qu'on savait parfaitement que sa fortune n'était pas considérable. Toutes les petites rivalités, tous les mécontentements qu'avait soulevés cette espèce de fierté ou plutôt cette supériorité de manières et d'éducation qui la distinguait , étaient tombés devant la muette autorité de la tombe. La critique se taisait; l'éloge parlait seul. Rien ne fait, comme la mort, ressortir les qualités et disparaître les défauts. Il n'y a qu'une voix pour louer ceux qui ne sont plus.
Deux jours après, les consolateurs arrivèrent Anselme, depuis longtemps assombri par la mélancolie, n'avait que des rapports bien rares avec les habitants du village ; il se sentait de plus en plus repoussé de cette société, dont le bruit et la joie semblaient insulter à sa misère. Il savait que de tout ce monde, il avait peu à attendre au jour de l'infortune. Aussi ce fut-il avec une profonde indifférence qu'il vit arriver ces porteurs de compliments de condoléance, qui n'obéissaient, il le savait bien, qu'à un usage établi, ou peut-être à des vues d'intérêt personnel.
Le premier qui vint fut le père Fifi. Le père Fifi était un ancien maître d'école. Front chauve,
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joues creuses, bouche édentée, oeil souriant; ce brave homme portait sur sa figure un certain mélange de bonhomie et de finesse. Il touchait à ses soixante-dix ans; mais vert encore, il portait droit son buste, et si droit, qu'il justifiait encore son ancien surnom de Cierge pascal. Il avait ce jour-là son grand habit de droguet bleu à bandes de lard. Il avait exercé pendant trente ans les fonctions de maître d'école à Monval ; mais comme il n'était plus au niveau de son siècle, et que d'ailleurs un soir ses écoliers l'avaient ramené en triomphe, mort-ivre, sur une brouette, on coupa court à ses trente ans de service. Son métier le quitta, mais il ne quitta pas son métier ; car il continua d'instruire à la sourdine quelques enfants des fidèles ; de plus, il dressait les comptes de fermage, reliait les psautiers, faisait des sous-seing privés, taillait les plumes, écrivait les lettres des galants, dirigeait l'adjoint et le garde champêtre dans leurs procès-verbaux, traçait des plans, arpentait même, etc.. Enfin il était devenu comme le factotum du village, ce qui lui valait d'assez jolies gratifications, au moyen desquelles il pouvait vivre et de temps en temps caresser la bouteille.
Tout en entrant, il lorgna le petit Joseph qui jouait dans un coin avec sa soeur Luce. C'était la proie qu'il enviait. Après les compliments d'usage, où il étala toute sa rhétorique, il vint à parler
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de ces pauvres enfants, de ces petits abandonnés, avec un air de tendre compassion, qui émut Anselme.
— Pauvres innocents! dit celui-ci avec une profonde tristesse, vous ne sauriez croire, père Pâtureau, combien leur vue me fait mal. Parfois il me prend un amer regret de n'être pas mort comme elle, pour n'être plus témoin des maux que son absence va causer. Regardez ; deux oisillons sans plumes, et plus de mère pour les nourrir, pour les réchauffer!...
— C'est juste! c'est juste! répondait le père Fifi, en couvant des yeux les deux innocents ; et je crois, M. Ballet, que dans votre intérêt, vous devriez les éloigner un peu de vous ; les remettre à quelque personne de confiance, qui en aurait soin, et qui pourrait même déjà leur donner les premiers éléments... Si vous vouliez, je pourrais... J'ai là une douzaine de petits enfants, de leur taille et de leur âge, à peu près... Et pas cher, vingt sous par mois !
— Cela pourra se faire, père Pâtureau, reprit Anselme ; mais voyez : si leur vue me fait mal, elle me fait aussi du bien. Le vide est déjà si grand! que serait-ce quand ces deux pauvres petits n'y seraient plus?
— Sans doute! pas de doute! répliquait le père Fifi, mais le soir, vous les verriez ; le soir, vous pourriez vous dédommager par leurs caresses de
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l'absence du jour. Ma fille Suzanne les ramènerait par la main, à la brune. Tenez, M. Ballet, c'est le parti que je vous conseille...
— Vingt sous par mois ! songeait Anselme, en remuant tristement la tête; où les trouver?
Le père Fifi ouvrait la bouche pour confirmer sa thèse, quand un nouveau consolateur entra : c'était M. Ernest-Émile-Frédéric Hupé, l'instituteur actuel de Monval. Le père Pâtureau lança un coup d'oeil sur son ennemi, et battit habilement en retraite, en murmurant : — Pourvu que celui-ci ne gâte pas mon affaire...
M. Ernest-Émile-Frédéric Hupé était un élève de l'école Normale ; d'où le père Pâtureau et ses partisans l'avaient surnommé le Normand. Il était d'une taille élevée, droit comme un cèdre ; une moustache noire, soigneusement peignée, ombrageait sa lèvre supérieure ; de plus il portait la mouche et le collier. Ses vêtements pincés, sa botte fine, son pantalon à sous-pieds, ses manières étudiées, tout annonçait en lui un fashionable, pendant que son ton doctoral et son langage empesé décelaient le régent. M. Hupé était muni d'un brevet en règle; il avait été reçu à l'école sous le n° 27. Depuis trois ans il était venu remplacer le père Fifi, comme instituteur, mais non comme clerc, ayant objecté qu'il ne savait que fort peu le plain-chant, et que de trop longues
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pauses à l'église lui portaient sur les nerfs. Ses connaissances étaient très-variées : il raisonnait de tout, et avec un merveilleux aplomb. Son genre de faire le catéchisme différait singulièrement de l'ancien ; il dissertait longuement sur les principes de la religion naturelle, et mentionnait fréquemment l'Être Suprême. Les petits enfants disaient : Maman, M. le maître ne parle jamais du Bon Dieu. Et le père Pâtureau concluait malicieusement que M. Hupé n'était pas catholique, mais sans doute le fils d'un protestant ou d'un juif. Il l'appelait indifféremment le Normand ou le Renégat.
L'arrivée de M. Hupé avait occasionné une espèce d'émeute dans la commune. Les amis du père Pâtureau s'étaient insurgés ; les femmes surtout n'en voulaient point d'autres que le père Fifi. Le bon abbé Prétot, que son grand âge mettait hors d'état de suivre de près une question, demandait en grâce qu'on lui laissât son vieux maître d'école. Le conseil municipal s'assembla. Les progressistes, M. le maire entête, opinèrent pour le renvoi du père Fifi, qui n'avait pas de brevet ; les retardataires demandaient qu'on le conservât jusqu'à sa mort, qui ne pouvait être éloignée. Ce fut un gros bruit. Le père Fifi allait de maison en maison solliciter les suffrages, la larme à l'oeil; les femmes surtout étaient touchées de compassion, et juraient, les poings sur les han-
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ches, que jamais autre instituteur ne mettrait le pied dans la commune.
On adressa au préfet et au comité une pétition couverte de signatures, et rédigée par le père Fifi lui-même. Le secrétaire de la préfecture n'y compta que quarante-trois fautes d'orthographe. Les femmes firent des croix au bas ; plusieurs ne purent y faire que des pâtés. Malheureusement la pétition fut écartée. Après toutes les promesses et toutes les assurances que les administrations quelconques sont dans l'usage de donner pour faire taire les pétitionnaires, un beau jour, M. Dindonneau (du Loiret), sous-inspecteur des écoles primaires, vint installer M. l'instituteur Hupé. Ce' fut un tumulte effrayant. Le soir il y eut charivari, puis le lendemain encore et quelques jours ensuite. Puis peu à peu l'orage s'apaisa. Beaucoup d'enfants qui avaient déserté l'école revinrent y prendre leur place. Le parti Fifi s'affaiblit insensiblement. Quelques entêtés seulement contitinuèrent à envoyer leurs enfants au pauvre vieillard, que la nécessité força, comme nous l'avons vu, à faire le métier de notaire en retraite , et M. Hupé resta maître de l'école et du champ de bataille.
Or, Anselme Ballet, notable et membre du conseil municipal, avait eu le bon esprit de s'abstenir dans la question: le jour de la délibération, il s'absenta. De cette manière il avait su éviter la
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haine des deux magisters, ce qui lui valut la visite de l'un et de l'autre.
M. Hupé portait haut le sentiment de l'honneur. On comprend à quelle distance énorme il voyait le père Fifi, ce pauvre imbécile qui savait à peine lire. Il n'ignorait pas que le mutin vieillard s'obstinait à enseigner illégalement ; plusieurs fois, on lui avait conseillé de le dénoncer ; mais lui, noble et fier, avait dédaigné de recourir à cette voie; le dogue puissant s'inquiète-t-il des aboiements du roquet ? Pourtant, quand il vit le père Fifi, en bande de lard, s'acheminer du côté de chez Ballet, une distraction vint couper le fil de ses logarithmes.
— Ah ça ! mais, songea-t-il, est-ce que ce vieil édenté oserait encore aller faire l'article jusque-là ?
C'était jeudi. M. Frédéric Hupé n'avait rien à faire ; l'idée lui vint d'aller offrir ses compliments de condoléance à ce pauvre diable de Ballet, que le Destin venait de frapper si cruellement. M. Hupé passa son habit noir, peigna ses moustaches, lissa ses cheveux et se rendit solennellement à la demeure d'Anselme. Il ne daigna pas jeter un coup d'oeil sur le malheureux Pâtureau, qui s'effaça au plutôt devant lui avec une merveilleuse prestesse. Mais quand il fallut ouvrir la bouche pour commencer une phrase, M. Hupé, frappé de l'air de tristesse du pauvre Ballet, resta
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muet comme un poisson. Anselme fut obligé de parler le premier.
— Quel vide ! M. Hupé, quel vide ! dit-il en tendant une main à l'instituteur et en lui montrant de l'autre une chaise.
— Il est vrai, M. Ballet, répondit le Normand, que la destinée vous a cruellement frappé. Oui, mais une grande âme a cela de propre qu'elle se montre plus grande dans l'adversité. Vous voilà, ajouta-t-il, en donnant à son buste la plus parfaite rectitude, vous voilà dans le cas de ce juste dont parlent Horace et surtout Sénèque. Vous êtes un spectacle admirable pour l'Etre-Suprême luimême.
— Ah! quel spectacle! reprit douloureusement Anselme.
— Ouvrez l'histoire, M. Ballet, continua M. Hupé en reprenant toute sa majesté doctorale, et vous y trouverez les plus beaux exemples du courage avec lequel des femmes mêmes ont supporté les malheurs domestiques dont il avait plu à la destinée de les accabler. L'adversité est vieille comme le monde : il est grand de tenir ferme sous ses coups. La bonne philosophie consiste à se couvrir d'une triple cuirasse d'airain contre la malice du sort.
— Ah ! mon étoile ! mon étoile ! interrompit Ballet avec un ton d'angoisse.
— Eh bien! oui, l'étoile! Le ciel peut s'as-
UN INTÉRIEUR. 155
sombrir une heure, mais tôt ou tard, comme dit le poëte, l'aquilon se lève, et dissipe les nuages que l'orage avait entassés.
— Regardez, regardez, M. Hupé, ajouta Anselme en montrant ses deux petits enfants, qui semblaient concentrer toute sa sollicitude.
Il y avait déjà longtemps que M. Hupé les regardait
— Sans doute, M. Ballet; la mère a quitté le nid avant que les petits oiseaux eussent des plumes
— C'est cela! interrompit Anselme, vous dites vrai... Oui, la pauvre mère a quitté le nid, avant que les petits oiseaux eussent des plumes.
—Mais, M. Ballet, permettez-moi de vous le dire, il vous sera donné de trouver des tuteurs qui vous aideront à soutenir ces jeunes arbrisseaux. Vous leur procurerez le plus tôt possible les avantages de l'éducation. Homme de sens et de coeur, vous comprenez combien il importe de donner à l'intelligence un développement précoce. Quel âge a ce petit garçon?
— Six ans, répondit Anselme en regardant l'enfant d'un oeil de tendresse.
— Bel âge! reprit M. Hupé ; âge de candeur et d'innocence, âge d'or de la vie humaine. C'est là, et là seulement que se réalisent tous les rêves que les poëtes ont forgés sur le berceau de la race humaine. Et vraiment, sans vous flatter,
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M. Ballet, cet enfant a une physionomie intelligente, il annonce une grande vivacité d'esprit.
— Pauvre innocent! dit Ballet en attachant ses yeux humides sur la face de son fils.
— Mais aussi, c'est l'heure de saisir cette jeune intelligence. On pourrait tout perdre à attendre plus longtemps. M. Ballet, confiez cet enfant à
un maître habile et instruit : je vous réponds
qu'on en fera quelque chose
M. Hupé se raffermit sur sa chaise et releva la tête. Anselme, sans détacher ses regards de son fils, songeait avec amertume :
— Il ont bien aisé de dire ; mais je n'ai pas le sou. Sans doute, sans doute, il a de l'esprit, ce pauvre petit : mais comment lui en donnerais-je de l'éducation? Je n'ai plus rien, moi! S'il avait eu seulement sa mère pour lui apprendre à lire ! Où trouverais-je le peu qu'il faut pour le mettre à l'école? Dans huit jours, je puis être hors de ma chaumière, sans asile, sans toit, sans un morceau de pain!... Ah! l'étoile! l'étoile!
Pendant ce douloureux soliloque, M. Hupé passa sa main cinq à six fois sur ses cheveux, tira le bas de son pantalon, brossa sa manche. Un moment, on garda le silence.
- Voilà ce que c'est pourtant, songeait M. Hupé : je parierais que ce vieux tondu a déjà touché cette corde-là, et que ce petit moutard m'échappera. Si cela continue ainsi, je serai bientôt réduit aux
UN INTÉRIEUR. 157
deux cents francs que la commune m'alloue dans sa générosité. Il n'y a pas gras. Pourtant, il faut que cela finisse. Le préfet recevra demain une dénonciation en règle, et Pâtureau apprendra si c'est impunément qu'on brave les lois, et qu'on me fait la barbe.
L'instituteur argumentait encore avec lui-même, quand le facteur entra.
— Eh! bonsoir, père Madiot, dit Anselme, en se levant pour aller chercher une chaise.
— Bonsoir, M. Ballet, ne vous dérangez pas, je vous prie ; je ne puis m'asseoir : voici une lettre à votre adresse.
— Une lettre !
— Une lettre : Deux décimes.
— Deux décimes? on va vous remettre cela, père Madiot; asseyez-vous donc un peu.
Pendant qu'Anselme sortait pour aller chercher ses deux décimes, M. Hupé s'ébranlait à son tour.
— Ainsi voilà le conseil que je vous donne, M. Ballet, dit-il en sortant; placez vos enfants entre mains sûres. Vous me connaissez assez pour
croire que... je ne vous abuse pas Lecture,
écriture, calcul, histoire, grammaire, arpentage ; vous savez, tout ce qui compose mon... un cours d'enseignement élémentaire. Songez-y, M. Ballet, il est temps de prendre cet enfant...
— Nous verrons ! Nous verrons ! répondit An-
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selme en rendant d'un air distrait son salut à M. Hupé qui s'éloignait.
— Deux décimes ! reprit Ballet à demi voix ; je crois que je ne les ai pas. — Adèle ! Rose !
Adèle ni Rose ne répondirent.
— Plus rien ! pensa Ballet en croisant ses bras au milieu de sa grange, où il était allé chercher ses enfants ; pour cinq centimes on me mettrait hors de chez moi. Voyons, est-ce là une vie supportable? J'ai déjà vendu les trois plus belles pièces de mon écurie ; j'ai cédé la fleur de mes champs, et c'est comme si je n'avais rien fait,
tout s'est engouffré dans l'abîme sans fond Il
faudra que j'y passe : le havre-sac ou la corde. Ah ! justice de Dieu ! pourquoi souffres-tu de tels monstres sur la terre ! Pourquoi faut-il que l'honnête homme soit si cruellement vexé !
Anselme, livré à ces réflexions affligeantes, oubliait le facteur ; mais l'entendant tousser dans sa cuisine, il rentra.
— Mille pardons, père Madiot, si je vous fais attendre; mais c'est que les enfants sont absents, et que, pour vous dire la vérité, je n'ai pas un sou de monnaie sur moi. Il faudra que vous ayez la bonté d'attendre.
— C'est bien! c'est bien! M. Ballet: à une autre fois.
Le facteur s'éloigna. Anselme rentré dans son poêle, où jouaient ses deux petits enfants, se
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laissa tomber sur une chaise, et se mit à verser des larmes. Ce mince incident avait fait sur lui une impression que n'eussent pas fait peut-être des événements plus graves : il lui laissait voir toute sa misère. N'avoir pas vingt centimes à sa disposition ! et être obligé de vivre, et de nourrir une famille nombreuse ! Quelle source de réflexions amères !
Il n'avait pas encore songé à ouvrir sa lettre. Ses yeux tombent sur elle par hasard ; apercevant le timbre d'Ouvet, il sent sa curiosité s'éveiller, il tire ses lunettes de leur étui en bois, décachette la lettre, et cherche d'abord la signature. C'est celle du père Tartara. A ce nom maudit, les yeux du malheureux Anselme se voilent, une sueur froide coule sur ses membres. Sa main tremblante laisse échapper la lettre, et il se renverse sur le dos de sa chaise. Puis sa main se porte instinctivement sur son coeur, qui palpitait alors avec une force extraordinaire. Ses deux petits enfants, interrompant leurs jeux, étaient venus se hisser sur ses jambes.
— Papa, disait Luce, c'est à moi que vous donnerez votre petit oiseau, n'est-ce pas? le petit oiseau qui est caché sous votre gilet !
— Oh! c'est moi qui l'aurai, disait Joseph; Luce a déjà une poupée.
Et leurs mains se posaient à l'envi sur ce coeur paternel, secoué par de si horribles angoisses. Pen-
160 UN INTERIEUR.
dant assez longtemps Anselme, insensible aux caresses de ses enfants, resta perdu dans ses tristes pressentiments, oppressé, écrasé, en quelque sorte, par le sombre avenir qui le menaçait. Puis un ressouvenir le ramena à sa lettre. Il déposa avec humeur les petits marmots, qui lui pinçaient le menton, lui tiraient la barbe, et reprenant la missive d'une main toujours tremblante, il lut...
Toutes ses prévisions se réalisaient. L'usurier lui envoyait le reçu du dernier terme des rentes, et le prévenait, quinze jours à l'avance, que si la somme due n'était pas intégralement payée, il se verrait forcé de le faire exproprier.
Cette accablante nouvelle, qui portait le dernier coup à une existence malheureuse, ne produisit pas cependant au dehors l'impression à laquelle on eût dû s'attendre. Anselme, au contraire, parut se raffermir. Il essaya de. sourire à ses petits enfants qui étaient venus se replacer sur ses jambes, se laissa prendre ses lunettes, tirer la barbe; sa main même ne tremblait plus. Il serra longtemps ces innocentes créatures contre ses joues, avec une joie et un abandon charmant, leur dit des mots de tendresse, s'en fit baiser dix fois ; jamais son âme paternelle n'avait montré une effusion plus franche, un épanchement plus doux. Sa figure bronzée, terreuse, avait soudain repris sa lucidité ; son regard était baigné d'une joie claire, intelli-
UN INTÉRIEUR. 161
gente; sa physionomie tout entière avait changé d'aspect.
C'est qu'une idée lui était venue : une idée à la fois triste et gaie, consolante et désespérée : il avait résolu de mourir...
Et ici encore se réalisait le proverbe banal : Les extrêmes se touchent. La douleur du malheureux père poussée, acculée pour ainsi dire, avait rencontré un terme. La mort, par opposition à tant de souffrances, lui avait semblé un bien, un bien énorme, immense. Le fatalisme du vieux soldat s'était réveillé. Mâchant avec lenteur ces mots amers, les derniers que lui eût adressés sa femme : A bientôt! il les interprétait dans le sens du désespoir, au lieu de les goûter dans le sens chrétien. A bientôt ! avait dit cette femme mourante, cette âme tendre et pure, qui semblait ne se consoler de quitter tant d'êtres chéris que par l'espérance de les revoir bientôt dans un séjour meilleur ; mais lui, l'infortunée victime du malheur, avait cru n'entendre qu'un arrêt fatal, ou même un ordre de la destinée qui le pressait de déposer le fardeau de ses maux. Oubliant le sombre et incommensurable avenir caché derrière la tombe, il ne voulait voir dans la mort qu'un repos glacial, un terme forcé aux douleurs poignantes qui désolaient sa vie. Et il jouissait de cette pensée ; son âme navrée goûtait une joie ineffable, se plongeait, se baignait, pour ainsi dire, dans
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cette idée qui brillait devant lui, comme un arcen-ciel à la fin de l'orage. Et il éprouvait le besoin d'épancher cette satisfaction intérieure sur ces deux têtes d'anges, de les presser contre ce coeur si malade, si débordant d'amour paternel.
Puis à ces longues et douces étreintes, un sentiment amer succéda. Anselme releva les yeux pour contempler ses deux enfants, et une question ferme, précise, bourdonna dans sa tête , sans qu'il pût l'éluder : Que deviendront-ils après toi? Est-ce courage ou barbarie, de laisser seuls, sans l'appui de la paternité, ces plantes si frêles encore et si délicates ? N'y a-t-il pas lâcheté à s'en aller seul, à laisser peser sur d'autres le poids de misères qu'on ne peut supporter? N'y a-t-il pas surtout cruauté à aggraver encore par une fin honteuse et déshonorante, le lot d'infortune qu'on est obligé de laisser à sa pauvre famille? Oh! ces idées-là se faisaient terriblement sentir sous la folle joie du désespoir. Le sentiment chrétien se remua au fond de l'âme du vieux soldat, ce sentiment si large, si enraciné qui se retrouve toujours sous les vices du coeur, sous les égarements de la raison, comme le sol primitif se retrouve sous les friches ou les ruines.
Puis, ses enfants l'ayant quitté, il s'accouda sur la fenêtre et revit le cimetière. Son sang fit un tour plus rapide dans ses veines, son coeur s'arrêta, puis battit plus fort : il lui semblait enten-
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dre l'afflux grouiller, bruire dans son organe malade. Puis le calme revint, et il laissa ses yeux errer sur le sévère enclos, et son âme savourer les idées mélancoliques que cet aspect faisait naître. Il pouvait découvrir la grande croix qui, de son tertre élevé, semblait dominer ce champ de la mort, comme elle domine la scène de la vie et le tumulte du monde ; signe éloquent, bien que muet; juge en dernier ressort, au pied duquel tout, TOUT doit venir s'abattre; dernier mot de l'énigme; dernière raison du temps; suprême arbitre des vivants et des morts
Le vieux soldat considéra longtemps ce monument sacré. Son fatalisme pliait devant ce témoignage auguste de la bonté d'un Dieu et de la liberté de l'homme. Car si une destinée irrévocable fie nos volontés d'une chaîne de fer, si l'homme est invinciblement entraîné au bien ou au mal, pourquoi donc ce fait irrécusable, incontestable, appuyé sur la foi de vingt siècles, de L'INCARNATION d'un Dieu? N'est-ce pas là la preuve la plus haute, la plus palpable de la liberté humaine dont les excès volontaires ont exigé une réparation si éclatante? Dieu serait-il descendu pour une machine? Aurait-il commis l'inconcevable absurdité de mourir sans fruit possible, pour réparer des égarements inévitables et par conséquent non coupables?
Et puis, les souvenirs mêmes du soldat venaient
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en aide à la foi du chrétien. Il se rappela que son vieux, son idole, avait, lui aussi, de temps à autre incliné le front devant la croix ; que Napoléon avait redressé les autels, et montré des égards pour une religion qui prêche l'éternité des peines et des récompenses, et par conséquent la moralité et la liberté des actes humains. Tout cela venait vaguement battre au seuil de son âme, comme les flots d'une fin d'orage viennent expirer sur la grève. Et puis il se souvenait de ce fameux ordre du jour, où le petit caporal avait stigmatisé la mémoire d'un grenadier qui s'était donné volontairement la mort, en qualifiant cet acte de lâcheté. Ces pensées, en contre-balançant le projet de son désespoir, établissaient en lui comme une sorte d'équilibre, assez semblable au calme plat qui intervient entre deux tempêtes. Longtemps, il demeura bercé dans cette alternative, dans cette vague incertitude, qu'entretenait en lui l'aspect de l'enclos funéraire, où ses yeux étaient fixés.
Rose rentra et le surprit dans cet état. La lettre ouverte reposait encore sur la table. Au premier bruit que fit l'enfant, Anselme sortant de sa rêverie, jeta la main pour la retirer; mais ce mouvement ne fut pas si prompt, que Rose ne s'en aperçût. L'excessive délicatesse que ce bon père mettait dans son amour pour ses enfants, lui avait fait incontinent comprendre le danger qu'il y avait
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à leur laisser deviner le malheur qui les menaçait. A quoi bon troubler sans fruit ces existences déjà trop agitées? Que gagnera-t-il à ensevelir sous un linceul de tristesse ces faces naïves, paisibles, souriantes, dont l'heureuse insouciance est parfois une si douce distraction à ses maux? Son malheur ne sera-t-il pas doublé, le reste de sa vie doublement empoisonné, si ses yeux, qui ne rencontrent au dehors que de tristes aspects, n'en trouvent au dedans que de plus tristes encore ? Oui, il a besoin de garder comme son seul, comme son dernier bien, la sérénité de ses enfants. Il y a encore un peu d'égoïsme dans cette attention paternelle. Mais tout cela n'est pas raisonné; c'est un instinct, un fond d'être ; Anselme a retiré sa lettre comme une perdrix déploie ses ailes, au premier bruit qui menace sa couvée. Et affectant une mine souriante, il étendit les bras au devant de sa fille.
IX.
LE PROMIS.
Rose n'était point seule. A quelques pas derrière elle, s'avançait tremblant, timide, un jeune homme de Monval, nommé Firmin Desprez. C'était le promis d'Adèle Ballet. Marguerite avait su distinguer, entre tous les courtisans de sa fille, cet honnête et laborieux garçon, dont le caractère paisible et la conduite régulière justifiaient
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assez le choix de cette mère éclairée. On pourrait s'étonner que doué d'une âme si unie, ce pauvre enfant se fût épris de cette jeune fille bourrue, active, impérieuse, si l'on ne savait que la similitude des caractères est la condition la moins essentielle pour assortir un mariage, et que les extrêmes, ici comme partout, tendent toujours à se rapprocher. Le père et la mère Ballet avaient vu de bon oeil Firmin venir à la maison, et Adèle, consultée d'abord et laissée libre, avait dû éconduire ses autres courtisans, dès que son choix s'était fixé sur celui-ci.
C'était une bonne et excellente créature que ce jeune paysan. Sans être ce qu'on appelle beau, il n'avait non plus rien de laid ; sa taille médiocre mais bien prise, ses membres nerveux et proportionnés, sa carnation naturelle, attestaient une constitution saine, un sang pur ; pendant que la douce bonhomie de ses traits, la candide sérénité de sa figure décelaient les qualités naïves qui ornaient son âme. C'était avec le coup d'oeil sûr d'une chrétienne et d'une mère, que Marguerite Ballet avait discerné cet enfant et l'avait désiré pour gendre. En effet, elle avait remarqué que seul il n'avait point cédé à l'entraînement général, et qu'au milieu des désordres dont le Coq Gaulois était devenu le centre, Firmin, comme un autre Loth au milieu de Sodome, avait su se garder intact. C'était une de ces âmes naturellement bon-
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nés, à qui le vice semble coûter comme aux autres la vertu, qui craindraient presque de se déranger en suivant les voies perverses, moins parce que le désordre entraîne après lui des suites funestes, que parce qu'il arrache le coeur à ce calme embaumé, à cette atmosphère de paix et de sérénité, qui fait comme leur élément. Ames heureuses, mais bien rares, dont le type est resté dans nos campagnes, et dont chaque paroisse peutêtre pourrait encore offrir un modèle.
Firmin Desprez n'avait reçu qu'une éducation commune, c'est-à-dire savait lire, écrire et quelque peu calculer ; mais le développement intellectuel est-il donc nécessaire au bonheur? On le dirait, à la tendre sollicitude que témoignent nos progressistes pour l'extension des lumières; mais on est bien tenté de le nier, en voyant l'énorme accroissement des vices et des crimes coïncider si fatalement avec les progrès de l'instruction (1). Sous les dehors les plus vulgaires, ce
(1) " Ouvrez le Moniteur du 11 de ce mots (avril 1845); il contient le compte-rendu de la justice criminelle pour 1843; vous y verrez que le nombre des accusés est loin de diminuer, ainsi qu'on l'avait espéré, avec le développement des lumières et de la richesse. Pour les seules condamnations capitales, le nombre s'est accru en sept années de trente à cinquante. D'un autre côté, le nombre des suicides a augmenté d'une manière effrayante. Quel sujet de réflexions sur l'état actuel de la société! » (Comte Beugnot, discours à la Chambre des Pairs, séance du 14 avril 1845.)
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brave garçon cachait une exquise honnêteté, une candeur merveilleuse, et surtout une délicatesse de sentiment, une sensibilité de coeur qu'on ne pouvait assez apprécier. Il savait peu de chose de la vie. Circonscrite dans les douces et étroites limites du foyer, son âme ne connaissait ni les rêves d'une vie idéale, ni les trop tristes réalités de la vie positive. Obéir à ses parents, travailler sans veille ni lendemain, observer paisiblement ses devoirs, et attendre le reste de la Providence et du temps, c'était là tout le secret de cette âme ingénue. Et Firmin faisait cela, comme l'abeille fait sa ruche et l'oiseau son nid; sans art, comme sans répugnance, sans ostentation comme sans honte. A force d'obscurité et de calme, il était parvenu à se faire oublier; condition heureuse dans ces temps d'agitation, où un seul pas en dehors des habitudes avait entraîné si loin tant de jeunes étourdis. Sa timidité naturelle lui faisait d'ailleurs une loi de l'obscurité ; comme ces plantes que leur organisation frêle oblige à chercher l'ombre, il avait senti instinctivement que le monde n'était pas son élément; qu'il y serait étouffé ; que la vie turbulente, en l'arrachant à son repos, le rendrait malheureux; et il avait mieux aimé passer pour simple, pour idiot, que d'aventurer sa pauvre âme dans les troubles de la vie.
Et pourtant cette âme était née aimante. Un jour, l'affection naquit chez elle, comme par haT. 1. 8
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sard, comme s'élève tout à coup une plante dont le germe était jusqu'alors resté inconnu. Firmin Desprez sentit, sans s'en rendre compte, le besoin de s'appuyer quelque part, sur quelque chose, de verser au dehors ce trésor de sensibilité que recélait son coeur. Et cette pente était d'autant plus naturelle, que le brave enfant ne trouvait point à épancher autour de lui ses affections. Il avait le malheur d'être enfant unique ; et quand nous disons malheur, nous parlons sérieusement, ayant toujours remarqué que la bénédiction du ciel s'attache aux grosses familles, et que les enfants uniques , s'ils sont plus fêtés, plus caressés, s'ils concentrent sur eux une somme d'affections plus grande, n'en sont par cela même que plus vite gâtés et blasés ; qu'en outre, leurs défauts, pour la même raison, sont toujours plus nourris et plus tenaces ; et qu'enfin ils ignorent la bonne moitié des jouissances humaines, je veux dire l'art heureux de partager ses peines et ses plaisirs. Et pour comble de malheur, les parents de Firmin étaient de la pire espèce qu'on rencontre au sein des campagnes, chiches, avares, jusqu'à la crasse. Et comment cette âme aimante et généreuse avait-elle pu éclore sous cette influence desséchante de deux êtres collés à la matière? C'était là un de ces traits de la douce Providence, qui mêle, avec un art insaisissable, le bien au mal ici-bas, et compense toujours le spectacle re-
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poussant du vice par les attraits consolants de la vertu.
C'est là malheureusement un des défauts les moins rares dans la classe agricole, le goût de la matière, tranchons le mot, de la terre. Incessamment courbé sur le sol qu'il mouille de ses sueurs, l'agriculteur s'en rapproche, sans qu'il s'en doute ; il s'y attache, il s'y mêle en quelque sorte ; il ne voit que la terre, il y songe avant tout ; il l'aime d'autant plus, on dirait, qu'elle lui fait payer plus cher ses malheureux produits, par cet effet de notre nature, qui nous fait sentir plus vivement les faveurs qui nous ont été plus longtemps refusées. Et les vertus mêmes qu'il est obligé de pratiquer et qui sont comme l'apanage de sa condition, le mènent là; la sobriété, la tempérance, l'amour du travail, l'économie, l'économie surtout, l'inclinent à cette attache désordonnée à des biens périssables. Car, qui sait la borne où la vertu expire et le vice commence? Qui sait la limite qui sépare l'amour légitime de l'affection coupable?
Nous avons entendu souvent des curés de campagne gémir sur cette plaie de l'homme des champs. La terre, la terre, toujours la terre! Ils se plaignaient que des âmes honnêtes, d'ailleurs, et bien nées, fussent par trop ramenées à ce centre, et alourdies par ces chaînes pesantes
Mais chez les parents de Firmin, ce vice avait atteint son plus haut degré. Rien ne pourrait
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peindre la sordide avarice de ce couple malheureux. Elle allait jusqu'à se refuser le nécessaire, à refuser même à un fils unique le plus mince superflu. Et l'on trouvait son excuse en disant : C'est toujours pour lui ! Il retrouvera cela plus tard ! Comme si la jouissance n'était pas de tous les temps ! comme si le plaisir honnête se plaçait à intérêt! Comme si jamais l'avare vieillesse, l'âge mûr seulement, nous restituaient ces joies printanières, qu'un jour aurait vues éclore et mourir! Comme si le pâle automne et le rude hiver nous rendaient les violettes que nous avons négligées de cueillir!
Mais lui, le pauvre enfant, se souciait peu vraiment de la sordide ladrerie de ses parents à son endroit. Il vivait de peu ; il ne fallait que peu à des goûts si bornés, à une âme si simple et si paisible. Assis au coin du foyer, après sa journée faite, il acceptait avec une résignation qui était bien près du contentement, la mesquine nourriture qu'on lui donnait, sans laisser jamais échapper une plainte, sans même songer à mieux. Bien loin d'envier aux jeunes gens de son âge leurs turbulents plaisirs, il s'en serait défendu comme d'une peine, comme d'une fatigue au-dessus de ses forces. Et ces goûts modérés, cette admirable résignation devenaient pour ses parents une justification de leur conduite, et un nouvel excitant à resserrer de plus en plus le cercle où il était emprisonné.
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Comme le chien du cloutier, ce jeune et laborieux paysan tournait toute la journée, toute l'année sa roue pénible, sans autre salaire qu'une nourriture que souvent les animaux eux-mêmes eussent rebutée.
Mais un beau jour, cette heureuse apathie se secoua; le poids des chaînes se fit sentir à cette âme captive; Firmin s'éveilla de son long sommeil. Il aimait!... un autre horizon, une vie nouvelle se découvrait à ses yeux ; le prisonnier sentait le besoin de sortir de sa cage, pour goûter et partager avec une autre les douceurs de la liberté. Alors l'insoucieux jeune homme se sentit pris d'une activité étrange ; lui qui avait à peine pensé jusque-là, se mit à rêver ; lui qui avait à peine soupçonné ses fers, fut saisi d'un ardent désir de les briser. Longtemps la passion couva, secrète et comprimée ; sa timidité le contenait ; il n'osait s'annoncer; il comprenait combien devait lui nuire cette gaucherie, suite de l'inexpérience et de l'isolement, et il rougissait d'avance à la pensée des éclats de rire qui allaient accueillir sa première apparition, et des refus et des dédains qui allaient répondre à ses premiers aveux. Longtemps donc il hésita, il trembla, et fit effort pour comprimer ces mouvements de son coeur ; à la fin, l'affection grandit et devint tellement impérieuse, qu'il fallut céder. Mais toujours l'insurmontable obstacle était là, Firmin n'osait pas. Il avait be-
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soin d'un confident, et ce confident se trouvait là. Une idée lui vint comme un trait de lumière, d'aller trouver son curé, de lui confier sa peine, et de le prier de lui servir d'introducteur, ou de le guérir de sa folle passion. Encore hésita-t-il longtemps à faire cette démarche. Cependant il vint à bout de surmonter sa fausse honte, et se rendit au presbytère. Combien de fois il tourna son bonnet dans ses doigts, avant d'oser déclarer son secret, c'est ce que le lecteur devine. Le curé, homme prudent et sage, et dont nous parlerons plus tard, entra dans sa pensée, l'approuva, et accepta de lui ouvrir lui-même l'entrée de la maison Ballet. Ceci coïncidait trop bien avec les désirs de Marguerite, pour souffrir la moindre difficulté , et Adèle arrêtée à temps sur la voie où la lançait son étourderie, eut le bon esprit de comprendre les voeux de ses parents et d'y conformer lès siens.
On suppose assez que Firmin ne connaissait pas au juste la position de, Ballet. Comme il avait le coeur fait, il est certain qu'il l'eût acceptée franchement, et n'eût point renoncé à ses affections pour les embarras, même les plus graves. Il aimait vraiment cette bouillante et impétueuse créature, qui l'attachait peut-être par ses défauts. Ballet, au contraire, par cette sorte d'amour-propre naturel à tout homme, prit à tâche de dissimuler sa position, fit même des efforts
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pour paraître plus riche qu'il n'était, en autorisant , par exemple, dans sa fille un luxe au-dessus de son état, ou en régalant de temps en temps ses amis, et Firmin entre autres, etc... Mais Marguerite , plus délicate et plus sensée, souffrait de l'ignorance où on laissait ce naïf jeune homme; elle frémissait par avance de ce qui pouvait arriver un jour, quand l'illusion se dissipant, Firmin verrait le piége tendu à son innocence. Elle cherchait bien, la bonne mère, à se persuader que Firmin était doué d'un excellent coeur, à prendre à la lettre ses protestations réitérées qu'il ne voulait et ne cherchait que sa fille. — Mais il y a si loin, songeait-elle, de l'amant à l'époux ! Et une femme est si malheureuse quand, dès le début, un mari s'aperçoit qu'on l'a joué! —Cent fois elle eut la langue levée pour tout dire; et cent fois, je ne sais quelle considération, une fausse honte peut-être, la retint; elle mourut en emportant ce poids sur son coeur.
Du côté de Firmin, l'embarras n'était pas moindre. Ses parents avaient de la fortune ; mais leur sale avarice ne leur permettait pas de relâcher la moindre chose en faveur de leur fils. Inutilement le pauvre enfant avait- il livré assaut des deux côtés ; en vain, dans l'épanchement de l'intimité, avait-il cherché à aborder le coeur de ses parents ; sa mère même ; — et où trouver à se faire comprendre, sinon au coeur d'une mère? — sa mère,
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dis-je, avait fermé l'oreille aux voeux et aux plaintes de son fils ; elle avait donné son consentement, sans observations, sans réserves, il est vrai; mais c'était tout; Firmin n'avait rien à attendre de plus.
Hideux caractère de l'avarice, qui, seul de tous les vices, peut-être, a la puissance de tarir les sentiments de tendresse, dont toute âme maternelle déborde !
Firmin devint alors bien malheureux. L'admirable résignation de son caractère ne lui permettait point de se livrer à l'emportement ni aux reproches ; il se tut ; il dévora son affront en silence. Mais combien de larmes coulèrent à la dérobée ! que de journées soucieuses et de nuits sans sommeil ! quelle immense et inextinguible douleur sous ce calme apparent ! Et plus sa retraite était profonde, moins il avait de distraction au dehors, plus sa plaie était vive, son tourment aigu ; il semblait réparer par l'intensité de son chagrin le temps perdu pour la souffrance.....
Il recourut encore à son conseil, le digne curé. Si le zèle, les instances réitérées, la douceur ou la sévérité employées tour à tour et avec ménagement, eussent pu lever l'obstacle, l'obstacle était levé. Mais les deux âmes sordides, pétrifiées par. l'avarice, restèrent inexorables aux supplications du prêtre. Il eut beau évoquer les lois les plus sacrées, épuiser les arguments les plus fermes, les
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deux souches soutinrent l'assaut avec cette impassibilité qui décourage le zèle le plus ardent. Il fallut hausser les épaules et lâcher prise.
— Tiens donc, Gogotte, disait le mari à sa femme, que le bonnet carré nous attaque! Qu'en dis-tu ? Faut avoir du toupet pour lui résister.
— Pardine! mais, c'est lui, Coco, qui en a du toupet, de venir nous tourmenter comme ça. Vas-donc ! Est-ce que nous touchons ses libera ?
— Et sa gerbe de passion?
— Et ses services?
— Et ses mariages?
— Et ses enterrements?
— Hein donc, Coco! quand ça ne nous coûtera pas plus qu'à lui de gagner des sous, hé bien ! notre garçon en aura.
— Quand il n'y aura qu'à chanter une antienne ou à monter au cimetière pour gagner sa journée, tu as raison, Gogotte, notre fils en profitera.
— Est-ce qu'il croit donc, le brave homme, que la chose vient en dormant?
— Ce n'est pas que je lui en veuille, Gogotte, comme ça, de ce qu'il nous bouscule un peu ; ça, c'est par charité. C'est qu'il aime bien notre Firmin.
— Alors, s'il l'aime tant, voilà une belle occasion pour placer ses épargnes ; qu'il décroche pour lui quelques libera.
8,
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— Tu as raison, Gogotte, reprit Desprez en riant; comment est-ce que ça se fait que nous n'avons pensé ni l'un ni l'autre de lui pousser cette botte-là?
— Attends qu'il revienne.
— Il ne reviendra pas.
— Eh bien ! vois-tu, Coco, je ne sais pas si tu es comme moi, mais tant que je vivrai, je ne céderai pas ça.
Elle plaçait l'ongle de son pouce droit sous la seule dent qui lui restât, et le retirait avec un léger bruit.
— C'est convenu! C'est convenu! répondait Coco, radieux de joie.
Qu'on se figure la triste position de Firmin. Une continuelle tristesse emplissait son âme ; son coeur était parfois tellement gros, qu'il lui ôtait jusqu'à la respiration. Alors le pauvre garçon se retirait au verger ou dans quelque coin désert, et se soulageait en versant un torrent de larmes. Ce qui l'affligeait le plus, c'est qu'il n'avait pas à espérer que les dispositions de ses parents changeassent jamais. Jamais, il en était sûr, ils ne se relâcheraient de leur rigueur : l'avarice glace l'âme, et par un caractère qui lui est propre, elle augmente avec l'âge. Or, le père de Firmin avait quarante-huit ans, et sa mère quarante-cinq! Et tous deux étaient doués de cette constitution robuste que le travail et la sobriété procurent ; ils
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étaient tout os et tout muscles; ils menaçaient d'une effrayante longévité. Et parfois aussi, quand le pauvre jeune homme était débordé par sa tristesse, que l'affection plus vive emportait son âme, eh bien! il se surprenait à souhaiter du fond de son coeur la mort de ses parents... Mais ce n'était là qu'une surprise. Bientôt la réflexion lui venait; il tressaillait alors, joignait les mains, et levant au ciel ses yeux humides, il demandait pardon à Dieu de la pensée coupable qui venait d'effleurer son âme.
Mais quels charmes la vie pouvait-elle avoir pour lui? Parfois il se prenait à désirer la mort. Et plus cela allait avant, plus son affection augmentait; si bien qu'à la fin, il n'osait presque plus se présenter chez Ballet, de peur que la violence de sa douleur ne l'étouffât un jour.
On connaissait sa position chez Anselme, on la devinait du moins, jusqu'à un certain point; car, quelque réputation d'avarice qu'eussent les époux Desprez, on ne pouvait guère supposer que la chose allât si loin. Un seul membre de la famille connaissait exactement la vérité , et c'était Rose ; oui, c'était encore à elle, et à elle seule que le malheureux promis avait osé confier sa peine : tant était grande la confiance que cette angélique enfant inspirait à tout le monde !
Tel était de part et d'autre l'état des choses quand survint la mort de Marguerite Ballet. Fir-
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min la ressentit avec une étonnante vivacité. Il éprouvait pour cette femme si digne une tendresse toute filiale ; il se rappelait que c'était elle qui l'avait accueilli, encouragé; il se souvenait de l'affection qu'elle lui avait témoignée, des bons avis qu'elle lui avait donnés, et de cette atmosphère de contentement et de paix qu'on goûtait toujours en sa présence. La parole de Marguerite était si raisonnable et si douce, son ton de voix si pénétrant, ses formes si simples et si belles, que le brave garçon transporté là, du sein aride et desséché de sa famille, se trouvait comme sous l'empire d'une influence magique. Souvent, et sans qu'il sût pourquoi, ses yeux s'emplissaient de larmes. Plus il voyait l'intérieur de cette famille, le tact, la sensibilité qui y régnait, les manières douces et polies que Marguerite avait su y répandre, plus il lui tardait d'en faire partie, et plus il sentait vivement la force des obstacles qui s'y opposaient. Oh! oui, la mort de Marguerite fut pour lui un coup terrible ; il pleura bien amèrement cet événement malheureux ; je ne sais si de toute la famille personne sentit plus vivement que lui la grandeur de cette perte. Il voulut assister au convoi ; mais quand il fallut sortir de l'église, quand il vit le corps descendre lentement le long de la nef, et qu'il entendit les cris déchirants des enfants et surtout de celle qui avait ses affections, oh! alors son coeur se fendit; il
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laissa échapper son gros cierge; ses yeux se voilèrent, ses oreilles bourdonnèrent; il lui fallut s'en retourner chez lui : le courage lui manquait pour suivre sinon jusqu'au bout la triste cérémonie. Les deux jours suivants, son malaise durait encore ; il n'avait pas eu la force de venir mêler ses larmes à celles de la famille Ballet; c'est à peine si, du fond de son verger, il osait jeter les yeux sur cette maison qu'un voile de deuil enveloppait à cette heure... Il se décida pourtant, et le surlendemain il entrait avec Rose, mais après s'être assuré que la promise était absente ; il n'eût pu soutenir sa vue, tant son âme était oppressée de tristesse.
Anselme, en le voyant, se sentit pris au coeur.
— C'est toi, mon garçon, dit-il en lui tendant la main; ah! que je trouvais le temps long de ne pas te voir... Regarde !...
Le pauvre homme étendait la main vers le lit fatal, et ne put en dire davantage. Un' serrement de coeur avait étouffé sa voix. Firmin attendri , consterné, tenait ses yeux fixés sur lui, sans pouvoir prononcer un seul mot. Mais bientôt , entraîné par un mouvement irrésistible, il s'était jeté dans les bras d'Anselme, et tous deux s'embrassèrent avec effusion.
Cette entrevue fut triste au delà de ce qu'on peut dire.
Firmin dégagé de l'étreinte d'Anselme, alla
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s'asseoir, et demeura longtemps à regarder ce lit vide, où son imagination lui représentait encore celle qu'il y avait vue si longtemps languir.
— Ah! Firmin! dit Anselme, en faisant un effort pour rompre le silence, dis donc, mon fils, quel malheur!
— Quel malheur! répéta Firmin.
— Ma vie est empoisonnée, mon pauvre ami. Où veux-tu que j'aille traîner maintenant ma misérable existence?
— Ici, mon père, dit Rose, ici même; vous n'êtes point abandonné; vous ne le serez jamais...
— Vous ne le serez jamais ! répéta Firmin avec une bonhomie touchante.
— Dis-moi, jeune homme, que sont devenus nos rêves?... Tu sais?... Car je t'aimais... elle t'aimait... elle te voulait... maintenant, regarde!
Le malheureux étendait de nouveau sa main vers le lit, pendant que ses yeux cherchaient le cimetière par la fenêtre.
— Oui, mon père, un malheur, un affreux malheur, reprit Rose, mais le ciel veille, vous aurez toujours des appuis; vos enfants sont là, vous trouverez en eux des consolations... Voilà Firmin qui en répond pour son compte : N'est-ce pas, Firmin?
— Ah! mon Dieu ! fit le jeune homme en joignant ses mains et en laissant couler deux larmes.
UN INTÉRIEUR. 183
Ce geste expressif disait toute la pensée qui occupait son âme.
— Car il est de vos enfants, mon père, il est des nôtres ; je suis bien sûr que nos maux ne feront que le rapprocher de nous davantage.
— Ah! Rose! Ah! Rose! reprit Firmin d'une voix entrecoupée, ce que vous dites là me fait mal! Tenez, mon coeur se brise...
Le pauvre jeune homme sentait aussi expirer sa voix.
— Je le savais, mon garçon, dit Anselme avec attendrissement; oui, je connaissais assez ton bon coeur pour ne pas douter que tu nous resterais fidèle. C'est dans l'adversité que l'amitié véritable s'éprouve.
— Et puis vous verrez, mon père, ajoutait Rose qui saisissait toujours avidement l'occasion d'infuser un peu de joie au coeur de son père ; oui, vous verrez que le bonheur ne nous a pas abandonnés pour toujours. Je ne sais pourquoi, mais j'espère... Le Seigneur se souviendra de ses miséricordes... Allez, j'ai là quelque chose...
— Et voilà ! Firmin, interrompit Anselme, dont l'esprit préoccupé ne suivait pas la pensée de sa fille; tu joues un gros jeu; tu viendras partager notre misère... Oui, j'ai regret de te le dire, tu feras un malheureux de plus...
— J'y consens ! J'y consens ! dit Firmin avec
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vivacité; ne craignez rien, M. Ballet, ne vous inquiétez pas, je puis tout souffrir...
— C'est triste, c'est amer à dire, pauvre jeune homme, continua Anselme; mais je ne puis, ni ne dois te le cacher; tu partageras notre misère... toute notre misère... rien que notre misère...
Et le malheureux Ballet inclinait sa tête, avec cet air découragé qui lui semblait si naturel. On eût dit qu'une affection nouvelle voulait aussi signaler sa présence, que ce pauvre coeur battait pour un enfant de plus. Cette attitude fixa douloureusement l'attention des deux jeunes gens ; ils se regardèrent avec émotion, sans rien dire. Ballet, toujours penché, semblait compter les battements de son coeur, et écouter ce bruit mat, comprimé, que fait entendre un coeur qui palpite.
— Tu as compris, Firmin? reprit-il après un moment de silence. Mais vois-tu, je ne veux pas te surprendre : tu réfléchiras. Tu réfléchiras, mon garçon; la chose en vaut la peine; oui, tu y penseras à deux fois, je t'en laisse le temps.
— Ah ! mes réflexions sont faites, dit le jeune homme que ces doutes semblaient offenser; pour l'amour de Dieu! M. Ballet, ne me dites pas des choses comme celles-là...
L'émotion de Firmin était sincère. Mais Anselme ne pouvait s'ôter de la tête que s'il eût connu en entier la position de la famille à laquelle il voulait s'unir, son affection ne se fût bien-
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tôt changée en éloignement. Ce doute pénible fatiguait l'âme d'Anselme, pendant que Firmin luimême se faisait aussi des reproches de n'avoir pas découvert franchement l'embarras que lui suscitait la crasseuse avarice de ses parents.
— Car vois-tu, mon enfant, reprit Anselme, ne te fâche pas, si j'insiste ; tu as à toi seul plus de fortune que je n'en ai à laisser à toute ma famille... Eh bien! tu sens... je ne voudrais pas te tendre un piége... Mais elle te l'avait déjà dit, hein? mon garçon, elle te l'avait dit?
— Oui, oui, M. Ballet, je sais, je devine
répondit Firmin en tiraillant son bonnet dans ses mains.
Hélas! ce trait lui rappelait plus vivement sa propre misère, et cette seule pensée faillit encore lui arracher des larmes.
— Tu sais cela, honnête enfant, oui, tu sais cela, reprit Anselme; alors... tu es bien bon, tu es... fidèle. Tu sais, Firmin, que nous sommes pauvres...
— Et moi aussi, je le suis, et moi aussi!... interrompit Firmin avec un sentiment insurmontable de conviction amère.
— Tu te sens donc prêt à partager notre souffrance, notre misère, dis, mon garçon?
— A gratter la terre avec mes ongles, répondit Firmin avec l'énergie que lui inspirait la pensée de ses maux.
186 UN INTÉRIEUR.
Ses yeux brillaient d'un éclat inconnu...
— C'est bon, c'est bon, je te reconnais, dit Anselme en lui tendant affectueusement la main. Oui, tu accepterais le havre-sac!
Nous renonçons à peindre le ton creux et sec avec lequel il prononça ce dernier mot, et l'expression d'ironie amère qui se laissa voir sur sa figure livide. Son teint parut plombé comme un vase de terre cuite ; une sueur grasse, huileuse , le faisait briller à la lumière de la fenêtre qui le frappait obliquement. Il y eut un moment de silence pénible, pendant lequel Anselme reporta ses yeux sur le malheureux cimetière, vers lequel un irrésistible instinct le ramenait toujours. Alors il reprit son sourire sarcastique, puis il passa une de ses mains sur son front pour essuyer la sueur qui coulait dans ses rides ; puis il murmura à demi voix :
— A bientôt! oui, oui, l'amie, à bientôt!
Et soudain une pâleur étrange remplaça cette couleur olive qui teignait sa face ; son coeur battit avec une force redoublée ; ses paupières clignèrent; une légère oscillation se fit remarquer dans son buste ; puis il se pencha en arrière et tomba contre son lit : il était sans connaissance.
X.
LE CURE DE CAMPAGNE.
Un autre consolateur vint le lendemain apporter à la famille Ballet son tribut de condoléance ; c'était le curé. Mais cette fois le motif était pur, la compassion sincère. Disons un mot sur ce prêtre et sur sa position au sein de la paroisse.
L'abbé Simette avait trente-six ans. Son port était grave, son maintien noble et digne ; sa fi-
188 UN INTÉRIEUR.
gure allongée, son nez aquilin, ses grands yeux bleus, imprimaient à sa physionomie quelque chose d'imposant ; mais de nombreuses cicatrices de petite vérole, qui parsemaient son visage, tempéraient d'un peu de sévérité l'ensemble de ses traits. Son caractère était réfléchi ; une prudence consommée et une patience à toute épreuve faisaient le fond de ses moeurs. Il exerçait le ministère dans une petite paroisse, quand ses supérieurs jugèrent à propos de l'envoyer à Monval.
Ce poste passait pour difficile; et c'était en réalité une mission de confiance qu'on lui donnait. Dire pourquoi et comment ce petit trou de Monval était descendu si bas que d'être devenu redoutable au ministre de la Religion, serait chose longue, mais curieuse peut-être. Oui, ce serait une utile et curieuse étude que celle de la décomposition morale et religieuse d'une population ; décomposition ordinairement lente, parfois rapide, mais toujours accompagnée de symptômes analogues, partant à peu près des mêmes causes, arrivant presque toujours au même point, et se bigarrant de mille et une circonstances, de mille et un accessoires, qui en font une histoire réellement digne d'intérêt.
Ce serait tout un gros livre à faire, que nous ferons peut-être un jour, mais dont nous nous contenterons d'indiquer le titre aujourd'hui. On a parlé, on parle tous les jours à tort et à travers du curé de campagne ; nos romanciers impurs n'ont pas
UN INTÉRIEUR. 189
dédaigné de salir ce beau nom, ce noble caractère de leurs éloges suspects ; ils ont nommé le curé de campagne, ils l'ont loué, ils l'ont prôné, mais avec l'intention bien évidente de le mettre en opposition avec Rome et son propre évêque ; comme si la doctrine du bon curé de campagne, ainsi qu'ils l'appellent, pouvait être autre que celle de l'épiscopat et de la papauté ; comme s'il y avait un curé de campagne possible hors de l'instruction et de l'éducation cléricale, hors de l'inspection, de la direction, de la nomination de l'évêque; comme s'il y avait enfin un ministère ecclésiastique légitime sans l'union intime avec le siége épiscopal, par lequel seul on peut tenir au chef suprême de l'Église, et par conséquent être catholiques.
En lisant ces fades et niais éloges réservés exclusivement pour le curé de campagne, par les héritiers de Voltaire, il nous vient toujours en pensée que ces gens-là prennent nos prêtres pour de bons imbéciles, qu'on amènerait par le bout du nez à un schisme tranquille, à une Église nationale. Regardez, et vous verrez que les bons curés de campagne que ces spéculateurs de scandale mettent en jeu, sont toujours absurdes et niais jusqu'au protestantisme, jusqu'au rationalisme même. Bonnes créatures qui se croient catholiques en répudiant le joug de Rome et de leur évêque; prêtres du Christ, en s'affublant de la défroque de Luther et de Voltaire !
190 UN INTÉRIEUR.
Bons romanciers aussi, qui croient avec quelques grains de leur grossier encens, ébranler la fidélité du clergé le plus fraternel, le plus sage, le plus pur, le plus serré autour de l'unité, que la terre ait jamais montré au ciel. Ils travailleront longtemps, nous l'espérons, avant de pénétrer dans ce corps compacte où leurs ignobles écrits pénètrent à peine, et ne parviennent qu'à inspirer le plus profond dégoût. Revenons à notre sujet.
La paroisse de Monval avait été occupée, avant et après la révolution, par l'abbé Prétot, digne et excellent vieillard, qui était resté fidèle dans l'époque orageuse, et avait demandé comme une faveur la grâce de revenir au sein de son troupeau. Il n'avait jamais eu d'autre paroisse que celle-là; il y tenait par toutes les habitudes de sa vie, par toutes les affections de son coeur. Tout le monde, comme il le disait naïvement, avait passé par ses mains. Il avait marié les grandspères, baptisé les fils et les petits-fils. Un seul ménage s'était soustrait à sa longue juridiction : c'était un couple sans enfants, dont le mari avait quatre-vingt-treize ans, et la femme quatre-vingt-neuf.
— A la bonne heure ! A la bonne heure ! leur disait-il souvent en riant; mais vous avez beau faire, je vous retrouverai à l'autre bout!
En effet, il les enterra tous les deux dans la même semaine.
UN INTÉRIEUR. 191
Nous n'avons pas besoin de dire qu'il y était tranquille et respecté. Le moyen de ne pas tolérer un homme qu'on avait toujours vu, qui était plus vieux que les événements, que les partis! L'estime que les vieillards témoignent à un prêtre se transmet toujours jusqu'à un certain point aux enfants. Mais la Révolution avait tracé, là comme ailleurs, plus qu'ailleurs peut-être, une ligne de démarcation profonde. Et ce brave homme ne s'en était pas assez aperçu. Et quand il s'en fût aperçu, aurait-il pu sonder à fond, et guérir la plaie ?
Qu'on juge. Il avait débuté comme vicaire dans la paroisse de Monval; Un vieillard en était déjà curé ; un de ces vieillards taillés sur le patron antique, bon, simple, incapable du mal et pouvant à peine le supposer dans les autres. La paroisse était en tout digne du prêtre ; les moeurs y étaient simples et pures, la foi naïve et pratique, le goût de l'ordre héréditaire; c'était la vraie vie patriarcale. L'abbé Prétot se coula nécessairement dans ce moule; l'homme, à quelque état qu'il appartienne, dépend de son début; comme le vase, il ne se forme qu'une fois.
La Révolution vint. Ce fut un coup de tonnerre pour ces braves gens de Monval, une catastrophe inouïe, imprévue pour le vicaire et son curé. Celui-ci devenu sourd et paralytique, ne comprit du reste qu'à peine le sens de ce mouvement ; il
192 UN INTÉRIEUR.
mourut, en demandant ce que cela voulait dire. L'abbé Prétot écrivit à son vicaire-général pour savoir quelle conduite tenir, en reçut avis de ne point prêter serment, ne le prêta point et gagna la terre de l'exil. Pendant deux ou trois ans, il demeura caché dans une petite bourgade de la Suisse, chez un honnête bourgeois, dont il instruisait les enfants, moyennant sa nourriture et un fort léger salaire. Sous le Directoire, ayant appris qu'il se faisait une éclaircie, il rentra et revint droit à Monval. Il y exerça à la sourdine son ministère, maria et baptisa quelques fidèles; puis l'orage ayant grondé de nouveau, il se cacha quelque temps chez le père Ballet, et reprit la route de Suisse, dont il ne sortit plus qu'au rétablissement du culte pour reprendre sa chère paroisse.
Mais pendant son absence, un vide énorme, un abîme profond s'était creusé dans ce malheureux village. Les principes révolutionnaires, les chants républicains, les ventes de biens nationaux, les fêtes patriotiques", les curés intrus, les agents des comités, etc., y avaient bouleversé les têtes, et tout mis sens dessus dessous. Il en est des localités comme des individus, comme du sol; il y en a où le bon grain germe vite ; d'autres où la mauvaise herbe pousse à vue d'oeil ; d'autres où il ne croît rien du tout. Monval avait une disposition étrange à recevoir et à féconder la mauvaise
UN INTÉRIEUR. 193
semence; il semblait marqué pour le génie du mal. On ne peut dire avec quelle rapidité le levain fermenta ; comme toutes ces têtes se calcinèrent ; avec quelle effrayante et persévérante énergie on se jeta dans la voie du mal. Il semblait que cette douce existence de patriarche demandait, en compensation, une profonde déviation dans le chemin de l'erreur ; que les enfants, au rebours de la loi commune, dussent porter la peine des vertus de leurs pères. Le citoyen Fréchet, beau-frère du père Ballet, fut celui qui contribua le plus à l'explosion de la mine; mais sans doute elle était déjà préparée, car ce fut merveilleux comme des hommes, qui s'étaient endormis paisibles et chrétiens, se réveillèrent révolutionnaires et maratistes.
Là cependant, comme ailleurs, le gros de la bourrasque passa. Les intrus disparurent, Fréchet s'en alla; quelques-uns des plus chauds se rendirent aux armées et y périrent. On eut à Monval, comme partout, un calme forcé, un concordat, une espèce de conciliation avec le passé; mais le fond resta ; le vieux levain révolutionnaire ne se détruit pas si aisément. Les populations, comme les hommes qui font un pas trop avant, n'en reviennent presque jamais.
Quand donc l'abbé Prétot rentra dans son village, la superficie était calme. Il rapportait, bien entendu, ses idées du vieux temps, ses premières T. I. 9
194 UN INTÉRIEUR.
impressions; il n'avait rien appris ni rien oublié. Et à côté du tumulte qui régnait au moment de son départ, en comparaison des horreurs qu'on lui avait racontées, dans sa terre d'exil, il trouvait, certes! sa position bien douce et Monval bien raisonnable. Ajoutez qu'on lui était venu au devant, qu'il avait été accueilli, fêté, et voyez s'il était possible que l'illusion ne fût pas complète. Il se trouva donc tout naturellement disposé à l'indulgence, vers laquelle, d'ailleurs, son caractère inclinait. Il se garda bien, il eut presque peur de sonder les plaies de sa paroisse. Quelques révolutionnaires étaient restés en possession de dominer le pays ; il n'eut garde de se heurter avec eux. Chat échaudé craint l'eau froide. Il tremblait au seul souvenir du mal qu'on avait fait, à la seule pensée de celui qu'on pouvait faire. Il voulait ménager tout le monde, vivre avec tout le monde. Les meneurs ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'il avait plus peur d'eux qu'ils n'avaient peur de lui; naturellement ils gardèrent l'avantage de la position et même la renforcèrent, si bien que l'influence du prêtre fut à peu près nulle, au moins sur la partie que la révolution avait gâtée.
Et puis l'âge vint, la vieillesse routinière, courte dans ses vues, faible dans ses moyens d'exécution, idolâtre du repos, amie du bien, ennemie du mieux. Encore, tant que dura l'em-
UN INTÉRIEUR. 195
pire, la peste des mauvais livres n'avait point nifecté la pauvre paroisse ; cette rude main qui menait la France avait bâillonné d'étrange façon les aboyeurs littéraires, tout l'essaim voltairien qui étouffait de philosophie rentrée. Mais quand la barrière eut été levée, quand la liberté de la presse eut lâché le torrent, alors ce fut un débordement inouï, et dont il faut avoir été témoin pour y croire. Le siècle dernier n'avait pas laissé une ordure qu'on ne se crût obligé de rééditer. Ce fut le beau temps de l'Evangile Touquet et du Voltaire des chaumières (1). Et pas un coin de la France ne fut à l'abri du mal ; un vrai débordement diluvien. Nécessairement Monval eut son éclaboussure. Quand la mer est furieuse, toutes les baies, toutes les anses en savent des nouvelles. Il se trouvait là, nous l'avons dit, quelques jacobins pur sang, qui cachaient toujours la vieille croûte sous quelques parades impériales, monarchiques , religieuses même. Ces gens-là applaudirent à l'oeuvre, et s'empressèrent de la servir. Sans être grands Grecs, ils savaient que pour révolutionner la France il faut la décatholiciser ;
(1) Voltaire, qui n'avait pas eu une seule édition sous l'empire et dont un libraire de Paris venait de vendre avec perte quelques volumes dépareillés à un libraire de Hollande, Voltaire, dis-je, eut vingt-deux éditions sous la restauration. Il est vrai que c'est ce qui l'a tué ; si c'était là le but qu'on se proposait, la tactique a réussi.
196 UN INTÉRIEUR.
l'instinct les guidait au lieu de la science. C'était chez eux qu'étaient les entrepôts. Ils prêtaient à qui les voulait les livres et les journaux ; ils apprenaient les nouvelles et les chansons. C'était autour d'eux que gravitait l'opinion publique.
Or, ce mouvement irréligieux, cette plaie nouvelle échappaient à notre bon vieillard. Il en était encore au temps où la presse surveillée par le gouvernement ne tentait que rarement et bien timidement ses écarts : un livre ne lui semblait pas possible sans le privilége du roi, et l'approbation de M. Bossu, vicaire-général, ou de M. Cornet, syndic. Allons donc! le gouvernement laisserait imprimer des horreurs comme cela ! Il persistait, le brave homme, dans cette vieille idée, qui n'est peut-être pas parfaitement bête, que quand un pouvoir a tant fait que de se restaurer, il est absurde à lui de faire tout ce qu'il faut pour se détruire, en mettant entre les mains de ses ennemis acharnés des armes auxquelles il est impossible qu'il résiste.
Idée simple, idée vraie , mais vieille, vieille, mon Dieu!
En attendant, le mal allait son train. M. Bonvalet venait d'arriver. Tous les jours le cercle d'influence se resserrait pour le prêtre. Et notez que jamais le respect pour lui n'avait été plus grand. On le vénérait comme une momie. L'impie, le méchant est plein d'un respect inné pour le
UN INTÉRIEUR. 197
prêtre qui ne le gêne pas ; son estime apparente est en raison de la latitude qu'on lui laisse. On vantait haut la tolérance du bon abbé Prétot, sa douceur évangélique. C'était un homme, celui-là, qui faisait son devoir, et rien que son devoir, un prêtre selon le coeur de Dieu, et non pas tel et tel des paroisses voisines. C'était un concert d'acclamations perfides autour du vieillard; on l'invitait à dîner; on chantait même devant lui des couplets assez graveleux où il croyait toujours reconnaître un air de cantique, etc.. Enfin on le dorlotait, on le berçait, ou, pour me servir de l'expression plus juste de l'un d'entre eux, on l'empaumait.
Ce n'était pas que le mal échappât entièrement au bon prêtre. Non, les colifichets des jeunes filles, les tapages des jeunes garçons, les rixes de taverne, les naissances illégitimes, la désertion des sacrements et mille autres indices de ce genre, lui révélaient bien une plaie profonde, s'élargissant tous les jours. Il criait alors, il se débattait en chaire ; il recommençait tous les dimanches ses mêmes tirades contre les désordres ; mais on le laissait dire. Les plus coupables ne venaient pas au sermon ; les autres y dormaient. Les épicuriens, les voltairiens, les vauriens lui tiraient de plus grands coups de chapeau ; il était obligé de s'en contenter... et tout allait son train.
La mort vint enfin fermer les yeux à l'abbé
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Prétot. Ce fut un deuil, et, nous le croyons, sincère, chez tous les citoyens de Monval. On lui fit des funérailles magnifiques. Le respect des impies le poursuivit jusqu'au delà de la tombe. Le malheureux vieillard fut obligé de subir dans son cercueil une demi-douzaine d'éloges, prononcées par un
jacobin, par un libertin, par un usurier, etc
Dernière insulte jetée à sa mémoire !...
Tel était donc l'homme que l'abbé Simette venait remplacer ; tel était le poste qu'on lui confiait. Il frissonna, quand il apprit sa nomination à la cure de Monval ; il réclama modestement, fit même des instances respectueuses ; mais comme on insistait, il fut obligé d'accepter. Se résignant alors bravement, et jetant sa confiance en Dieu, il se proposa pour devise ces deux mots, dont il résolut de ne jamais se départir : Prudence, Fermeté.
Et cette devise, il y fut fidèle. Nous laissons à juger quels grands yeux ouverts furent braqués sur lui, quand il vint pour la première fois dans sa paroisse. Les trois ou quatre meneurs, flairant de loin un ennemi, cherchèrent tout d'abord à déverser sur lui le ridicule.
— Quel grand manche à balai ! disait l'un.
— Quelle figure de plâtre blanc ! disait l'autre.
— C'te bosse ! disait un troisième. Et ces bras branlants comme une queue de vache ! Et ces mollets comme de petits radis !
UN INTÉRIEUR. 199
— Il ressemble à Gringalet trait pour trait ! reprenait le quatrième. Oh ! Gringalet ! Gringalet !
Or, Gringalet était un homme contrefait, jouet de toute la contrée. Ce surnom prit faveur ; pendant plusieurs semaines, le curé ne s'appela que Gringalet.
Si l'abbé Simette sut ou ne sut pas toutes ces fadaises, je ne puis le dire ; mais ce que je sais, c'est que sa conduite fut ce qu'elle devait être, grave, digne, prudente, ferme. Il savait que celui qui veut bâtir solidement doit creuser avant, et travailler lentement; que le savoir est peu de chose, et le savoir-faire tout. Il partit de là. On ne le voyait qu'à l'église, où il parlait peu et fort bien, et chez les malades, où son ton pénétrant remuait souvent jusqu'aux larmes. Tout annonçait en lui un vrai ministre de l'Évangile.
Au fond, la population de Monval était plutôt égarée que méchante. Ce qu'il y avait de bon et d'honnête, les gens de la vieille roche, n'eurent pas de peine à se ranger autour du pasteur. Mais pour agiter une masse de peuple que faut-il ? Trois ou quatre brouillons, influents, décidés, audacieux, et ils se trouvaient ici. Ils devinèrent bien vite qu'ils auraient là en tête un rude antagoniste, et que le bon temps de l'abbé Prétot était passé. Doués de ce merveilleux odorat de chien de chasse, qui sent de loin le danger, ces gens, que leurs passions et leurs opinions avaient brouillés, se
200 UN INTÉRIEUR.
rapprochèrent peu à peu, par une sorte d'instinct qui leur faisait voir l'ennemi commun.
—Holà ! M. Merlet, disait M. Grognon, on dit que celui-ci a la langue bien pendue. Nos femmes assurent qu'il prêche comme un oracle...
— Il n'entend pas qu'on s'amuse, voilà ce qu'il y a de sûr, interrompit M. Cochot.
— Eh bien ! on verra ! répondit M. Merlet.
— Vous savez qu'il a exigé avant de donner les huiles à Saturnin, qu'il mît à la porte la femme qui vivait chez lui? sinon point de sacrements...
— Vous savez qu'il a fait sortir la petite Soufflard de chez son maître?
— On verra ! dit encore M. Merlet.
— On dit même qu'il a refusé l'absolution à Madame Henriquet, sous prétexte qu'elle n'est mariée que civilement.
— On ajoute, je ne le fais pas vrai, qu'il a annoncé publiquement qu'il se montrerait sévère pour admettre à la première communion les enfants qui ne fréquenteraient pas assidûment le catéchisme.
— On verra! on verra! répétait M. Merlet en secouant la tête.
— On parle même de changements dans la conférence. Mademoiselle Rosalie serait exclue du banc des assistantes, pour avoir eu des relations qu'il appelle criminelles, vous savez... l'an dernier !
UN INTÉRIEUR. 201
— On ajoute même que Gobillot ne sera pas préfet de la congrégation, l'année prochaine, parce qu'il aime un peu la bouteille!
— Gobillot ! mon cousin ! dit M. Merlet ; eh bien ! on verra ! on verra !
Plus la conduite de l'abbé Simette était irréprochable , plus son système paraissait prudent et sage, plus ses antagonistes crurent devoir assurer leurs batteries. Ce n'était plus une simple opposition criarde, éphémère, circonstancielle, qu'il s'agissait d'établir, mais une vraie et bonne conspiration, une conjuration dans les règles. Il est merveilleux comme les passions s'entendent à cette oeuvre, avec quelle facilité elles se retrouvent et se coalisent contre celui qu'elles savent leur ennemi-né. Nous rappellerons que M. Merlet, le maire, ne souffrait pas M. Grognon, l'ancien percepteur; que M. Tartara, l'usurier, détestait cordialement M. Cochot le libertin ; mais bientôt tout cela ne fit qu'un, tout cela se rajusta, se rejoignit avec une étonnante souplesse, pour déclarer la guerre au calotin. L'intérêt de tous était en jeu : on voyait venir cette puissance, ferme, résolue, calme, appuyée sur l'Évangile, sur la saine raison, sur les vieux principes ; on se figurait se ralliant autour d'elle insensiblement toute cette population sage et bonne au fond ; on se sentait, pour ainsi dire, manger le sol sous les pieds : tout à l'heure on pourrait rester isolés et
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dépouillés sous les débris de son ancienne puissance; adieu les joies, les parties de plaisir, la danse, les fredaines, etc... C'était vraiment à faire rémir ; comment vivre après cela ? C'était donc une véritable guerrepro arts et focis que ces Messieurs entreprenaient ; aussi se promirent-ils bien de ne pas manquer à leur drapeau. Le dimanche, pendant la messe, on déjeuna chez M. Cochot, on but le Champagne et on jura de ne pas poser les armes que le calotin ne fût hors de la paroisse, ou mis à la raison.
XI.
ESPOIR.
L'abbé Simette venait donc d'entrer chez Anselme. Le système de prudence qu'il avait adopté dès son arrivée dans la paroisse exigeait qu'il étudiât longtemps d'avance le sol qu'il avait à exploiter. Dans un village de dix-huit cents âmes, il y a bien des coins et des recoins à explorer, on ne peut marcher qu'à petits pas. Comme on ra-
204 UN INTÉRIEUR.
conte de certaines villes fortes qu'il faut prendre maison par maison, ainsi il avait dû s'emparer de sa paroisse, pour ainsi dire, ménage par ménage.
Celui d'Anselme lui fut ouvert des premiers. La piété et l'excellent goût de Marguerite avaient bien vite reconnu dans le nouveau curé, non-seulement les vertus solides qui font le bon prêtre, mais encore les qualités sociales qui font l'homme aimable. Une politesse naturelle et digne, un tact exquis, un caractère franc et ouvert, une gaieté sagement tempérée, l'eussent désigné à l'affection et à l'estime de tous, quand d'ailleurs son esprit sacerdotal et sa science n'eussent pas commandé le respect pour lui. L'accueil de Marguerite fut complet. Elle mit sans délai le pasteur au courant de sa position, plaça sa famille sous ses ailes et le pria de vouloir bien en être le protecteur et le guide. Mais tous les membres n'étaient pas dans les mêmes dispositions ; Anselme, préoccupé de sa pauvreté et fataliste, vit son curé d'un oeil indifférent ; Victor et Adèle, entraînés chacun par ses goûts, le regardèrent de travers. Rose seule entra dans les sentiments de sa mère, et quoique bien jeune encore, apprécia le parti qu'elle pouvait tirer de cet excellent guide dans l'intérêt de son âme et dans celui de sa famille. Le prêtre, de son côté, distingua bien vite ces deux âmes privilégiées ; mais la susceptibilité d'Anselme et les règles de
UN INTÉRIEUR. 205
la prudence l'obligèrent à n'avoir avec elles que des rapports rares et éloignés. La longue maladie de Marguerite, en le rapprochant davantage de cette maison, l'initia plus avant dans le secret de ses malheurs. Dès lors une vive sympathie l'attacha à cet infortuné laboureur. L'indifférence religieuse d'Anselme, les désordres de ses enfants, la frêle santé et les vertus de Rose, et je ne sais quel voile de deuil qui couvrait aux yeux du prêtre l'avenir de cette maison, étaient des raisons plus que suffisantes pour exciter son zèle. D'ailleurs, avant de mourir, Marguerite, dans un dernier et touchant entretien, lui avait recommandé si vivement son époux, ses enfants, qu'il s'en était senti remué jusqu'aux entrailles.
— Je reconnais, mon père, lui avait-elle dit dans une expansion de tristesse, que j'ai failli dans mes devoirs d'épouse et de mère. Ah ! la maternité était un poids bien lourd, trop lourd pour une faible femme comme moi. J'ai poussé loin l'indulgence... On se repent rarement d'avoir été
trop sévère, souvent d'avoir été trop mou
Gare que le ciel ne m'impute les désordres de mes enfants ; c'est la seule crainte qui m'afflige, le seul regret que j'emporte... Oh! veillez, veillez, M. le Curé, sur le sort de ces pauvres créatures! Je ne vous dirai pas : remplacez-moi, non, faites le contraire de tout ce que j'ai fait, réparez mes fautes, s'il est possible ; la pensée que vous ramènerez
206 UN INTÉRIEUR.
dans le droit chemin ces chers égarés, me fait un
bien immense Je mourrai plus tranquille
Puisse le Seigneur ne pas m'être trop dur !...
Rose était présente à ces dernières paroles de sa mère ; un regard de la mourante lui fit savoir que ce testament était aussi pour elle. Elle l'accepta. Ce matin même elle s'était rendue chez M. le Curé pour lui confier ses peines, et en particulier ce que le docteur lui avait dit de la maladie de son père. La seule pensée qu'il pouvait mourir à toute heure, être jeté sans préparation devant le tribunal suprême , affectait vivement la pauvre enfant, et la pressait d'éveiller la sollicitude du prêtre sur cet être si cher et si malheureux.
Au moment ou l'abbé Simette entrait, Ballet, toujours immobile au coin de sa fenêtre, tenait encore ses yeux et son imagination fixés sur l'enclos funéraire, où toute son âme semblait être passée. Depuis trois jours que sa femme a pris le chemin de sa dernière demeure, il n'a pu se livrer à la plus mince occupation. Les forces lui manquent dès qu'il veut faire le moindre mouvement ; son coeur bat, ses yeux se voilent, ses jambes plient ; et il est forcé de s'arrêter. Aujourd'hui, pour chercher une distraction à ses maux, il a voulu monter à son grenier ; à peine a-t-il gravi quelques échelons qu'il se sent pris de faiblesse, et n'a que le temps de redescendre pour s'asseoir sur une botte de paille et ne pas tomber à la ren-
UN INTÉRIEUR. 207
verse. Et il ne suspecte pas même la cause de son mal ; il l'attribue au chagrin, à ce poids de soucis qui l'accable. La résolution désespérée qu'il caresse serait bien vite arrêtée, s'il savait qu'il est atteint d'une maladie incurable. Réduit à une inertie forcée, il se berce dans sa rêverie ; il vient s'accouder sur sa fenêtre, et nourrir son âme d'une tristesse qui lui devient nécessaire et presque douce, tant elle noie bien dans une teinte uniforme les douleurs de toute nature qui oppressent son coeur paternel !
La présence du prêtre l'arrache cependant à luimême , ou plutôt elle réveille en lui toutes ses plaies. Pour qui n'a pas les pensées de la foi, c'est une chose lugubre que la vue d'une soutane. Un prêtre, ce n'est plus le représentant d'une religion consolante, le précurseur du Fils de Dieu, l'emblème de toutes les espérances ; c'est le messager de la mort, l'oiseau de mauvais augure, c'est le spectre funeste des derniers moments, le frère aîné du fossoyeur. Nous avons vu des impies frissonner subitement, pâlir au milieu de l'orgie, pour avoir vu passer un prêtre : la salle s'était soudain tendue de noir à leurs yeux ; ils croyaient voir courir sur les murs un doigt qui leur traçait l'arrêt de mort. Plusieurs nous ont avoué que c'était là le motif de leur haine : — La vue d'un prêtre me fait mal!...
Anselme se sentit frissonner à l'aspect de l'abbé
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Simette. Il crut revoir encore le lit de douleur, les cierges, le cercueil, tout l'appareil funéraire... Il montra une chaise à l'abbé, car il lui était impossible de se lever : tant son sang venait de refluer sur son coeur.
— Quel malheur ! M. le Curé, dit-il dès que sa respiration oppressée lui permit de parler.
— Plus grand qu'on ne peut dire, M. Ballet; la providence vous met à de rudes épreuves. La nature serait tentée parfois de se décourager.
— Oh ! oui ! découragé, je suis découragé ; la vie n'est plus qu'un deuil pour moi... et ce deuil, je ne puis le porter longtemps, ajouta Ballet, avec un sourire railleur.
—Eh bien ! quoi ! que faire ? quel parti prendre? Je ne viens pas vous consoler, M. Ballet ; consoler ici, c'est ennuyer.
— Oui, ennuyer, ennuyer... Ah! qu'ils sont ennuyeux ces marchands de condoléances, qui m'assaillissent depuis trois jours ! tenez, ils me tuent avec leurs fades compliments, et leur fausse sensibilité...
— Et pourtant, tous voudraient vous voir sortir de cette apathie douloureuse, de la sombre mélancolie où cet événement vous a plongé.
— J'en sortirai, M. le Curé, j'en sortirai, répondit Anselme avec le même sourire. Il songeait à sa résolution fatale.
— Il faut que vous vous fassiez une raison, que
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vous cherchiez dans des pensées plus hautes un point d'appui que la nature vous refuse.
A ce moment Rose sortit. Un bruit étrange l'avait attirée à l'écurie. Nous verrons plus tard ce que c'était.
Anselme, la tête inclinée, écoutait les paroles du prêtre. Il devinait où ce préliminaire devait aboutir. Un prêtre ne parlerait pas, que sa présence seule, son habit parlerait.
— Je vois ce que vous allez dire, M. le Curé, la religion, la foi... oui... Mais, tenez, quand on a le coeur si malade, il n'y a plus guère de place pour tout cela...
Il regardait son coeur avec cet air de profond abattement que son teint livide rendait encore plus expressif. Le prêtre fut frappé de la violence avec laquelle ce coeur battait, et des changements rapides qui s'opéraient sur la physionomie d'Anselme. Et vraiment il se sentit pris d'une immense pitié : il n'eut pas la force de reprendre la parole.
— Tu n'as jamais guère battu de joie, pauvre coeur, dit Anselme, en posant le bout de son doigt sur son coeur ; souviens-t'en... Si ! quand le petit Caporal se montrait à ses soldats ; quand il posa sur toi la croix d'honneur, comme un baume à tes blessures, et qu'il te dit deux mots, deux mots pleins de cette vertu souveraine, de cette magie, dont il avait le secret... Oui, tu battais bien fort
210 UN INTÉRIEUR.
ce jour-là... parbleu ! pauvre coeur tu aurais bien dû te rompre, c'était le cas. Aujourd'hui, tu bats pour la douleur : tu bats pour eux, tu bats pour elle...
Nous ne pouvons dire ce qu'avait de singulier, d'amer, ce colloque d'un homme avec son coeur. Ce doigt posé sur l'organe malade et suivant ses soubresauts, cet air pensif, cette tête baissée, ce ton sépulcral, formaient un tableau aussi rare que touchant. L'abbé Simette en fut frappé. Il eut besoin d'efforts pour se rappeler à lui, et essayer encore de la consolation.
— Eh bien! M. Ballet, puisque le magicien, comme vous l'appelez, avait le don de guérir vos blessures, quand il n'était qu'un homme, après tout, et un homme bien faible, — sa fin l'a prouvé, — pensez-vous que le grand maître de là-haut n'en puisse faire autant?
— Il le peut ! il le peut ! répondit Anselme, mais il ne le veut pas, peut-être... L'étoile m'a abandonné...
— Ah ! voilà toujours comme parle la douleur, son langage ne change pas. C'est le refrain de tous les malheureux : Dieu me rejette, Dieu m'abandonne. Heureusement que le bon maître sait réduire tout cela à sa juste valeur.
Un soupir profond parti de la cuisine, et suivi d'un cri déchirant, arrêta le curé. Il releva la tête et prêta l'oreille.
UN INTÉRIEUR. 211
— Ce n'est rien, M. le Curé; c'est ma bellemère...
— Eh bien ! qu'a-t-elle donc? Elle dormait tout à l'heure quand je suis entré ; je n'ai pas voulu la réveiller.
— Elle est folle.
— Folle!
— Folle par fois, quand je ne sais quelles lubies la prennent. Eh! mon Dieu, mon Dieu! la pauvre femme, elle a tout perdu comme moi ; oui, elle a tout perdu.—Marguerite, quel tort tu nous a fait ! Où veux-tu que nous allions maintenant ? parle, dis, que voulons-nous devenir ?
Le malheureux tendait ses poings avec une énergie convulsive, vers ce lit vide, où il semblait encore voir sa femme. Ses yeux flasques, terreux, interrogeaient cet être absent et chéri, que sa douleur aveugle osait rendre responsable des coups de la mort.
On entendit bientôt après une faible exclamation: mon Dieu! puis un léger ronflement.
— Elle se rendort, dit Anselme, en reposant ses poings fermés sur ses genoux, pitié ! mon Dieu, pitié, s'il vous plaît !
Il avait relevé ses yeux vers le ciel. Frappé, suspendu, pour ainsi dire, entre ces deux misères si vraies et si profondes, l'abbé Simette ne savait plus par quel bout toucher cette âme susceptible, et percée d'une douleur si aiguë.
212 UN INTÉRIEUR.
— Vous dites vrai, pourtant, M. le Curé, reprit Anselme qui se rappela qu'étant le visité il devait faire des efforts pour entretenir la conversation. Oui, si on avait de la philosophie ; mais croyez-vous que tout homme soit capable de philosophie ?
— Non sans doute, mais de foi, certainement. La philosophie est un appui bien branlant : la foi seule affermit l'âme contre toutes les épreuves de la vie. Le philosophe peut braver de loin l'adversité ; le chrétien seul la supporte.
— Possible, mais ce christianisme, où est-il? Il me le faudrait ; je ne l'ai pas. Ah! mon Dieu! mon Dieu ! que la vie m'est amère !...
Il tordait ses bras avec la force du désespoir.
— Et quand je vous dis, moi, M. Ballet, reprit le curé, qui faisait effort pour retrouver son courage, quand je vous dis que vous l'avez cette foi du chrétien ; qu'elle est enracinée au fond de votre âme ; qu'elle y dort comme la perle au fond des mers ; que ce tumulte, ces emportements de la douleur sont l'écume, la superficie des flots ; qu'en réalité votre coeur est soumis et résigné
Anselme fixa sur le prêtre ses yeux vitreux et étonnés.
— Quand je vous dis que vous ne vous connaissez pas, que, comme tous ceux que la douleur égare, vous vous abusez sur vous-même. Quand je vous répète que la foi du chrétien n'est pas né-
UN INTÉRIEUR. 213
cessairement chose palpable et sentie ; qu'elle gît souvent au fond des entrailles; que la douleur est le sophisme du coeur, comme le désespoir en est l'apostasie ; mais que sous ces vagues qui roulent, sous cette tempête qui sévit, sous ces vastes mugissements de l'air et des flots, il y a quelque chose d'immuable, un roc que les flots balaient sans l'ébranler, qu'ils lavent même pour le rendre plus luisant et plus poli ; un roc qui disparaît à l'heure de l'ouragan, mais qui redressera sa pointe
orgueilleuse dès que le calme renaîtra A cela,
voyons, que direz-vous?
— Rien ! répondit Anselme avec l'accent de la résignation.
— Laissez donc gronder la tempête... elle passera. Les raisonnements, les consolations humaines ne guérissent pas des blessures comme la vôtre, pas plus qu'une bûche de paille n'arrête le torrent. Montez ou descendez , M. Ballet, pour trouver votre point d'appui. En montant, vous trouvez Dieu, le bien immuable, votre origine et votre fin. En descendant, vous trouvez sous le désordre de la nature, sous ces immondices qui forment le fond de l'âme humaine , vous trouvez, dis-je, un cri brûlant qui s'élève vers son principe , un élan irrésistible vers le bien suprême, une voix puissante, souveraine, indéfinissable, qui vous crie : Espoir !
— Espoir ! répéta machinalement Anselme.
214 UN INTÉRIEUR.
— Oui, espoir ! Espoir toujours, espoir quand même ! Pour l'amour d'un homme vous affrontâtes les périls, vous courûtes au devant de la mort. Sur un geste, sur un signe de cet homme, vous vous seriez fait hacher mille fois, percer, cribler, mitrailler; s'il vous eût montré, cet homme, une citadelle, une ville à emporter, vous vous seriez précipité, seul , contre une masse d'ennemis ; vous auriez senti sa prunelle ardente vous suivre, se coller à votre dos, vous injecter ce feu brûlant dont elle étincelait toujours, vous n'auriez pu reculer ; vous vous seriez jeté en fou sous la bouche de mille canons prêts à vomir la mort, à vous broyer Est-ce vrai cela?
— C'est vrai, c'est vrai ! interrompit Anselme à Leipsik, par exemple, à Lutzen, à
Bautzen Nous étions vingt, dix, cinq; nous
avons pris des canons, fait reculer des compagnies entières Mais c'était un magicien,
cet homme-là, son oeil, sa parole, c'était de la flamme.
— Et quelle folie de votre part ! Ballet, convenez-en aujourd'hui.
— Non pas, non, non, répondit Anselme avec feu ; non, je vous jure. Aujourd'hui même, il serait là, — vraiment, que n'y est-il ! — eh bien ! à son accent, à un geste de sa main, je me jetterais encore dans le péril. Allez, c'est plus fort que l'homme, cela
UN INTÉRIEUR. 215
— Et ce magicien, Anselme, qui vous ravissait à vous-même, ne vous aimait pas.
— Pardonnez , M. le Curé, Napoléon aimait le soldat, répondit Anselme avec un ton chaleureux et convaincu.
— Oui, comme le boucher aime son troupeau. Quand, où cet homme montra-t-il jamais le regret d'avoir sacrifié des hommes? Quand le vit-on verser une larme sur les tas de cadavres qu'il amoncelait sous ses pas ? Il aimait la gloire, Anselme, il la cherchait à tout prix ; nécessairement alors il aimait l'instrument dévoué et docile, qui l'aidait à cueillir la palme, objet de ses voeux. C'est là toute la tendresse que Napoléon eut pour vous.
— Ah ! ne m'affligez pas, M. le Curé, dit Anselme avec tristesse; il m'aimait, lui; car il a posé la croix d'honneur sur ma poitrine.
— Eh bien ! soit, il vous aimait. Pourtant vous qui l'avez servi fidèlement, qui vous êtes exposé cent fois à la mort, qui avez reçu des blessures pour lui, dites, vous a-t-il rendu heureux? qu'at-il fait pour vous sauver de la misère qui vous attendait au foyer ?
— Rien, rien, il ne pouvait rien ; un général ne peut récompenser tous ses soldats.
—Si fait, Anselme, il en est un qui le peut. Vous le connaissez ; c'est un bon maître, celui-là ; vous avez foi en lui. N'est-ce pas que vous seriez fâché de céder la part d'héritage qu'il vous garde ?
216 UN INTÉRIEUR.
— Ah ! M. le Curé, dit Ballet d'un ton navré, comme il m'afflige celui que vous dites !
— Il commande la charge; la trompette sonne; on part
— Sa main semble prendre plaisir à creuser mes blessures.
— Le canon gronde; la mêlée est chaude
— C'est coup sur coup. J'étais à peine remis d'une inquiétude qu'en voici de plus grandes.
— Les balles pleuvent, sifflent autour de vous ; vous êtes atteint à la tête, au coeur.....
— Oui, c'est à maudire, c'est à désespérer
— Vous tombez en criant : Maudit soit Napoléon... que l'anathème du ciel l'écrase!
— Jamais ! jamais ! s'écria Anselme en se levant avec une sorte de fureur. Vous blasphémez, M. le Curé !
— C'est juste, reprit l'abbé Simette à voix basse, je blasphème un homme et vous un Dieu.
Nous ne pouvons dire l'impression que fit sur Anselme ce simple mot de son curé. Il reposa sa tête sur son sein, et parut longtemps réfléchir. A la fin, se relevant :
— Tenez, je souffrirais encore pour moi, M. le Curé ; mais ces pauvres enfants... six !
— Eh ! le Dieu qui veille sur les petits oiseaux, pensez-vous qu'il ne veille pas sur les petits enfants ? Il mériterait joliment le nom de bon Dieu, celui que nous servons, si sa main qui soigne le
UN INTÉRIEUR. 217
petit brin d'herbe sur la tuile de nos toits, négligeait ses créatures intelligentes. Allons, allons, père Ballet, on voit que vous avez oublié jusqu'à votre catéchisme.
— Hélas ! hélas ! j'ai tout oublié si ce n'est la douleur. Oublié! mon Dieu! je voudrais pouvoir tout oublier. Ah ! si vous saviez tout, M. le Curé !
— Eh bien ! quoi ? vous avez perdu une femme excellente, une épouse adorée
— Adorée! reprit Anselme d'un air pénétré, et en prenant sa tête entre ses deux mains.
— C'est un grand malheur, une perte énorme, irréparable, si vous voulez
— Irréparable, répéta Ballet à moitié stupide.
— Mais... vos enfants grandissent, vos deux aînées peuvent déjà jusqu'à un certain point remplacer leur mère dans les soins du ménage; votre fils est fort et peut vous dispenser du travail
— Ah ! dit Anselme avec effroi, mon fils ! ils vont me le prendre ! le 22 janvier ! C'est cruel
L'abbé fut un moment sans comprendre le sens de ces paroles.
— Ils vont me le prendre, mon fils! mon Victor! Ils n'auront pas pitié de mes maux. Saventils, eux, tout ce que je souffre; combien ce pauvre garçon est nécessaire à sa famille ? Des soldats ! ils en auraient assez sans lui.
Le curé devina alors.
T. I. 10
218 UN INTÉRIEUR.
— Eh! mais, pourquoi vous désespérer ainsi d'avance ? Victor peut échapper au sort.
— Ah ! M. le Curé, dit Anselme d'une voix pénétrée , mon étoile !
— C'est cela, c'est là-dessus que je compte aussi, l'étoile de la mer, n'est-ce pas?
Anselme hocha la tête avec un sourire ironique.
— Et puis voilà l'autre qui souffre ; notre ange va nous quitter, reprit-il avec une émotion profonde.
— Pas encore de sitôt, M. Ballet, Rose va bien.
— Oui, le courage, la bonne volonté la soutiennent, la pauvre petite elle est si bonne! Mais
laissez faire, tout cela est factice. Elle achève d'épuiser pour nous le reste de ses forces ; et puis,
un beau jour elle tombera là à côté de sa
mère.
Le malheureux se retournait vers la fenêtre, et fixait sur le cimetière un regard mélancolique. Le prêtre le considéra longtemps dans cette attitude, sans oser l'interrompre. Un nouveau cri de la mère rappela Anselme à lui-même.
— Et puis, elle , la pauvre vieille, folle ! Et rien pour la soigner, rien pour la nourrir, rien, plus rien!
Le ton creux et énergique dont il prononça ces derniers mots, frappa plus vivement encore le curé. Cette voix caverneuse semblait figurer par
» UN INTÉRIEUR. 219
image le vide que l'infortuné attestait par cette parole amère : Rien ! Et d'ailleurs l'abbé Simette ignorait jusqu'où s'étendait la détresse de son malheureux paroissien, et l'eût-il su, sans doute il n'aurait osé toucher cette corde.
— Rien ! plus rien ! répéta Ballet avec un redoublement d'énergie; mon Dieu! mon Dieu! plus rien !
Nous renonçons à dire tout ce qu'il y avait de déchirant dans cet accent du désespoir. L'abbé Simette partageant la profonde douleur de ce malheureux , et devinant à ses expressions, à ses gestes , toute l'étendue d'un mal que Rose n'avait fait que lui indiquer, faisait un retour sur luimême et s'attristait de son impuissance à soulager de telles misères.
— Que de bien, songeait-il, le prêtre pourrait faire, s'il avait un peu plus d'aisance, si la main qui lui distribue son modeste salaire était moins avare! Ils ont cru, les aveugles, dépouiller le clergé, en usurpant les dons que lui avait faits la piété des fidèles ; et il se trouve que c'est la veuve, l'orphelin, l'indigent qu'ils ont spoliés, privés de leur dernière ressource! Les terres attachées à cette cure rapportaient, m'assure-t-on, mille écus de rente. Ce serait six mille francs aujourd'hui. Six mille francs ! O mon Dieu ! que d'heureux je pourrais faire! Que d'âmes égarées peut-être je pourrais ramener à commencer
220 UN INTÉRIEUR.
par celle-ci, dont la position est si pénible, la misère si touchante...
En se livrant à ces réflexions, l'abbé Simette n'avait pas détaché ses yeux de la face plombée d'Anselme. Il vit une larme déborder sa paupière. Anselme pleurait peu; mais le sentiment de sa misère était à ce moment si profond, si poignant, qu'il ne pouvait se défendre de cette marque de sensibilité. Emu lui-même, écrasé, pour ainsi dire, des larges et cruelles souffrances de cet homme, le pauvre prêtre tenait son coeur à deux mains pour ne pas verser aussi des pleurs, et ne savait où chercher un mot de consolation. Tout se taisait ; on n'entendait rien que le faible bruit du coeur d'Anselme qui battait comme un pendule d'horloge, et le léger ronflement de la bonne vieille sommeillant près du feu.
— Rose! dit Ballet avec cette voix à timbre sourd qu'on ne pouvait entendre sans en être ému.
Rien ne répondit. Le prêtre crut un instant qu'il était en délire, par l'excès de sa douleur.
— Rose! répéta Anselme d'un ton plus élevé. Même silence. Ballet la tête penchée n'avait pas
relevé les yeux.
— Je ne sais si je me trompe, dit l'abbé Simette, mais je crois, M. Ballet, que votre fille est sortie.
— Je le savais aussi, répondit Anselme, mais
UN INTÉRIEUR. 221
je voulais m'en assurer. Voyez, c'est que je serais
fâché qu'elle sût avant l'heure Pauvre petite!
Mais tous... tous, mon Dieu! Tenez, M. le Curé, voyez, lisez vous-même.
Il tirait d'une poche intérieure de son gilet une lettre qu'il présenta au curé. Celui-ci la lut avec étonnement, avec horreur, la relut encore, pour s'assurer qu'il ne s'était pas trompé, et la rendit, sans dire un mot, mais consterné comme s'il se fût agi de lui.
— Elle n'en sait rien encore, reprit Anselme, ils n'en savent rien ni les uns ni les autres; voyez, puisqu'ils n'y peuvent apporter remède, les pauvres enfants, c'est inutile qu'ils apprennent cela d'avance. Quand l'huissier viendra les mettre à la porte, il sera temps encore pour eux de savoir ; n'est-ce pas, M. le Curé?
Ici la figure de Ballet se distendit d'un sourire niais qui faisait mal à voir.
— Sans doute, sans doute, répondit le curé, sans trop savoir ce qu'il disait, préoccupé qu'il était de cette affreuse lettre.
— Vous devez beaucoup , Anselme? reprit-il un moment après.
— Six mille francs !
— Six mille francs ! dit le prêtre avec étonnement; comment donc? Vous si sobre, si laborieux, si économe
— Dites toujours, M. le Curé, c'est un mystère
222 UN INTÉRIEUR.
pour moi-même. J'ai emprunté quatre cents francs au commencement de mon mariage pour me mettre en ménage; j'ai éprouvé çà et là quelques pertes ; j'ai beaucoup sué, beaucoup travaillé ; et je dois aujourd'hui six mille francs !
— Six mille francs! répétait l'abbé stupéfait.
— Eh! mon Dieu! l'usure, cria Anselme en fermant ses poings et en serrant les dents ; l'usure ! Elle dévorerait la fortune d'un roi ! Monstre d'homme ! Oh ! tu as tué ma femme, tu me tues, tu tueras mes enfants... Que la malédiction du ciel t'écrase!
Il y avait dans toute la physionomie et dans les gestes d'Anselme une indicible expression de fureur.
— Il est mal, il est mal de... maudire, M. Ballet, dit le prêtre en tâchant de contenir sa propre indignation ; quelque légitime que puisse être le motif de notre douleur, ah ! gardons-nous de haïr jamais.
— Il a tué ma femme, répétait Anselme en étendant le bras vers le lit désert ; il tuera mes pauvres enfants.
Puis laissant retomber ses mains sur ses genoux , il resta comme accablé sous le poids de sa tristesse.
— Combien de fortune vous reste-t-il encore, M. Ballet? — Pardonnez mon indiscrétion, je n'abuserai pas de votre confiance. — Oui, à combien estimez-vous ce que vous possédez?
UN INTÉRIEUR. 223
— Quoi? qui? dit Anselme d'un air égaré; ma fortune? Rien... je n'ai plus rien
— Mais encore.
— Quelques mauvais champs, grand Dieu! Il a déjà pris les meilleurs, le monstre! Quelques mauvais champs, M. le Curé, dont ces pauvres enfants arrachent, à force de sueurs et de peines, une maigre subsistance. Mais elle est morte de misère, ajouta-t-il avec une tristesse délirante; la pauvre femme, elle est morte de misère, de faim et de soif, M. le Curé. La veille de sa mort, elle demandait un peu d'eau sucrée, eh bien! nous n'avions pas de sucre ; on nous en a refusé à crédit... et nous n'avons pu lui donner à boire que les larmes de nos yeux... O monstre !
Ses membres étaient secoués d'une force étrange ; des pleurs inondaient son visage.
— Eh bien ! voilà ! voilà ! dit le prêtre en élevant la main, et en tâchant de voiler sous un ton d'ironie sa profonde émotion ; voilà des hommes qui ont l'air d'avoir de l'amitié, du respect pour leur curé... Oui, M. Ballet, votre conduite est infâme , misérable ; laissez-moi vous le dire ; c'est à vous que j'en veux ; ce sont de ces choses que je ne pardonne pas... Ah! bah! bah!
Il se levait dans un mouvement d'indignation, et remettait sa chaise en place, comme un homme qui se dispose à sortir.
—Où allez-vous? M. le Curé, dit Anselme étonné.
224 UN INTÉRIEUR.
— Je m'en vais, je n'y tiens plus... Vous êtes un malhonnête, Anselme; je croyais que vous m'aimiez un peu ; je vois que je me suis trompé.
— Quoi donc ! quoi ! M. le Curé, dit Ballet stupéfié; qu'est-ce que je vous ai donc fait?
— Eh! malheureux, vous laissez votre pauvre femme languir sur son lit de douleur, dans le désir d'une légère satisfaction, et vous êtes assez dur, assez cruel pour la lui refuser, quand vous savez qu'il y a là des hommes, un homme au moins, qui s'estimera heureux de vous rendre service, qui serait prêt à mourir pour vous et les vôtres, bien loin de vous refuser une chose si misérable? Allons, allons, Anselme, vous ne méritez plus qu'on vous aime.
Ballet, revenu de sa première surprise, écoutait avec la simplicité d'un enfant qu'on gronde.
— C'est vrai, oui, j'ai eu tort, reprit-il, d'autant plus qu'elle voulait aller chez vous, notre petit ange, et que c'est moi qui l'en ai empêchée. Pardonnez, M. le Curé, j'ai eu tort, j'en conviens.
— Quoi ! Ballet, continua le prêtre d'un ton sec et élevé, vous me refuseriez un service, un secours que je vous demanderais?
— Non, certes, M. le Curé, tout à votre service.
— Et pourquoi n'usez-vous pas de retour, et ne m'en demandez-vous pas ?
UN INTÉRIEUR. 225
— Ah! mon Dieu! fit Anselme en se grattant
la tête, la crainte la honte une fausse
honte
— Voyez, Ballet, dit l'abbé Simette en se rapprochant de lui, et en lui serrant le bras, je ne vous pardonne cette sottise-là qu'à condition que vous n'y retomberez plus.
— Vous êtes bien bon, M. le Curé, c'est bien des obligations que je
— Vous êtes mal à l'aise maintenant, interrompit le prêtre, la longue maladie de votre femme vous a épuisé; probablement votre bourse est vide : eh bien! écoutez, il me faudra six coups de charrue pour les champs de mon clos ; deux voitures de fourrages pour ma vache... six voitures de fumier... le tout va bien à soixante-dix francs : les voilà. Ce n'est pas une aumône que je vous fais, Anselme, non, ce n'est pas une aumône, mais une faible avance, et cela me va d'autant mieux que quand le temps viendra, je n'aurai peut-être pas un centime en bourse. Prenez cela, vous dis-je, et taisez-vous.
Il déposa ses soixante-dix francs sur la table. Anselme touché de cette générosité délicate, se sentit monter la rougeur au visage.
— Mais, M. le Curé, je ne sais pas... je
— Quant au fond, reprit le curé sans faire semblant de l'écouter, nous examinerons l'affaire. Je verrai votre homme. Quinze jours! c'est
10.
226 UN INTÉRIEUR.
bien peu ; n'importe ! Espérons, ayons confiance. L'étoile, l'étoile, Anselme, oui, vous avez raison; l'étoile de la mer; oh ! celle-là luit encore aux yeux des malheureux ; ne la perdons pas de vue. Bonsoir, Anselme.
Le prêtre avait disparu, avant qu'Anselme eût eu le temps de l'accompagner. Le pauvre paysan resta longtemps à considérer les quatorze écus de cinq francs sur sa table, il secoua la tête en disant :
— Pour vivre quelques jours !
XII.
ROUSSETTE.
Pendant la conversation d'Anselme et du curé, Rose, comme nous l'avons dit, avait été attirée à l'écurie par des mugissements plaintifs. Depuis deux jours, Roussette ne mangeait plus : l'enfant supposa que c'était elle, la pauvre bête, qui poussait ces beuglements douloureux ; elle ne se trompait pas. Roussette était couchée sur son côté.
228 UN INTÉRIEUR.
Ses yeux languissants, son haleine bruyante, le halètement de ses flancs indiquaient un mal grave ; la malheureuse bête avait eu une côte brisée par l'angle d'une auge contre laquelle le mendiant l'avait culbutée. Elle semblait n'avoir plus que peu d'instants à vivre.
Nous peindrions mal la stupeur, la douleur où cet aspect jeta la petite fille. Elle fut un instant, les mains jointes et pendantes, à regarder sa vache chérie, qui, elle aussi, la regardait avec une sorte d'attendrissement et d'intelligence! Hélas ! la pauvre bête demandait du secours. Rose s'approcha, lui prit la tête dans les mains, lui fit toutes sortes de caresses auxquelles l'animal répondait par des mugissements douloureux, et en tirant sa langue rugueuse et brûlante, pour chercher à lécher la main de son amie. Et personne à la maison pour courir chez le vétérinaire. Tout le monde est absent, hormis son père à qui elle n'ose annoncer cette triste nouvelle. Elle se décide donc à aller elle-même ; mais Paulin demeure loin; combien de temps lui faudra-t-il à elle, faible, oppressée, pour arriver chez lui?
Il sera peut-être trop tard Il faut pourtant
qu'elle aille
Au moment où elle mettait le pied hors de la grange, elle aperçoit le mendiant. Le lecteur se rappelle que pendant la conversation d'Anselme et du prêtre, la bélier-mère assise près du foyer
UN INTÉRIEUR. 229
avait poussé un cri de terreur. C'est qu'elle avait entrevu Dodo, Dodo sa bête d'horreur; le spectre dont son imagination, on ne sait pourquoi, s'était frappée. Le vieillard battait le briquet, au moment où Rose le vit.
— C'est vous, Dodo Tenez, quand je vous
le disais, nous sommes plus malheureux que vous, allez! Notre pauvre Roussette est malade, mourante
— Ha donc ! fit le mendiant avec un air d'étonnement, c'te pauvre belle petite qu'était à la foire un de ces matins ?
— Oui, Dodo, avec Brunette, que vous avez eu tant de maux d'arrêter.
— Qué chose !
— Un service, Dodo ; voudriez-vous aller la changer de litière, pendant que je cours chez le vétérinaire? Il n'y a personne à la maison
— Si je veux! pardine, tout de suite, chère petite Ange. Vous pouvez aller.
Rose part avec diligence ; le mendiant entre. Roussette, comme si elle eût reconnue son malfaiteur, trembla légèrement et mugit.
— Heu ! nom de section de division! dit Dodo en croisant les bras et en fixant ses yeux sur la bête ; en voilà encore d'une autre ! Elle crèvera, j'en donnerais deux doigts à couper... ça? c'est une bête crevée, comme je m'appelle Dodo. Et vraiment oui, la v'la, ajouta-t-il en se baissant
230 UN INTÉRIEUR.
pour toucher le flanc de l'animal qui tressaillit, oui, la v'là, la bosse : c'est là que je l'aurai tapée... Faut-y pas ! faut-y pas !
Il resta longtemps immobile, sans plus songer même à sa commission. Ses yeux égarés attestaient qu'il pensait à autre chose. Il lécha à plusieurs reprises sa barbe sale et hérissée, regarda tous les coins de l'écurie, et parut plongé dans une profonde rêverie. Il n'y avait pas d'autres animaux à l'étable que Roussette ; le reste était aux champs, malgré la saison avancée, le pauvre Ballet cherchant, autant que possible, à ménager son fourrage. On n'entendait donc rien que le bruit de l'haleine oppressée de Roussette. Le mendiant, après avoir longtemps promené ses yeux sur toutes les toiles d'araignées qui pendaient au plancher, fit un soubresaut et se dit :
— T'es vieux, Dodo, t'es pus qu'une vieille ganache..... Nah donc! Est-ce que t'aurais tant barguigné, quand t'étais jeune? Sais-tu pas ce qu'y disait le père Maillard (1) : Pus y en a, moins ça pèse ? Heu ! mon vieux, comme on bûchait là, dis donc! comme ça chauffait! que chose, hum ! nom de nom ! qué chose !
Ici une joie sauvage illumina sa face ; il repassa encore une fois sa langue sur ses lèvres, mais lentement, avec cette sorte de délectation
(1) L'huissier Maillard, un des héros de septembre.
UN INTERIEUR. 231
que met le tigre à lécher les siennes, quand elles sont teintes de sang. Les rides profondes qui sillonnaient son front, s'étaient toutes ramassées à la naissance du nez, et ses arcades sourcilières, rabattues à demi sur ses yeux, donnaient à ceux-ci je ne sais quelle effrayante profondeur, type de la férocité.
Roussette se mit alors à mugir, mais faiblement, car la pauvre bête perdait de plus en plus ses forces. Elle releva sur Dodo ses yeux à demi éteints, mais où brillait cependant cet éclat trompeur que donne la fièvre. Sa langue pendait de ses lèvres, blanche au bord, rouge-noir au milieu ; un grelottement convulsif annonçait une fin prochaine. Un second mugissement plus sourd et plus plaintif s'exhala de sa poitrine oppressée.
— Te tairas-tu, vieille chienne? dit le mendiant en sortant de sa rêverie; sais-tu pas que tu me vesques et que tu me grabouilles le ventre, par tes cris sans raison? Queu que t'as donc que tu te plains, toi? Parce que tu vas crever! Eh ben! moi, vois-tu, je voudrais crever à ta place. Heu ! nom de nom ! faut-y en voir des dures! Tiens, la vieille, dit-il en baissant la voix, si tu voulais attendre jusqu'à ce soir, eh ben, v'là, nous crèverions ensemble.
Un sourire sardonique passa comme un éclair sur cette figure expressive et hideuse.
— Tu t'en moques, toi, dit-il en adressant de
232 UN INTÉRIEUR.
nouveau la parole à la vache, vieille bête! Tu t'en moques, toi, pisque tu vas crever tout entière, comme je m'appelle Dodo, et que moi, un vieux amadou comme moi, j'ai l'enfer par là-dessous qui m'ouvre sa gueule. Tiens, t'es pas raisonnable, vieille bête, de beugler comme ça, pisque tu meurs... tout entière Heu! si je pouvais...
Il tira de dessous ses haillons son crucifix mutilé, le tint à deux mains, le contempla longtemps, et lui dit enfin d'une voix souterraine, qu'il s'efforçait d'adoucir :
— Vous serez gentil, n'est-ce pas, mon petit bon Dieu : vous serez doux pour le pauvre Dodo...
Il a pas été sage; il en a cogné plus d'un
ça, c'est vrai. Mais queuque y avait donc dans la caboche du Dodo, qui le poussait, qui le poussait, et en faisait comme un démon de l'enfer? Vous serez gentil, n'est-ce pas, mon petit...
En prononçant ces derniers mots avec une singulière tendresse, le mendiant baisa son crucifix. Une douceur étrange avait tempéré alors l'expression de son regard; je ne sais quoi de pieux, d'expressif, avait remplacé l'indéfinissable férocité de ses traits.
Mais comme si l'image vénérée eût aussi changé d'aspect, son front se rida de nouveau ; Dodo recacha timidement le crucifix, et posant ses deux mains sur son bâton, il retomba dans ses rêveries.
UN INTÉRIEUR. 233
Mystère étrange! ce mendiant portait l'enfer dans son coeur.
— Bosse de Satan ! reprit-il bientôt en faisant jouer tous les ressorts de ses membres avec cette raideur métallique qui lui était ordinaire, faut donc que j'y passe ! C'est un sort que j'y résisterai pas. Il disait lui, le Maillard : Pus y en a, moins ça pèse. Si je savais que ce coup-ci veut enfoncer les autres... Mais, oui, ça va être pire encore... le guignon du dedans sera plus dur que jamais. Oh! qu'y a donc des gensses malheureux au monde !
Il se replongea de nouveau dans ses méditations.
— Non, non, reprit-il en s'interrompant encore; non, ça n'est pas possible. Vaut mieux partir. Elle, c'te petite Ange ! T'aurais pas le coeur, Dodo! Le Grognon dira ce qu'il voudra... J'ai pas le courage!....
Et tout en disant cela, par cette contradiction singulière qui est dans le coeur de l'homme, ses doigts roulaient le briquet et l'amadou qui devaient exécuter son crime ; sa main démentait sa bouche. Il battit le caillou par un mouvement d'impatience, pendant que sa voix répétait : T'aurais pas le coeur, Dodo. L'étincelle jaillit, mais sans atteindre l'amadou. La vache malade, comme si elle eût compris l'horrible action qui se méditait, poussa un gémissement plus prolongé.
234 UN INTÉRIEUR.
— Allons! encore toi! queuque t'as donc à dire, pisque le Dodo est sage, et qu'y ne veut
pas et qu'il a fait la paix avec son petit bon
Dieu ! Voyons, est-ce que tu m'en veux, parce que je t'ai cognée? Hum ! si tu m'en veux, donne un coup de corne. Toi, si t'avais pris l'avance... que t'aurais donc bien fait, queue de chien! que t'aurais donc bien fait ! je serais quitte, nah ! de cette idée-là qui me taquine et qui me vesque. Je ne verrais pas ce soleil-là qui me fatigue, ni c'te terre — ajouta-t-il en frappant énergiquement du pied — qu'est lasse de moi et que je suis lasse
d'elle Pense, la vieille, que j'étais venu ici
pour faire notre fin à tous à eux tous, à
moi, à toi... Heu ! le coeur me manque. Je n'ose, nom de nom ! C'te petite Ange !... non, j'ai pas le courage...
Et ses doigts battaient le briquet avec une nouvelle activité. A la fin l'amadou prit, et le vieillard stupide, déconcerté, le regarda fumer, en contractant ses lèvres par un sourire féroce. Il eût été difficile de deviner quelles sensations se succédaient dans son âme. Il releva les yeux encore, parcourut tous les angles de l'étable, que le jour tombant éclairait à peine, et il sembla réfléchir où il poserait sa mèche fumante.
Il y a des mystères incroyables dans la nature de l'homme. Quel motif inspirait à ce misérable ce projet sinistre? Où avait-il puisé cette haine qui
UN INTÉRIEUR. 235
le torturait au dedans, contre une maison où il était à peu près inconnu, et dont il n'avait reçu que du bien? L'avenir éclaircira peut-être cette énigme.
— Pour lors, je le dis, c'est un rêve... quoi, Dodo, est-ce que t'es éveillé, reprit l'énergumène vieillard, en tendant la main qui tenait l'amadou enflammé; non, ma foi, tu ne l'es pas... C'est une berlue qui t'a tombé sur l'oeil, que tu n'y vois goutte. Tu rêves comme un fou, Dodo : heu! les vieux!
Le hasard voulut qu'il découvrit par les deux portes entr'ouvertes l'abbé Simette, qui à ce moment sortait de chez Anselme. A cet aspect un tremble ment soudain s'empara de lui. Il laissa tomber l'amadou fumant, qui fort heureusement fut reçu par de la paille humide, et croisant ses bras, il regarda tant qu'il put cette forme odieuse qui paraissait et disparaissait tour à tour. La terreur l'avait immobilisé : ses sourcils se rapprochaient et s'éloignaient avec une rapidité inquiète, sa bouche était entrouverte, la bave découlait de son menton à travers sa barbe blanche, sans qu'il prit la peine de fermer les lèvres pour la retenir. Nous ne savons si un peintre, qui aurait voulu représenter la férocité, eût pu trouver un modèle plus digne.
— Non, non, c'est bien ça, je ne rêve pas, dit-il de sa voix vibrante ; le revoilà, c'est lui Tonnerre ! Ils l'y ressemblent tous. Au moins çui-ci
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n'a pas les cheveux blancs ; il est pas grand, il marche pas comme lui... mais j'ai pas vu l'autre marcher : je l'ai vu tomber ; je ne sais comme çuici tomberait. Pardine! il était ici, si j'avais su, c'était bien aisé, nous partions tous ensemble. Heu! nom de section! pourquoi donc que je ne... sais pas que faire et que devenir?
Puis reprenant son bâton, il sort, tremblant, tête basse, de l'étable. Sa préoccupation est telle qu'il se heurte contre un angle de la porte. Il marche d'un pas précipité. Son oeil est fixé sur ce prêtre qui le fascine: on dirait qu'une force secrète, irrésistible, l'entraîne sur ses pas. Au moment où il passe devant la fenêtre de la cuisine, il est entrevu par la pauvre vieille, qui pousse un cri de terreur. Anselme qui commence à s'habituer à ces manies de sa belle-mère, ne se donne plus la peine de se lever, mais il reste frappé de ce cri douloureux. Et le mendiant marche, marche toujours, sans savoir pourquoi ; la main suprême, qui pousse le Juif-errant, semble s'attacher à son dos ; il heurte les cailloux du chemin, les buissons, les fossés; il va toujours sans regarder derrière, sans regarder à ses pieds, oppressé, haletant, écumant, vers ce terme inconnu, vers cet objet qui semble prolonger son aspect pour mieux le fasciner et aiguiser ses tortures. La nuit tombe, une nuit de novembre, sombre, hâtive, pleine de terreur. Le vieillard semble ne pas s'en apercevoir ; découvre-
UN INTÉRIEUR. 237
t-il le prêtre? On ne sait; mais s'il ne le voit pas, il croit le voir : des nuits comme celle-ci sont grosses de fantômes, et il a une imagination à en voir même en plein jour. Quelqu'un qui eût prêté l'oreille, l'eût entendu dire à voix basse : — C'est lui ! c'est lui ! Je peux l'y demander grâce. Qui
sait? Peut-être qu'il aura pitié du vieux Dodo
Ah ! oui, ces gensses-là sont pas méchants ; y peuvent donner la rémission des... péchés, quand t'en aurais fait des millions, à ce qu'y disent. Allons,
le petit bon Dieu m'aidera: je serai sage je
Heu ! nom de nom ! ajouta-t-il en s'arrêtant essoufflé , et en fixant de grands yeux dans le vide. — Queuque c'est donc que ça ! que monstre ! Esty grand ! est-y blanc ! ah ! le v'là ! le v'là ! heu ! tonnerre... Aye! aye! y m'arrête... y m'arrête...
je Seigneur! pourquoi donc que je m'en vas?
Enfer, enfer!...
Il tombait efflanqué sur le bord du fossé, sans pouvoir se rendre raison de l'objet qui causait sa terreur et sa défaillance. On eût entendu s'exhaler de sa poitrine un soupir, plus semblable au râle d'un ours qu'au gémissement d'un homme. Il passait sa main devant son front, comme pour détourner l'objet odieux, et en relevant ses yeux, il voyait se dessiner le grand fantôme sur le gris sombre du ciel, et une terreur étrange le reprenait. Voilà une tête, des mains, un corps gigantesque ; il est étreint dans des bras vigoureux ; sa poitrine halète ; il
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voudrait fermer les yeux et ne peut : une force magique l'oblige à regarder cette forme mystérieuse et inconnue, qui le glace d'épouvante.
Plus d'un lecteur sourira d'incrédulité devant le type étrange que nous offrons ici à ses regards. Sous le niveau fatal de l'indifférence, le remords vivace n'est plus qu'une chimère. Le remords est le fruit de la foi ; et un rationalisme sec a hâlé les âmes ; les meilleures mêmes en subissent l'influence sans s'en douter. On a cherché à confondre le vice avec la vertu ; on est allé jusqu'à nier la différence du bien et du mal ; comment un pareil caractère serait-il croyable? Le remords ne tourmente pas celui qui ne croit plus.
Mais ce vieillard avait puisé dans les leçons données à sa jeunesse une foi vive ; cette foi, longtemps comprimée, se réveillait dans toute sa puissance... Le type que nous offrons n'est point un être imaginaire ; il a existé !
Pendant que Dodo râlait au pied de ce fantôme, qui n'était autre qu'une croix, Rose revenait de chez le vétérinaire. Combien elle avait soufflé, haleté, la pauvre enfant, avant d'arriver, et combien elle faisait d'efforts encore plus pénibles pour revenir ! En passant devant la croix, elle entend un gémissement, et se retourne ; c'est Dodo qui embrasse avec une fureur convulsive le bas du monument sacré, dont ses yeux voient toujours la forme se dessiner dans le ciel. La jeune fille
UN INTÉRIEUR. 239
s'approche, et émue de ce spectacle extraordinaire, que sa piété candide a interprété dans le bon sens:
—Vous l'aimez donc bien, Dodo, ce bon Dieu, ce Dieu des pauvres, lui dit-elle, oui, vous l'aimez , je le vois bien, vous voudriez l'embrasser, le serrer contre votre coeur.
Dodo abaisse sur l'enfant ses yeux étincelants de je ne sais quel feu fébrile qui pouvait être soufflé par la puissance de l'amour comme par celle du désespoir. Et reconnaissant à sa voix pénétrante la petite Ange :
— Heu ! heu! s'écria-t-il ; c'est lui... oui c'est lui, le v'là... vous le prierez pour moi, n'est-ce pas, chère Ange? que je ne suis qu'un ver de terre, un pécheur des plus grands qu'il n'y ait pas...
— Errare humanum est, perseverare diabolicum, reprit-il après une courte pause; le grand docteur avait raison, la persévérance dans le mal est une inspiration de l'enfer. Le remords amoindrit la faute : le repentir la lave...
Rose écoutait avec étonnement ; elle ne reconnaissait plus dans cette figure illuminée cette physionomie triviale et féroce du mendiant et encore moins dans ce latin, dans ce français correct, la langue ignoble et défigurée de ce prodigieux vieillard. Elle eut peur. Il lui sembla qu'il y avait ici double rôle, et que cette voix caverneuse décelait une âme plus caverneuse encore. Oui, elle eut
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peur. Elle le voyait à genoux, tremblant, embrassant le pied de la croix, les yeux élevés au ciel. Le moment de silence qui suivit lui fit dresser les cheveux sur la tête. Mais une compassion irrésistible l'attachait à ce mystérieux étranger, pendant que la frayeur l'en éloignait ; elle oubliait tous ses maux, toutes les préoccupations du moment en face de cette infortune qui lui semblait profonde, immense, comme le creux de l'Océan.
— Vous souffrez donc beaucoup, Dodo? dit-elle de sa voix douce et pure : vous avez l'âme bien malade?...
— Heu ! fit le vieillard avec effort.
Il y avait dans cette simple exclamation arrachée du fond des entrailles, quelque chose de si amer, de si douloureux, de si désespéré, que Rose se mit à pleurer.
— Si cela ne vous gênait pas, Dodo, vous me diriez ce qui vous fait de la peine.
— Heu! mon Dieu, mon petit Jésus! reprit le mendiant avec une effroyable énergie... qu'il faut que y ait des gensses malheureux au monde !
L'être deviné, l'homme entr'aperçu se cachait de nouveau sous les plis des haillons. La pauvre jeune fille, émue autant qu'effrayée, n'y comprenait plus rien. Puis, se rappelant qu'elle était pressée de retourner, et ne voulant pas laisser là ce vieillard pendant la nuit, elle lui offrit de venir reprendre son gîte à la grange.
UN INTÉRIEUR. 241
— Qui? quoi? où? répondit-il d'un air égaré ; non, oh ! non, chère petite ; je ne puis pas remettre les pieds là. Heu! qué chose! le tonnerre du bon Dieu... j'aurais trop peur qu'y vous écrase. Merci, merci; bonsoir
Et se relevant avec prestesse, il saisit son bâton, et s'éloigne d'un pas rapide et inquiet. Plus d'une fois encore, il retourna la tête, pour regarder dans le ciel de plus en plus noir le signe fatal qui semble le poursuivre. Rose reprit son chemin , tremblante et surprise, plus occupée de ce mystère que de l'objet de sa démarche.
Quand elle arriva, Roussette rendait le dernier soupir. A peine la pauvre bête eut-elle encore la force de jeter un regard mourant sur la jeune fille. Un instant après, elle fermait les yeux pour ne plus les rouvrir. A cette vue, Rose ne peut maîtriser sa douleur; elle court chez elle en criant : Roussette est morte! Roussette est morte!
— Hein ? fit Anselme encore tout préoccupé de la bonté de son curé, et bâtissant déjà des rêves sur ses soixante-dix francs.
— Roussette est morte ! Roussette est morte !
— Rêves-tu, l'enfant ? dit Ballet en frémissant.
A la pâleur qui nuança tout à coup le teint olivâtre de son père, Rose reconnut quelle imprudence elle avait faite en lui annonçant si subitement cette triste nouvelle. Elle se rappela surtout
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ce que lui avait dit son cousin Bernier: que toute affection violente ou soudaine peut tuer sur place de pareils malades. Elle rougit, elle se contraignit, elle quitta le ton de la douleur pour celui de la résignation; mais le coup était porté. Anselme fut pris d'un battement de coeur subit, et se pencha en arrière pour tomber sur son lit. Rose le crut mort, et poussa un cri. Dieu ! quelle détresse !
Cependant l'évanouissement ne fut pas complet. Anselme revint bientôt à lui, mais soudain son âme s'était rembrunie ; tous ses rêves, toute sa joie d'un moment s'envolaient pour faire place à cette sombre mélancolie, qui devait désormais empoisonner son existence. Il souleva ses yeux battus, où brillait encore un reste de satisfaction, sur sa fille qui suivait, elle, avec anxiété les moindres signes de son malaise, et toutes les nuances de sa figure.
— Oui, l'étoile ! dit-il avec consternation ; ils en diront ce qu'ils voudront, la voilà... toujours! Si pourtant je l'avais vendue, la pauvre bête ! Elle est morte, Rose? ajouta-t-il d'un ton dubitatif.
L'enfant ne répondit que par ses larmes.
— Elle est morte... sans maladie... d'un coup de foudre... d'un coup du sort, devais-je dire. N'as-tu pas dit, Rose, un de ces jours derniers, qu'elle ne mangeait plus ?
UN INTÉRIEUR. 243
— Oui, papa.
— C'était le cas alors d'aller chercher Paulin. Mais tu n'as pas osé, gage, parce qu'on lui doit encore ses deux pots de térébenthine et son emplâtre La misère fait la misère. Elle est morte,
Rose ? On m'en donnait quarante écus à la foire dernière, Simonot lui-même. Ah! l'étoile! l'étoile !
Il rentra dans un profond silence, et se mit à regarder battre son coeur, longtemps, longtemps. Jusqu'alors il n'avait pas paru faire trop attention à ce phénomène ; jamais, du moins, il n'y avait fait allusion avec ses enfants, prenant sans doute ces battements précipités pour l'effet passager de ses douleurs récentes. Aujourd'hui cet accident l'étonne; il se regarde, il écoute avec anxiété ; il se doute qu'il y a là-dessous quelque mystère ; l'idée d'une maladie du coeur lui passe rapide comme un éclair.
— Dis donc, enfant, reprit-il avec un sourire mélancolique, ne dirait-on pas que j'ai du coeur seulement depuis qu'elle nous a quittés ? Regarde donc, comme cela va.
Rose cacha son visage dans ses mains pour essuyer ses larmes.
A ce moment, Adèle rentrait, ramenant les autres animaux. Qu'on juge de son étonnement, de sa douleur à la vue du cadavre de Roussette ! Victor arrivait presque en même temps aussi de chez
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le charron, Othilie de l'école, les petits enfants je ne sais d'où ; tous furent bientôt rangés autour de la pauvre bête, et ce fut un concert de cris douloureux , de gémissements à fendre le coeur.
— Mon Dieu ! quel malheur ! s'écriait Adèle, en se tordant les bras d'angoisse ; n'était-ce déjà pas assez ? Faut-il que tous les maux nous tombent dessus à la fois ?
— Maman ! maman ! s'écriait Luce, Roussette qui tire la langue et qui ne veut pas se réveiller !
— Est-ce que Roussette n'aura plus de lait? disait Joseph avec larmes ; quand maman reviendra , Roussette se lèvera-t-elle?
— Morte ! dit à son tour Anselme que personne n'avait vu se traîner lentement derrière le groupe ; voilà ce que c'est : on m'en donnait quarante écus, à la foire dernière, Simonot
Et tous restèrent silencieux et stupéfaits, à considérer ce triste spectacle. Il y avait quelque chose de navrant à voir cette pauvre famille exprimer, par son attitude et ses larmes, le regret que lui causait un accident si cruel ; car, hélas ! ce n'était pas seulement un objet d'affection que l'on perdait, un être connu, choyé', nourri dès sa naissance, et promettant de récompenser, récompensant déjà par une sorte de gratitude des soins assidus ; mais c'était une ressource précieuse, un petit trésor que perdait ce malheureux père, cette fa-
UN INTÉRIEUR. 245
mille déjà si affligée ; c'était une partie de son avoir qu'Anselme voyait lui échapper.
— Allons ! allons ! ça va, reprit-il avec une résignation ironique, pourvu qu'il nous reste de quoi nous faire à chacun une besace. N'as-tu pas encore un bout de toile , par là, Adèle ?
Un sourire maladif effleura ses lèvres.
— Ne dites pas comme cela, mon père, répondit Rose ; c'est un nouveau malheur, sans doute ; le bon Dieu nous éprouve; mais tout cela trouvera son terme.
— Qui en doute ? répliqua le père avec amertume ; tu sais bien ce qu'elle nous a dit : A bientôt !
— Oui, à bientôt ! reprit-il à demi-voix en s'en retournant. Tu vois bien, ma pauvre femme, qu'il n'est pas possible d'y tenir. Voici, de compte fait, ma position :
— Veuf.—Une belle-mère folle. — Une enfant malade. — Un fils soldat. — Un reste de fortune à exproprier. — Une maison vendue dans quinze jours. — Une vache périe. — Plus de provisions. — Point d'argent.
— Et moi, ajouta-t-il en se rassurant, et moi,
malade, incapable de travailler désormais Oh !
c'est charmant... A bientôt ! à bientôt !
XIII.
CONSPIRATION.
Dans l'énumération de ses maux, Anselme en oubliait un : point d'amis. La vie isolée qu'il avait toujours menée, la supériorité marquée de sa femme, le parti qu'elle avait pris d'éloigner son époux et ses enfants du contact des habitants de Monval, tout jusqu'à la distance qui séparait sa demeure du village, avait contribué à le placer
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en dehors des affections de ses concitoyens. On paya, comme nous l'avons dit, un tribut obligé d'éloge à la défunte, de condoléance au survivant, et puis tout fut dit. D'ailleurs, l'infortune at-elle des amis? Il est aussi vrai qu'il est vieux ce proverbe de l'expérience : Dès que votre ciel s'assombrit, vos amis disparaissent.
Le caractère et les goûts d'Anselme, en rentrant dans son village, eussent d'ailleurs suffi à le jeter dans cette position particulière. Il,rapportait des camps un coeur aigri, la disposition la plus marquée à la mélancolie. Il sut tout ce qu'on avait fait souffrir à son père, pour prix de son dévouement à la foi, tout ce que tel et tel des habitants de Monval avait prêté d'appui au citoyen Fréchet, son oncle. Dès lors, il en conçut une rancune profonde, sourde, qui jeta dans toutes ses relations extérieures je ne sais qu'elle amertume qui produisit bientôt ses effets. Le père Ballet avait tout pardonné; sa belle âme, incapable de haïr, avait renoué sans peine des liens avec ceux mêmes qui s'étaient montrés ses ennemis les plus acharnés ; mais bien autre était le caractère du fils. Anselme semblait se devoir à lui-même de déverser sur eux tous la haine que son père n'avait pu même concevoir. Triste sort d'un enfant qui ne prenait de l'héritage que le lot amer de la vengeance et de la douleur, et laissait celui de la vertu!
Quand je dis qu'Anselme n'avait point d'amis,
248 UN INTÉRIEUR.
je me trompe, il venait d'en acquérir un, son curé. Instruit à demi par Rose, éclairé par les confidences d'Anselme lui-même, l'abbé Simette. avait voué à cette famille infortunée un de ces dévouements généreux, intelligents et solides, qui naissent spontanément, et sont d'autant plus profonds, qu'ils ont pour racines deux des sentiments les plus énergiques de l'âme humaine, la compassion et le zèle. Oui, l'abbé Simette en rentrant chez lui, réfléchit longtemps à ce qu'il venait de voir et d'entendre, et son âme fut touchée de l'immense misère qui accablait ce pauvre Ballet. Plusieurs fois, il détourna la tête pour revoir cette humble chaumière, dont l'isolement faisait encore mieux ressortir les douleurs qu'elle contenait.— Hélas! songeait-il, on passe devant dix fois le jour, sans se douter de tout ce qu'il y a là-dedans d'infortune et de pauvreté. Cet homme a l'air de jouir d'une aisance commune; il tient son rang, il fait effort pour le tenir ; comme l'arbre usé, il pousse des feuilles et des branches, et il est rongé à la racine... Et un ver, un seul ver a suffi pour
causer sa ruine!
Enfant lui-même de cultivateur, l'abbé Simette avait étudié de près cette classe intéressante , si nécessaire et si négligée. Il savait tout ce qu'il peut y avoir de détresse sous le chaume, tout ce qu'il faut de courage, de dévouement généreux, d'héroïque résignation au pauvre laboureur pour supporter
UN INTÉRIEUR. 249
les peines de sa condition ; mais jamais il n'avait vu l'infortune l'accabler d'aussi rudes coups. Il remuait dans sa.tête, il prenait sous toutes ses faces la position de Ballet, et ce lui semblait un inextricable dédale, un de ces culs-de-sac où la raison perd ses calculs, où le désespoir semble justifié. Car enfin, par où, humainement parlant, ce malheureux pourrait-il sortir de son impasse ? Mais plus la chose semblait impossible, plus le généreux prêtre se sentait pressé de la tenter. Le zèle grandit en proportion des difficultés. Ballet devient la pensée fixe de l'abbé Simette ; il en rêve jour et nuit ; il sonde toutes les hypothèses, et se promet de ne se désister de ses efforts, que quand il aura mené toutes ses voies à bout.
Et pendant ce temps-là, lui-même avait besoin d'auxiliaire, car sa position devenait de plus en plus critique. La conspiration s'ourdissait lentement contre lui. C'était un parti pris de la part de ses ennemis, de le faire sortir. Dans les premiers mois qui suivirent son arrivée, on se contenta de l'étudier : les habitués du Coq Gaulois avaient l'oeil constamment fixé sur lui. On observait toutes ses démarches, on épluchait toutes ses paroles; il ne faisait pas un pas qui n'eût son interprétation, un signe qui n'eût son commentaire.
Il y a au fond de toute âme d'impie et de libertin , un tact inné qui ne se trompe guère sur la valeur d'un prêtre.
11.
250 UN INTÉRIEUR.
Aussi, bientôt les coryphées s'aperçurent-ils que celui-ci leur irait mal. Ils le virent avec effroi, sage, prudent, instruit, armé, pour ainsi dire, de toutes pièces; ils comprirent que leur cercle d'action à, eux irait diminuant tous les jours, et que bientôt claquemurés, isolés, montrés au doigt peut-être, ils seraient obligés de demander grâce à l'opinion publique pour leurs trop longs désordres.
Cette pensée les glaça jusqu'à la moelle des os.
Mais avant d'entrer dans l'histoire de l'intrigue ourdie contre l'abbé Simette, donnons un mot de détail sur les principaux meneurs de l'opinion publique à Monval.
Parlons d'abord du maire du village.
C'est un type curieux à étudier qu'un maire de village en général. Les siècles anciens n'ont pas connu cette espèce de pacha en sabots, produit de nos révolutions modernes. Nous craindrions de tomber dans l'exagération, et par conséquent dans l'injustice, en cherchant à dépeindre sous des traits communs cette classe d'administrateurs, où l'immense variété des espèces modifie nécessairement les caractères du genre. Nous prévenons donc le lecteur dé vouloir bien n'appliquer qu'à notre cher M. Merlet, maire de Monval, le portrait que nous allons tracer.
Le maire de village est essentiellement honnête
UN INTÉRIEUR. 251
homme, c'est-à-dire qu'il n'a rien eu encore à démêler avec la cour d'assises ; un repris de justice investi de l'écharpe municipale serait une exception tellement grave qu'elle ne ferait que confirmer la règle. Ceci ne veut pas dire au reste qu'un maire ait toujours les mains nettes du bien d'autrui; oh! non, ce serait trop exiger. Tout le monde sait que le nom d'honnête homme, invention aussi de nos temps modernes, est d'une merveilleuse élasticité. Ainsi nous en connaissons qui sont usuriers d'habitude ou propriétaires de biens acquis par l'usure ; d'autres faussaires ou véhémentement soupçonnés de l'être ; quelques-uns détenteurs à quelque titre que ce soit des propriétés de leur prochain, etc... Ceci n'ôte rien à leur considération, ni à leur titre d'honnête homme. C'est chez eux que le préfet daigne parfois descendre, et que le sousinspecteur des eaux et forêts accepte un dîner. Ils sont absous.
Le maire de village est vaniteux. Il se redresse sur sa charge, comme un coq sur son fumier. Il siége, il trône ; c'est un souverain en petit. Il est fort chatouilleux à l'endroit de son titre. Il entend qu'on lui dise monsieur le maire gros comme le bras, et ne souffre plus qu'on le qualifie de Janot ou de Tonton, comme autrefois. En revêtant sa charge, il a changé d'esprit. Il signe volontiers les procès-verbaux intentés à ceux qui ont l'air de dédaigner son pouvoir. Il aime à fonctionner;
252 UN INTÉRIEUR.
mais malheur à celui qui l'insulte dans l'exercice de ses fonctions !
Le maire de village est propriétaire aisé, souvent électeur d'arrondissement ou de département, quelquefois même de collége. Dans ce dernier cas, c'est un personnage important ; il parle souvent de son ami le sous-préfet; le préfet lui écrit aussi Monsieur et cher ami ; le sous-inspecteur le prend sous le bras, et le lieutenant de gendarmerie le traite familièrement. C'est un gros bonnet. Aussi rit-il fort de ses ennemis et de leurs intrigues ; il est toujours sûr d'être réélu maire, ayant la bonne oreille du préfet.
Le maire de village est généralement progressif. Et ne vous fiez pas, je vous prie, à cette blouse, à ces sabots, à ce casque de coton; l'étiquette est trompeuse; l'onguent vaut mieux que le pot. Quand ce brave homme a mis son bonnet sur l'oreille gauche, ma parole ! il raisonne comme le premier venu, en patois sans doute, mais sur quoi vous voudrez, sur les chambres, sur les chemins de fer, sur l'armée, sur les élections, sur les paratonnerres, sur la marine anglaise, sur mille objets les plus disparates. Il donne fort dans les améliorations de tout genre, dans les rectifications de routes, dans les commandites, dans les canaux, etc.. C'est un arsenal de science. Vrai, les paysans s'étonnent quelquefois du changement qui s'est opéré dans le Tonton ou le Janot d'autre-
UN INTÉRIEUR. 253
fois, et sa femme dit de lui en patois : Je crains bien que sa boule n'y saute. Mais d'où lui vient tant d'instruction?
Le maire de village lit le journal du département. La mairie y est abonnée. On peut toujours voir sur sa table l' Écho de... le Journal de... l' Impartial de... au milieu d'assiettes vides, de coiffes de femme, de mouchettes d'enfants, de pelures de pommes-de-terre, de paquets de chanvre ou d'étoupes et d'autres accessoires de cette espèce. Il le lit régulièrement, souvent plusieurs fois et à haute voix. S'il y a une anecdote un peu intéressante , il la relit à tous ceux qui entrent. Il n'omet rien, les maisons à louer, les chiens à retrouver , les moulins à vendre ; il ne s'arrête qu'à la signature du gérant et au nom de l'imprimeur. Le moyen de ne pas savoir beaucoup !
Le maire de village est rancuneux. Depuis que la formation des conseils municipaux est abandonnée aubon plaisir des citoyens, l'intrigue est venue troubler les populations les plus paisibles. On se ligue, on cabale; on achète et on vend les voix. C'est au cabaret, entre les pots et les verres, qu'on ourdit sa trame pour celui-ci, contre celuilà. Le maire est ordinairement le résultat de ces tripotages; il lui en coûte, terme moyen, cent francs de frais de bouteille. Aussi garde-t-il une rancune profonde à ceux qui ont combattu son élection. C'est une haine à mort. On le paie de
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retour, bien entendu. De cette sorte, il est généralement brouillé avec une bonne partie de sa commune. Pendant qu'un autre était maire, il cabalait ; pendant qu'il administre, on cabale ; c'est à ne plus finir. Mais malheur, nous le répétons, à celui de ses ennemis qui aurait quelque affaire à démêler avec la police ! Son témoignage sera accablant.
Le maire de village promet beaucoup et fait peu. Tant qu'il n'était rien, il trouvait à redire à tout. Il énumérait les torts de l'administration, relevait ses bévues, indiquait le bien à faire. Une fois parvenu au pouvoir, il se tait ; on ne l'entend plus souffler mot de maison d'école à construire, de presbytère à réparer, d'église à entretenir, etc.. Et quand on lui en parle, il secoue la tête en disant : Nous verrons... Attendons un peu... Nous n'avons pas de fonds... Le vrai motif de cette lenteur est dans la crainte qu'il a d'être contrôlé par ses ennemis. Il sait qu'on l'observe, qu'on use envers lui de la liberté dont il usait envers les autres. Alors la peur de faire un faux pas l'empêche de marcher. Aussi tout souffre dans la commune; les chemins sont en mauvais état, les ponts tombent, etc.. Mais qu'importe? il est maire: il a triomphé de ses opposants ; cela suffit.
Le maire de village parle fort des intérêts de la commune, mais au fond ne songe guère qu'aux siens propres : une mesure administrative, une
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dépense communale lui tient au coeur en raison de ce qu'il y trouve de profit. Il est l'adversaire juré de tout ce qui peut nuire à ses propres avantages, quels que soient les résultats heureux que la commune puisse en obtenir. Il n'est pas rare que sa charge ne lui sourie que parce qu'elle le mettra à même de se procurer telle ou telle commodité, un pont, par exemple, un chemin facile pour exploiter ses propriétés, une, rue saine, une fontaine près de chez lui, un échange avantageux avec la commune, etc... On en voit qui bâtissent ainsi leur calcul : Il faut que je sois maire pour ceci ou pour cela, et dès que cela sera fait, je donnerai ma démission. Admirable dévouement!
Le maire de village tend à devenir esprit fort. Chose singulière! depuis qu'un petit grain d'encens lui a tourné la tête, on le voit plus rarement à l'église ; il perd le goût de ses devoirs religieux. On remarque une différence extraordinaire entre le paysan d'autrefois et monsieur le maire d'aujourd'hui. Il est persuadé que Dieu est de ses administrés, et lui doit du respect. Il ne fait plus de Pâques. C'est pendant la messe du dimanche qu'il arrange les petites affaires de la commune. Il a l'air de croire que l'homme ceint d'une écharpe peut se passer de l'assistance de Dieu. Il tranche parfois de l'incrédule. Ce progrès est insensible, mais réel, et on ne saurait à
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quoi l'attribuer, si l'on ne savait que le pouvoir, à quelque degré qu'on l'exerce, bouleverse une tête d'homme. Fortuna mutat mores.
Le maire de village (et combien de bourgades et de petites villes se classeraient ici ! ) est l'antagoniste né de son curé. Il fut un temps où les deux ordres, religieux et civil, étaient si étroitement liés, qu'il ne faisaient qu'un. L'échevin ne se distinguait de ses subordonnés que par sa plus grande fidélité à remplir ses devoirs, par sa place d'honneur au banc d'oeuvre, et par son plus gros cierge à la procession. Dans ce temps-là, les registres étaient tenus par le prêtre, et en latin encore ; c'était au presbytère qu'on allait chercher un acte de naissance ou un extrait mortuaire. Bons temps ! Aujourd'hui le civil a fait divorce avec le religieux, et oubliant que celui-ci est son aîné de quelques douze ou quinze siècles, son père même, il fait tout ce qu'il peut pour le ravaler, l'amincir, l'annuler. Or cette opposition constante , tracassière, c'est le maire qui en est le représentant naturel. Il n'y a rien de curieux à observer comme un maire de village en face de son curé. Il faut voir la figure que fait, l'importance que se donne ce paysan ignare, ce pauvre malotru, d'autant plus prétentieux et plus exigeant qu'il est plus sot, — c'est la règle, — il faut voir, dis-je, le ton qu'il se donne, la contenance qu'il affecte dans ses rapports avec celui
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que la Providence a envoyé au sein de sa commune pour y maintenir la science de Dieu et la pratique des devoirs. Lui qui végétait tout à l'heure, obscur paroissien, et écoutait humblement les instructions de son curé, qui trouvait même assez sensés ses sermons, et assez raisonnables ses catéchismes, a soudain grandi — à ses propres yeux, bien entendu — de cent coudées, au moins, et se trouve infiniment au-dessus de son pasteur. Dès lors il ne le regarde plus que de sa hauteur ; il se dit : Voilà mon curé d'un côté, et moi de l'autre ; eh bien ! nous verrons qui sera le maître. De là une série de tracasseries, de vexations , de contrariétés dans le détail desquelles le plan de cet ouvrage ne nous permet pas d'entrer, mais dont un grand nombre de nos lecteurs peuvent se rendre compte, comme en ayant été témoins.
Et où est la raison fondamentale de cette opposition?
Le maire de village est le produit de l'intrigue et l'agent d'une administration athée. Dès lors tout s'explique. Qu'il soit le produit de l'intrigue, nous l'avons déjà dit, et rien de plus clair. Chacun de nos lecteurs en sait là-dessus autant que nous. Il y a sans doute de nombreuses exceptions à faire ; mais nous posons la règle. Or, que peut être, que peut donner un administrateur élevé par l'intrigue? Plus on remue le tonneau, plus la lie monte. Quand on a bien agité une
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société, petite ou grande, qu'obtient-on? La lie. Et de quels sentiments nobles, généreux, serait susceptible dans sa conduite, celui qui a employé pour parvenir les moyens les plus bas et les plus honteux? Comment celui qui a marchandé les consciences et acheté les voix, aurait-il une conscience pure, et une voix indépendante? Le hareng sent toujours la caque. De plus, l'administrateur, même le plus subalterne, est toujours obligé de se pénétrer, de s'imbiber de l'esprit de la loi qu'il est chargé d'exécuter. Or, la loi en France est athée et doit l'être (1). Tout le monde sait d'ailleurs de quel esprit sont imbus en général les administrateurs supérieurs, les préfets, par exemple, et les sous-préfets, gens, pour la plupart, sans culte et sans foi, et dont l'esprit descend jusqu'aux plus bas étages; Tout le monde sait que le respect que ces messieurs professent pour le culte, les égards qu'ils ont pour le prêtre, sont affaire de forme ; qu'au fond ces esprits supérieurs n'ont pas besoin de Dieu, ou s'en font un à leur manière. Tout le monde sait que les besoins du service religieux sont à leurs yeux d'une très-minime importance, et bien au-dessous des primes pour l'amélioration de la race équine, ou des réglements de la petite et de la grande voierie, etc Voilà ce qu'un maire au moins
(1) Mot tristement fameux d'un avocat célèbre.
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sait parfaitement, et en conséquence de quoi il agit. Seulement, placé plus près de l'objet et voyant en détail, il applique plus strictement, plus à point le principe général. Il donne la monnaie de la pièce. Ainsi, la lenteur que met le préfet à autoriser une dépense concernant le culte, ou même la malice avec laquelle plusieurs se sont donné la licence de retenir, des mois entiers, le mandat d'un pauvre curé, cette lenteur ou cette malice, dis-je, nos maires de village les reproduisent avec cette persévérance infatigable, avec cette taquinerie ténue qui est le propre des petites gens et des petites places; cette prévention enfin dont tous nos corps législatifs sont pleins pour le clergé, se transmet jusqu'aux dernières extrémités du corps administratif. Et voilà comment il se fait que ce gros Pierrot qui, simple particulier, tournait gauchement son bonnet dans ses doigts en présence de son curé, veut aujourd'hui lui faire la loi : comment ce même homme qui prétendait qu'un prêtre n'a jamais trop, parce que son superflu passe entre les mains des pauvres, combat aujourd'hui ou laisse combattre à outrance toute demande tendant à obtenir un supplément au pasteur de sa paroisse sous prétexte qu'il est déjà trop gras, et qu'il y a bien autre chose à faire.
Nous le répétons, notre intention n'est pas de généraliser ce portrait ; mais seulement de donner la peinture exacte et prise d'après nature de notre
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cher M. Merlet. M. Merlet était tout ce que nous venons de dire. Propriétaire aisé, électeur, il avait encore l'inappréciable avantage d'être lettré, ayant poussé les études jusqu'à sa troisième, dans un collége communal. C'était un beau parleur. Du reste, il inspirait peu de confiance, et certainement il ne fût point parvenu à se faire nommer conseiller, sans la grande ressource de l'intrigue : lui-même convenait que son élection lui coûtait deux cents francs dépensés au Coq Gaulois en bière et en vin chaud. Pourquoi ce monsieur n'aimait pas les prêtres, la raison en est dans ce que nous avons dit plus haut, et aussi dans les conseils et dans la familiarité de M. Cochot.
Or, M. Cochot était le second personnage de la conspiration.
Ancien commis d'une manufacture, où il avait eu un intérêt, il était parvenu à se faire une petite fortune assez ronde; c'était le bon temps alors, on gagnait ce que l'on voulait. Mais ce temps ne devait pas toujours durer : le compère s'en aperçut et se retira à propos, car, moins de deux ans après, la fabrique fit banqueroute. Donc, maître Cochot revint dans son village, plaça ses fonds à droite et à gauche, et résolut de jouir pleinement de la vie. Outre son pécule, il avait rapporté de sa manufacture un goût effréné de la débauche; ce goût, il eut le loisir et l'occasion de l'exercer. Garçon, jeune encore, riche, assez bel
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homme, léger par caractère, épicurien fieffé, sceptique, jovial, railleur, voilà en quelques mots son portrait au physique comme au moral. Quels ravages ce libertin fit dans la paroisse, c'est ce que le lecteur devine et ce que nous ne pouvons dire. Dans la commune on le montrait au doigt : un langage aussi dissolu, des moeurs aussi dépravées firent d'abord horreur à tout le monde, même aux plus avancés ; il le comprit et leva le masque. C'était le moyen. L'homme qui se cache a toujours tort; celui qui se montre finit par avoir raison. En effet, les gens de Monval s'y habituèrent. Et puis, voyez, un homme riche, un homme obligeant, un beau parleur, un Monsieur. On passe tout dans ces cas-là. Ajoutons à tout ceci l'indolence de ce bon abbé Prétot qui ne voyait et n'entendait plus rien, et l'on comprendra les ravages que le sanglier causa dans la vigne, et comment il se fit que M. Cochot devint un citoyen honorable, et même le premier personnage de l'endroit.
Il avait été quelque temps brouillé avec M. Merlet. Mais depuis l'arrivée de l'abbé Simette, un rapprochement avait eu lieu entre eux, et leur amitié devint bientôt intimité. M. Merlet ne jugeait, n'agissait, ne pensait plus que par M. Cochot; et il est facile de deviner dans quel sens il était poussé. Et, chose singulière! ces deux intimes ne s'aimaient pas ; mais l'intérêt les avait rapprochés; M. Cochot avait besoin d'éliminer le
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curé, et par conséquent de s'appuyer de M. Merlet ; M. Merlet voyait venir les élections, et avait besoin de l'appui de M. Cochot. Passe-moi la rhubarbe, et je te passerai le séné. Chassons d'abord le curé, et je vous garantis que vous serez maire. Le traité fut aussitôt conclu que proposé.
Un troisième personnage entrait dans le complot, et ce personnage, nous avons regret de le dire, était l'instituteur,M. Hupé. Hélas! de quoi se mêlait aussi M. le curé, d'aller donner des avis à M. Frédéric Hupé, élève de l'École Normale, a. 27, sur la manière de faire le catéchisme, et aussi sur sa conduite privée ou publique, sur certaines légèretés qui n'étaient rien moins que propres à édifier les grands gamins et les petits moutards qui fréquentaient sa classe! Vraiment. il faut du bec à un prêtre pour oser s'ingérer si avant dans les affaires personnelles d'un homme qui est muni d'un brevet ! qui a une mission du comité ! qui ne relève que du recteur de l'Académie! Disons que le pauvre abbé y réfléchit à deux fois avant de se décider à entamer un sujet si délicat, et encore y mit-il toutes les précautions oratoires possibles. Mais, las ! le Normand était fier et vif, il se trouva piqué au coeur. Il répondit nettement à M. le curé qu'il se moquait de lui. Le pauvre curé le savait bien, mais il le comprit encore mieux que jamais. M. Hupé s'accointa au parti Cochot-Merlet, poussa même la complai-
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sance jusqu'à s'offrir, lui, élève de l'École Normale, n. 27, à tenir les registres de M. Merlet, absolument comme de ces vieilles perruques qui portaient jadis le nom de maîtres d'école! Jugez si l'offre fut acceptée! M. Hupé portait même la bonté jusqu'à rédiger d'avance les délibérations du conseil municipal, et quelques personnes disaient tout bas qu'une fois entre autres, MM. Cochot et Merlet avaient fait à eux seuls tout le conseil! En effet on avait reçu un jour une délibération en règle, munie de l'autorisation du préfet, et c'était précisément le contraire que le conseil avait voté. On ouvrit de grands yeux et de grandes oreilles, on réclama, on voulait faire du bruit; mais les gracieusetés et les pots de bière de ces messieurs gagnèrent les plus échauffés, et le reste se tint tranquille. Nous n'avons pas besoin de dire que les complaisances de M. Hupé étaient bien payées de retour. Pas un' gala chez M. Merlet ni chez M. Cochot, où sa place ne fût marquée, et on assure qu'il l'occupait assez bien. Souveut, sur la fin du repas, son front se déridait, et il chantait fort joliment de petites chansons assez guillerettes. Il ne paraissait pas alors que l'exercice de la voix lui portât sur les nerfs.
Ce troisième membre ne tarda pas à être admis dans la confidence des deux premiers. Il entra naturellement dans la conjuration; c'était son droit. Et puis il en était aussi, lui, à regretter le
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bon abbé Prétot, avec lequel on faisait comme on l'entendait.,D'autre part, pour être libre, il avait besoin qu'on ne l'eût pas trop à l'oeil au comité local, au conseil municipal, et pour cela il lui fallait la connivence de M. Cochot et l'indulgence de M. le maire.
Le quatrième personnage n'était pas le moins considérable. Il s'appelait M. Grognon. Il avait été percepteur, dans le temps où chaque village avait le sien, puis s'était fait maquignon, puis laboureur, puis commerçant, et enfin s'était retiré des affaires. C'était un gros joufflu, d'une soixantaine d'années, muni d'un ventre énorme, à voix sifflante, à l'oeil faux, à la mine goguenarde. Il était entré dans la conspiration moins par intérêt que par principe. C'était le représentant le plus fidèle de la pensée révolutionnaire au sein de Monval, un terroriste pur sang. Son père, ancien cocher d'un conventionnel régicide, ami et complice du citoyen Fréchet, avait inspiré de bonne heure à son fils l'esprit de notre grande Révolution. Brutus Grognon (nom de guerre qui avait remplacé celui de Pierre-François) avait donc toujours gardé dans son coeur le plus sincère attachement aux principes de 93. Ceci du reste était, pour le fond ; la forme changeait. L'intérêt est la principale opinion de ceux qui ont une opinion, et beaucoup pourraient répondre comme cet homme à qui on demandait : De quel parti êtes-
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vous? Du mien, répondait-il ; voulant dire qu'il se rangeait toujours du côté qui favorisait le mieux ses intérêts. M. Grognon donc, révolutionnaire ardent, avait su s'affubler de divers masques qui ne trompaient personne à Monval, mais qui faisaient mine au dehors. Percepteur, il avait été du parti de sa caisse ; maquignon, du parti de ses
boeufs, etc Il avait crié vive la République !
vive le Directoire ! vive le Premier Consul ! vive l'Empereur ! vivent les Bourbons! vive l'Empereur une seconde fois ! vivent les Bourbons encore ! Si les voeux de M. Grognon eussent été exaucés, nous aurions quatorze gouvernements vivant à la fois. J'oubliais de dire qu'il avait aussi crié, mais du meilleur de son coeur, vive Robespierre ! vive Marat! vive la Guillotine! Enfin il venait de payer la poudre pour annoncer la prise d'Alger et le triomphe des Bourbons sur leurs ennemis, quand il fallut crier vive le duc d'Orléans, lieutenantgénéral ! vive le roi Louis-Philippe !
Tels étaient en résumé les quatre personnages qui avaient formé contre l'abbé Simette une conspiration , dont le but n'était autre que de rendre son ministère impossible. Quand nous dirons que ces quatre individus ne jouissaient d'aucune estime dans le public et menaient pourtant le public, nous ne dirons qu'une chose très-simple et très-explicable. La masse de la population de Monval était formée de laboureurs, gens naturellement simples T. I. 12
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et inoffensifs. Quoique doué d'un grand bon sens naturel, le paysan se défie de lui-même. Privé d'instruction, sachant à peine lire et écrire, il sent le vide que laisse en lui son ignorance, et il est toujours prêt à déférer, au moins en apparence, à celui qui manifeste plus de science que lui. Je dis, en apparence, car les raisons les plus spécieuses , le langage le plus apprêté ne le séduisent pas toujours ; il y a en lui un sens inné qui aperçoit aisément le vide du fond sous le brillant de la forme ; mais même alors il se tait, il n'ose répliquer ; la difficulté de s'énoncer en termes convenables lui inspire une timidité, telle qu'il aime mieux laisser dire et faire le mal que de s'exposer au ridicule, en essayant d'y mettre obstacle. C'est là le fait d'un nombre immense de ces bonnes gens.
Et c'est particulièrement dans les assemblées délibérantes que ce misérable défaut se fait sentir. On voit des communes où la majorité du conseil est formée de très-honnêtes gens, bons chrétiens, sincèrement religieux et pratiquant leurs devoirs. Eh bien ! qu'à côté d'eux, au-dessus d'eux, se trouve tomme maire ou adjoint, un homme dans le genre des Cochot et des Grognon, une de ces langues bien pendues, un de ces bavards à phrases ronflantes, un demi-lettré prétentieux dont l'éloquence se gonfle chaque jour d'une colonne de journal, cet homme les fera trembler, les réduira au silence,
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les fera passer par les propositions les plus saugrenues, les plus contraires à leurs idées. Et tous ces imbéciles, — c'est le seul mot propre que nous trouvions, — laisseront tout dire, laisseront tout faire, se regarderont d'un air hébêté, répéteront leur refrain : prenez que je n'ai rien dit, opineront du bonnet, signeront tout, et se plaindront seulement quand, rentrés chez eux, ils verront où on les a menés, ou quand les conséquences de leur fatale faiblesse leur sauteront aux yeux.
Tel était exactement le cas du conseil de Monval. Excepté M. Merlet et M. Cochot (M. Grognon n'avait pu réussir encore à se faire nommer), tous les municipaux étaient de braves gens, étrangers au Coq Gaulois, fort peu inquiets de ce qui se passait en politique, et ne demandant qu'à faire tranquillement leurs petites affaires. Ce goût de luxe et de dépense, cet esprit d'insubordination,
ces tapages nocturnes, ces rixes, etc que nous
signalions ailleurs, étaient le fait de leurs enfants et d'un certain nombre de mauvais sujets ; et le grand tort de tous ces pères de famille, était d'avoir si longtemps toléré ces désordres. Non qu'ils n'eussent plusieurs fois réclamé l'exécution des réglements de police et la clôture du cabaret, à l'heure voulue par la loi ; mais le moyen de résister aux raisons et aux malices de M. Cochot ! Le principe de M. Cochot était qu'il faut que jeunesse s'amuse. A cela les paysans secouaient la tête et ne répli-
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quaient pas. Ils s'en retournaient mécontents, et le mal allait son train.
A coup sûr, ces gens-là étaient pour leur curé. Malgré les plaisanteries et les calomnies émanées du Coq Gaulois, ils rendaient justice à l'abbé Simette ; ils le voyaient fidèle à son devoir, assidu près des malades, soigneux des enfants, zélé pour le saint lira : qu'avaient-ils à demander de plus? Et pourtant tous étaient prêts à l'abandonner ; la seule crainte de déplaire à M. Cochot, ou de s'attirer une de ses plaisanteries, était capable de les entraîner aux plus déplorables faiblesses. Tant il est vrai que les méchants seuls ne suffiraient pas à faire le mal, s'ils n'avaient trop souvent les faibles pour complices !
XIV.
LES DEVOTES.
A ces divers éléments qui concouraient à former l'orage prêt à crever, ajoutons-en un autre qui n'était pas non plus sans importance, les dévotes.
Commençons par définir. Nous n'entendons pas ici par dévotes cette classe de véritables servantes de Dieu, assez nombreuses encore dans nos campagnes, qui se contentent de remplir leurs devoirs
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avec simplicité, sans affectation comme sans respect humain, et qui forment certainement la partie la plus estimable d'une population agricole. De celles-là, le public ne s'occupe pas ; il n'y a rien en elles de singulier, rien de propre à attirer les regards; jeunes filles, elles sont régulières et modestes ; femmes, elles sont laborieuses et sages ; toutes elles savent allier leurs devoirs de chrétiennes aux obligations que la Providence a attachées à leurs conditions. A elles, honneur et paix en ce mondeci et en l'autre !
Mais à côté de ces vraies dévotes, il y en a de fausses, espèces de frêlons d'église ; esprits curieux et inquiets, chaussés d'idées biscornues; pieuses par grimace, fidèles par ostentation, singulières dans leurs voies, outrées dans leurs vues ; sévères pour les autres, indulgentes pour elles-mêmes; dont les vices ressemblent fort à des vertus, pendant que leurs vertus ressemblent à des vices ; cachant sous les dehors d'une sainte humilité l'orgueil le plus irritable qui se puisse imaginer; soumises tant qu'on les caresse, furieuses quand on les pique ; avides des distinctions et des charges; pour qui enfin l'Église est un domicile, la religion une mine à exploiter, la piété un manteau.
De celles-là, le nombre est grand encore. Eh bien! nous ne croyons pas qu'il puisse exister pour un prêtre une peste pareille, surtout, s'il a le malheur de leur ouvrir sa porte, et il sera bien
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adroit, s'il la leur tient toujours fermée. Je ne sais rien de plus compromettant pour un pauvre curé, que ces espèces de commères spirituelles, ces cancanières de sacristie, ces télégraphes de dévotion, qui viennent s'interposer comme des miroirs faussants entre lui et sa paroisse. Dotées d'un esprit tortu et d'une insatiable avidité de savoir et de dire, il n'est pas d'absurdités qu'elles ne puissent mettre sur le compte de leur curé. Elles font d'un puceron un éléphant, d'une pointe d'esprit une bêtise, de la plus grande vérité du monde la plus dense fausseté possible. Tout ce qu'on a dit, elles le pensent; tout ce qu'elles pensent, on l'a dit; seulement elles prennent le oui pour le non, et le non pour le oui; différence assez notable pour amener une confusion inextricable dans tout ce qu'elles touchent. Nous avons vu des curés, estimables d'ailleurs, succomber dans l'opinion publique , perdre toute autorité et tout crédit par le seul fait de ces guêpes de sacristie, que personne ne pouvait souffrir et qui déversaient sur eux leur immense impopularité.
Or, la cure de Monval occupée par un bon vieillard, se trouva de droit envahie par cet escadron coiffé. C'étaient les confidentes de sa vieille servante, Jeanne-Josèphe ; on en trouvait toujours trois ou quatre autour de son feu, tricotant, filant, causant, plus souvent encore, les poings sur les hanches, débitant force nouvelles, et recevant en
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échange, quelquefois du bon vieillard lui-même, plus souvent de Jeanne-Josèphe, toutes les petites nouvelles de la cure, toutes les douleurs qui traversaient l'âme du saint prêtre : de paisibles confidences enfin, que l'on croyait faire à des oreilles discrètes, mais qui servies tout chaud, exagérées, faussées, faisaient en un clin d'oeil le tour du pays, et venaient en dernier lieu retentir et se travestir au Coq Gaulois. Le curé ne savait rien de sa paroisse , la paroisse ne savait rien de son curé, que par elles ; c'est dire assez qu'ils ne pouvaient plus se connaître ni l'un ni l'autre.
Quand l'abbé Simette arriva, la question changea de face. Il était trop prudent et trop éclairé pour aller compromettre son ministère à si bon marché. Les dévotes évacuèrent la cure. Longtemps elles se tinrent aux aguets, chuchotant entre elles, étudiant aussi le nouveau venu, et fort étonnées qu'on pût se passer d'elles, elles qui se croyaient indispensables. Elles approchèrent cependant de la place, et en firent en quelque sorte le siége. A chaque instant, sous le plus léger prétexte, elles se présentaient au presbytère ; des peines de conscience, des avis à demander, des révélations à faire, tels étaient leurs motifs apparents : mais le véritable, le seul réel, était de se faire connaître, de se mettre en vue ; il leur tardait que le curé comprit qu'elles avaient seules la clef de la paroisse, et que sans leur ministère il ne s'en tirerait pas
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A toutes ces avances, l'abbé Simette répondait d'un ton froid et réservé ; il leur donnait en toute simplicité les avis qu'elles demandaient et rentrait aussitôt dans son cabinet. Désappointées de ce côtélà, les bonnes créatures se rabattaient sur la servante ; mais vraiment, ce n'était plus ici une Jeanne-Josèphe ; Félicie avait été dressée par son maître, et avait profité de ses leçons. Elle réunissait les qualités si rares, qu'on doit désirer dans une gouvernante de cure, et dont l'absence est si souvent pour le pauvre prêtre une source d'ennuis de toute sorte. Discrète, prudente, amie de la retraite , laborieuse, elle avait compris qu'un presbytère doit être une maison scellée de sept sceaux. On ne la voyait jamais dans les rues, que pour affaires.Visites de maison en maison, commérages, cancans, elle ne savait ce que c'était. Où donc l'heureux abbé Simette avait-il trouvé cette excellente créature? Il faut un fiat tout exprès pour en avoir une.
Finalement, nos fausses dévotes comprirent que la place n'était pas abordable. Ce fut alors une aigreur sourde, un mécontentement concentré qui ne demandait plus que l'occasion d'éclater. Ici, comme dans tout corps bien organisé, il y avait une hiérarchie, des chefs, de la plèbe. Les plaintes se firent d'abord tout doucement, d'oreille à oreille; on se confiait ses griefs contre le curé; quelle raideur ! quelle grossièreté ! quel ton sec !
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Il n'offre pas seulement une chaise, il ne vous demande pas même votre nom. Traiterait-il autrement des protestants ou des juifs? etc.. Mais ces plaintes pieuses descendant ainsi de proche en proche eurent bientôt gagné tout l'escadron et retenti dans le public. Les ennemis du curé souriaient d'aise et exploitaient avec complaisance la matière. —Eh bien! mademoiselle Annette, disait M. Cochot, que pensez-vous de votre curé? — Quelle figure vous fait-il, mademoiselle Victorine ? — Gage qu'il n'est pas trop de votre goût, mademoiselle Clémence?...—Et ainsi de suite. Et les signes de tête, les demi-mots, les gestes de dédain de ces sottes créatures devenaient vite un texte à commentaires.
Si le curé sut ou ne sut pas cette nouvelle bourrasque, c'est ce que j'ignore encore. Mais il continua son chemin. Il avait pris pour règle, prudence et fermeté, nous l'avons déjà dit; il demeura fidèle à sa devise.
Il y avait à Monval, comme dans la plupart des paroisses de village , une association religieuse de filles connue sous le nom de Conférence. Les jeunes personnes se réunissaient à l'église, tous les dimanches après dîner, et récitaient en commun le chapelet et une partie de l'office de la SainteVierge. Institution utile, beaucoup moins encore par ses pratiques que par l'esprit qu'elle insinue dans la jeunesse, et par la barrière morale qu'elle oppose
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au mal, en forçant les personnes qui en sont membres à veiller plus strictement sur ellesmêmes. L'abbé Simette n'avait garde de négliger cette précieuse association. Il en étudia les réglements, et vit qu'ils étaient empreints d'un tel esprit de sagesse, que sans aucun doute s'il parvenait à les rétablir et à les faire observer, il aurait bientôt rendu à la paroisse une grande partie de sa régularité primitive. Mais il ne tarda pas non plus à s'apercevoir que tout était tombé dans un tel état de délabrement, que l'institution devenait plutôt un obstacle au bien qu'un moyen pour y parvenir.
En effet, les dévotes avaient envahi la conférence. C'était là proprement qu'elles trônaient. Supérieure, conseillères, assistantes, lectrices, quêteuses, sacristines, porte-bannières, etc.. Tout avait été tiré du bataillon sacré, et défense à qui que ce soit d'y parvenir d'ailleurs. Il était bien vrai que les places étaient électives ; mais l'escadron envahisseur, grâce à l'indolence du bon curé Prétot, avait su s'y maintenir comme dans une place forte, et défendait la position du bec et des ongles. Qu'en résultait-il? C'est que l'impopularité de ces créatures avait perdu l'institution même ; c'est que personne ne venait plus à la conférence, en haine des régentes; et puis, c'était pendant toute l'année une source intarissable de cancans et de divisions, une lutte perpé-
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tuelle, où les dévotes posaient, à les entendre, comme martyrs, et les autres comme bourreaux. Nous n'exagérons pas en disant que la chose faillit en venir à une émeute. Ce dont l'abbé Prétot, qui n'en savait rien que par ses télégraphes, gémissait en secret, et dont M. Cochot et consorts riaient fort en leur particulier.
Nous demandons pardon au lecteur d'entrer dans ces menus détails ; mais ils sont encore malheureusement d'une vérité journalière.
Donc, l'abbé Simette résolut de porter le remède au mal. La Présentation de la Vierge, fête patronale de la conférence, approchait; il résolut de profiter de cette occasion pour porter le grand coup.
A quoi songeait-il, l'infortuné! Mieux valait fourrer sa main dans un guêpier. Et pour comble d'audace, il proclama solennellement en chaire le dimanche précédent, que son intention était de restaurer la conférence sur la règle primitive, c'est-à-dire de ramener l'élection sérieuse; mais que cette fois seulement, il se permettrait de nommer lui-même les fonctionnaires. Cela fit rumeur, même à l'église. Cependant comme les dévotes, dans leur doux et humble orgueil, restaient persuadées qu'on ne pouvait choisir hors de leur cercle, elles attendirent patiemment.
Le jour arriva. L'abbé Simette avait mûri son affaire. Son but était précisément d'éliminer le
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ferment de division, de se débarrasser à peu près en entier du noyau de l'ancienne conférence. Et il avait jeté un regard attentif, scrutateur, sur toute sa paroisse. — En voilà une, s'était-il dit, qui est restée simple et modeste ; son mérite ne perdra rien à paraître. — Cette autre est quelque peu étourdie, bonne au fond ; ce sera le moyen de l'arrêter sur la pente. — Cette troisième paraît négliger ses devoirs; ce sera l'occasion de l'y rattacher. — Ainsi de suite. Il s'était persuadé que le but de ces petites distinctions était moins de récompenser la vertu que d'empêcher le vice. Mais les dévotes s'attendaient au moins à être consultées ; tout le jour elles eurent l'oeil au guet pour voir si aucune d'elles n'entrait à la cure ou n'en sortait. Rien.
Enfin le jour de la fête, l'abbé Simette monte en chaire, adresse aux jeunes personnes une allocution grave et touchante, et publie à la suite sa liste de fonctionnaires. Grand fut l'ébahissement du public : on se regardait, on n'en pouvait croire à ses oreilles. La dévote se penchait vers sa voisine pour s'assurer si elle avait bien entendu. C'était une rumeur de foire; de mémoire humaine, on n'avait ouï pareil tumulte à l'église. Puis les larmes jaillirent des yeux ; les destituées ne purent retenir cette expression de leur pieuse douleur. Toute la journée, ce fut un concert de lamentations, de soupirs, d'étonnements furieux. — Qu'avons-
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nous donc fait pour démériter ainsi ? — Ne valonsnous pas bien une telle et une telle? — Si M. le curé avait connu celle-ci et celle-là, se serait-il avisé de les mettre en place ? — Et mille autres rocamboles de ce genre-là.
Et il faut avouer que les choix du curé étaient de nature à soulever cet étonnement général. Nos lecteurs s'en feront une idée quand ils sauront qu'il avait choisi pour supérieure Adèle Ballet. Adèle Ballet ! cette étourdie, cette folle, ce dragon ! Eh bien ! oui, c'était elle qu'il avait jugé à propos de mettre comme la pierre angulaire de sa nouvelle conférence. Et il ne se trompait pas. Sous ces dehors bourrus, sous cette légèreté insouciante, il avait reconnu un bon fond, Un caractère ferme, une âme capable de sacrifice. Et il s'était dit : je la briderai : je lui donnerai le sentiment du devoir ; je ramènerai au bien une énergie qui semble prête à se déverser sur le mal.
Cet événement fit, comme on le pense bien, grand bruit dans la paroisse. Les impies s'en applaudirent comme d'une bonne fortune : cela servait merveilleusement leurs vues. Le soir M. Cochot alla rendre visite aux dévotes. — Mademoiselle Annette, je viens vous faire compliment; vous voilà mère, sans doute. — Mademoiselle Victorine, j'espère qu'on ne vous a point oubliée dans la fournée. — Mademoiselle Emilie, vous êtes montée en grade, j'imagine, etc.. — Et sur les ré-
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ponses négatives de toutes ces demoiselles, l'honnête M. Cochot se répandait en oh ! en ah ! en bah ! et puis poussant plus loin sa pointe, déblatérait contre ce nouveau venu, contre sa manie de réformes, et se demandait s'il serait possible de supporter longtemps un homme pareil. Et toutes les dévotes d'un ton humblement piteux faisaient chorus avec lui.
Les choses en étaient là, quand un incident nouveau vint aigrir encore plus à fond l'âme de ce libertin. Une servante qu'il avait depuis peu de mois, le quitta brusquement; il comprit nettement d'où partait le coup. En effet, sur l'aveu que lui avait fait cette jeune fille des dangers qu'elle courait, l'abbé Simette lui avait fait une loi de sortir au plus tôt de sa position périlleuse. Elle obéit. La fureur de M. Cochot ne connut plus de bornes alors. Il jura sur son honneur que le curé sortirait. M. Hupé avait aussi reçu dernièrement un petit monitum; je ne sais quel souvenir de 93 avait repris M. Grognon ; enfin M. Merlet était furieux de ce qu'un de ses cousins, M. Gobillot, était menacé de perdre aussi son poste de préfet de la congrégation. Toutes ces causes se réunissaient comme à point pour stimuler le zèle des conspirateurs qui semblait presque se ralentir. Et tous saisirent avec avidité l'occasion de l'émeute en cornettes pour pallier leurs propres griefs, et lever sans trop de honte leur étendard.
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On était ce soir-là chez M. Merlet. Le moment des élections approchait, et les quatre meneurs, appuyés de quelques fidèles acolytes, notamment de M. Bonvalet, — M. Bonvalet, comme chacun l'imagine, était par état ennemi du curé, — les quatre meneurs, dis-je, s'occupaient sérieusement de dresser leurs batteries et de frapper le coup décisif.
— Il faut battre le fer pendant qu'il est chaud, dit M. Hupé d'un ton doctoral.
— Il faut remuer ciel et terre pour mettre Gringalet à la porte, dit M. Bonvalet en s'accompagnant d'un gros éclat de rire.
— Avant tout ! dit M. Merlet, les élections ! les élections avant tout ! Il faut que nous n'ayons là que des francs, des purs, des amis Vous entendez.
— Et mettre à la porte ce tas de manants, ces bêtes de paysans, ajouta un quatrième dont le nom nous est inconnu.
— Ah ! vous avez beau dire, M. Cochot, entonna à son tour M. Grognon, la révolution n'avait pas encore achevé son oeuvre. La guillotine allait bien dans un temps ; mais elle a encore laissé trop de calotins pour la semence. Ils avaient bien raison ceux qui criaient à la tribune nationale que la superstition était la lèpre du genre humain.
M. Grognon battait le tambour sur son gros ventre.
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M. Cochot ne répondit rien.
— Si nous n'avons plus les guillotines, reprit M. Bonvalet, nous avons d'autres moyens. Eh! qué diable! il ne sera pas dit qu'un homme sera venu bousculer, retourner une commune sens dessus dessous, sans qu'on lui dise holà. Voilà moi, par exemple, savez-vous combien ça me coûte depuis que ce pantin-là a mis les pieds au pays? Eh bien! mon débit a baissé d'un tiers, d'un grand tiers et baissera tous les jours. Croyezvous que ça m'amuse? Moi, c'est mon métier, et je n'en ai point d'autre. Et il est allé, le pendard ! jusqu'à dire aux pères qu'ils ne devaient rien pour les dettes de leurs fils. Me voilà bien monté, moi!
— Rogné de six pouces ! dit M. Grognon ; c'est mon opinion.
— Il y a le père Tartara qui fera bien chorus avec vous, M. Bonvalet, reprit l'inconnu mentionné plus haut. Il est menacé d'une jolie affaire, et par le curé s'il vous plaît.
— Le père Tartara s'en tirera assez, dit M. Merlet; l'essentiel est que nous nous entendions pour les élections. Les élections, je le répète, voilà l'affaire du moment.
— C'est aussi ma pensée, dit M. Hupé. D'abord, il faut que M. Grognon en soit; ceci, c'est de rigueur.
— Et il en sera, si nous nous entendons, dit M. le maire.
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— Je ne suis pas du goût de vos paysans, interrompit M. Grognon, en faisant tourner ses pouces l'un autour de l'autre, pendant que ses deux mains jointes reposaient sur sa panse. Mais si vous arrivez à me faire passer, eh bien! comptez sur moi : je suis pour les mesures expéditives.
— D'abord, nous commençons par lui rogner son supplément. Et d'un.
Ce fut M. Merlet qui parla ainsi.
— Ensuite, il compte nous faire une demande pour sa sacristie, qui est, dit-il, dans un dénuement pitoyable.
— L'abbé Prétot s'en contentait, dit l'inconnu; vous lui refuserez sa demande.
— Et puis, le mur de son jardin tombe, dit M. Bonvalet ; je m'imagine qu'il ne tardera pas à vous parler de le refaire ; il faudra lui rire au nez.
— Après cela, sa cure est en ruine; le vent de ces jours derniers a jeté bas une de ses cheminées. Nous lui dirons que nous n'avons pas de fonds.
— Et vous, M. Bonvalet, est-ce que vous n'aimeriez pas être du conseil? que diable ! il faut qu'on se remue.
— Ma foi, M. Merlet, répondit le cafetier, je vous avoue que je ne m'en suis guère soucié jusqu'à présent, tout au contraire. Voyez, par mon état, je dépends du public; j'ai besoin d'être bien avec tout le monde. Mais, dans votre conseil,
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il est diablement difficile de ne pas se brouiller avec quelqu'un. Alors, c'est autant de rogné sur la pratique. Pourtant... ma foi, j'accepte. Puisque ce calotin-là cherche à me ruiner, je veux lui rendre la pareille ; vous n'avez qu'à me porter comme candidat Quand il aura tourné les talons , je donne ma démission.
— Comme vous voudrez alors, dit M. Merlet, mais donnez-nous un coup de main en attendant.
— C'est dit.
— Et puis il a là, reprit l'inconnu, un joli pré à l'extrémité de son clos : qui vous empêche de le lui enlever? Je le prends, moi, à cinquante écus par an.
— Et son verger donc, continua M. Hupé, quel article de la loi vous oblige à fournir un verger à votre curé?
— C'est juste! c'est juste! fit M. Merlet en se frottant les mains d'aise; ah! parbleu! nous avons mille moyens de le prendre.
— On le dépouille!
— On le peigne!
— On le tond !
— On le râcle.
— On l'écorche !
— On l'éventre !
— On le met en quatre !
— En six !
— Allez, hup ! fit le maire en tournant sur
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son talon; voilà un homme enfoncé. Mais vous donc, M. Cochot, vous ne dites rien?
Le lecteur a remarqué, en effet, que M. Cochot s'était tenu silencieux jusqu'ici. Il hocha la tête, à l'interpellation du maire, et se mit à sourire.
— Beaux moyens que vous avisez là, compères, dit-il après un moment d'hésitation; je vous reconnais bien pour des novices... Enfin, laissons faire.
— Pas moins, M. Cochot, reprit le maire, quand nous l'aurons dépouillé, mis nu comme un ver, lui et son église, il faudra bien qu'il croise les pouces.
— Je ne vois pas pourquoi.
— M. Cochot pense peut-être, dit l'inconnu, que le préfet imposera d'office à la commune un supplément, ou des
— Oh! non, l'ami, répondit M. Cochot, vous me supposez un peu trop ignorant dans la question. Je sais à merveille que M. le préfet, qui nous impose d'office des réparations de ponts ou de chemins, des gardes-champêtres, des constructions d'égouts, etc.. laisserait bien mourir de faim notre curé et tomber notre église, sans s'en inquiéter le moins du monde. La question n'est pas là. Vous dépouillerez votre curé; eh bien! soit, j'y consens ; vous le réduirez à la misère : qu'en résultera-t-il? qu'y gagnerez-vous? De le
UN INTÉRIEUR. 285
fortifier, de le grandir de cent coudées ; de donner à son zèle, à sa parole, une autorité dix fois plus grande; d'atteindre juste le but contraire à celui que vous vous proposez. Enfants, retenez bien ce principe, il vous vient d'une bouche qui n'est pas suspecte : Plus on taille l'arbre, plus il prend racine et se fortifie. Trois siècles, dix-huit siècles de persécution l'ont prouvé pour l'Église.
Les compères se regardaient sans rien dire.
—Au demeurant, essayez, ajouta M. Cochot en se levant ; peut-être réussirez-vous. En tous cas, si vous ne réussissez pas, me voici. Je suis, moi, comme le chat de La Fontaine :
..... Je n'ai qu'un tour dans mon bissac; Mais je soutiens qu'il en vaut mille.
Je le tiens d'un ancien sous-préfet qui s'y entendait. Faites : je veux bien; je consentirai à toutes vos mesures ; comptez que je serai des premiers à vous servir. Mais si la mine ne réussit pas, eh bien ! je vous le dis, ajouta-t-il en secouant la tête avec un air d'intelligence, moi, je m'en charge; et quand vous verrez le lapin déguerpir, vous direz : Le père Cochot en sait plus que nous.
On se serra la main et on se sépara/
XV,
L'USURIER.
Deux jours après, le curé rentrait chez Anselme. Un attrait singulier le rappelait vers cette famille infortunée, sans doute cette sympathie vive, agissante, de la charité pour le malheur.
Dire l'effet qu'avait produit sur Anselme la nouvelle de la nomination de sa fille à la place de mère de la conférence serait assez difficile. Chose
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étonnante ! cet homme sans ambition, qui n'avait accepté que par force la place de conseiller municipal — Anselme était municipal — qui n'avait même plus de foi religieuse, ou du moins chez qui elle était étouffée par une sorte de scepticisme ; cet homme, dis-je, éprouva une sensation extraordinaire de plaisir, en apprenant l'honneur qu'on faisait à sa fille.
— Foi de vieux soldat, Adèle, s'écria-t-il, voici mon deuxième bon jour. Je suis aussi fier aujourd'hui qu'à l'heure où il me mit sur le coeur la croix d'honneur. Va me la chercher, ma fille.
On exhuma de la boîte de coton l'étoile impériale ; Anselme se l'appliqua sur le coeur, et ne la quitta plus de la journée.
Et la jeune fille ? Elle eut bien de la peine à en croire à ses oreilles. Elle, mère de la conférence ! Tout son sang se troubla dans ses veines. En vérité, elle ne s'en sentait guère digne. Une rougeur brûlante animait sa figure, toutes les fois qu'elle y songeait. Elle crut d'abord qu'on se moquait d'elle : oui, la pauvre fille, quand elle entendit le curé prononcer son nom, elle crut à une ironie amère, à une sorte de caricature, où l'on placerait en tête les plus indignes. Puis quand elle se fut convaincue que tout cela était sérieux, que la dignité du lieu saint et la gravité du sacerdoce ne permettaient pas de farces aussi indignes, alors elle se prit à pleurer en voyant à quelle distance
288 UN INTERIEUR.
énorme elle était de la charge qu'on venait de lui conférer. Et puis le souvenir de sa pauvre mère lui revint, et la pensée de toutes les peines qu'elle lui avait faites , et ses larmes coulèrent plus abondamment. Puis je ne sais quel ressort agissant au fond de cette âme vigoureuse, la releva au niveau de sa position. Oui, elle se sentit soudain à la hauteur voulue, non pas encore en réalité, mais par le désir ; et chez les âmes de cette trempe vouloir c'est faire. Elle réfléchit à tout ce que sa promotion allait occasionner de commentaires dans le pays ; elle résolut de les démentir ; de changer de vie, de se montrer aussi grave, aussi sérieuse, aussi douce, qu'elle avait été jusque-là dissipée, étourdie, impatiente. Et elle tint parole.
L'abbé Simette ne s'était donc pas trompé.
Rose éprouva aussi un indicible bonheur à ce petit événement. Et ce n'était pas chez elle la satisfaction d'un vain amour-propre, mais l'espérance, la certitude même du bien qui allait en résulter. Elle y voyait un moyen de rappeler sa soeur au devoir. Elle osa dans ce jour lui parler à coeur ouvert, et tout en ménageant sa susceptibilité , lui faire si bien entendre tout ce qu'on avait droit d'attendre d'elle, que la pauvre Adèle, émue, bouleversée, ne put lui répondre qu'en se jetant baignée de larmes dans ses bras.
Rose le soir remercia le Seigneur et aussi sa bonne mère, à l'intercession de laquelle elle attri-
UN INTÉRIEUR. 289
buait déjà cette faveur. Ce qui la rendait heureuse surtout, c'était que son père semblait déjà revenir à des sentiments meilleurs. La première' communion d'Othilie approchait; elle espérait que cette nouvelle circonstance contribuerait encore à réveiller dans l'âme de ce pauvre père les sentiments religieux qui y dormaient depuis si longtemps. L'espérance s'attache à tout. Sentant tous les jours ses forces s'affaiblir, elle demandait au bon Dieu, avec effusion, de ne pas la laisser mourir, avant d'avoir vu dans la voie du ciel tant d'êtres qui, lui étaient chers.
Une circonstance que nous devons rappeler, c'est que ces pauvres enfants ignoraient tous la position cruelle où se trouvait leur père, où ils se trouvaient eux-mêmes. Non-seulement Anselme ne leur avait point communiqué la lettre qu'il avaii reçue de son usurier, mais toujours il leur avait laissé ignorer les emprunts qu'il était forcé de faire, et son fils et sa fille aînée étaient arrivés jusqu'à l'âge de dix-huit et vingt ans sans savoir qu'ils ne possédaient plus rien au monde. Délicatesse étrange de la part d'un père, et condamnable peut-être, puisque si ces deux étourdis eussent été informés à temps de la position gênée où il se trouvait, ils eussent sans doute évité de l'aggraver par leurs dépenses folles et illicites. Mais Anselme était bâti comme cela ; sa tendresse mal éclairée cherchait à écarter de ses enfants tout T. 1. 13
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sujet de tristesse, sous prétexte qu'il fallait les laisser jouir en plein du bel âge, que les maux viendraient toujours assez tôt, et que toutes ces heures passées dans l'insouciance et les folles joies de la jeunesse étaient autant de pris sur l'ennemi. Les parents de cette espèce ne sont pas rares aujourd'hui. Aveugles ! ils ne voient pas que c'est préparer à des enfants un triste avenir, en les livrant sans préparation et sans défense aux événements de la vie, qui leur seront d'autant plus accablants qu'ils auront été moins prévus.
Mais qu'on se figure combien il en coûtait au pauvre Anselme de concentrer dans son coeur la pensée des maux qui menaçaient sa famille! Hélas! les événements allaient bientôt se charger de révéler le secret fatal. Dans quinze jours, dans dix jours. un huissier brutal viendrait apprendre à ses enfants qu'ils n'ont plus de domicile, plus de patrie ! que la misère la plus complète est tout ce qu'ils possèdent au monde! Est-il une idée plus poignante pour le coeur d'un père ?
Elle fut donc bien courte la joie d'Anselme ! Après la première expression de son bonheur, il regarda sa fille avec tendresse, et se dit :—Tiens! au fond , ce n'est guère la peine , mon enfant... Pour quinze jours ! J'aurais bien fait de le dire au curé... mais qui savait? Et lui, comment n'y a-t-il pas songé, puisqu'il a lu la lettre?
Le curé en effet avait lu la lettre et y avait
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songé. Nous disions qu'il venait d'entrer chez Ballet. Il attendit qu'il fût seul et lui demanda à voir les papiers relatifs à sa dette. Un mot que lui avait dit Anselme l'autre jour avait éveillé des soupçons qu'il lui tardait de confirmer. Le rôle odieux que jouait dans sa paroisse l'usurier Tartara lui faisait vivement désirer de mettre enfin un terme à son infâme trafic. Il aurait regardé comme le plus bel acte de son ministère de délivrer son troupeau du loup cruel qui le dévorait. Après bien des recherches, l'abbé Simette trouva enfin la pièce. Quelque habitude de l'usure qu'eût ce détestable vieillard, il s'était trouvé une fois en défaut : quel scélérat n'oublie un jour les règles de la prudence ! C'était une lettre dans laquelle Tartara déclarait à Anselme qu'il lui prêtait sur sa demande cinq cents francs, au quatorze pour cent. On y lisait en post-scriptum : Brûlez cette lettre, dès que vous l'aurez lue. Il y avait de cela vingt ans. Lorsque cette somme avait été remboursée, le billet d'Anselme lui fut rendu ; mais suivant l'usage des usuriers l'excédant de l'intérêt légal avait été pris sur la somme même, c'est-à-dire qu'Anselme n'avait reçu que 91 francs pour 100, et de la sorte le billet ni le reçu ne pouvaient démontrer l'usure. La lettre seule fournissait un témoignage. Le curé s'empara de ces deux pièces et se dirigea vers la demeure de M. Tartara.
292 UN INTÉRIEUR.
Un usurier ! Oh ! de quelles couleurs nous servirons-nous pour peindre cet être hideux, jeté si bas au-dessous de la dignité humaine ! Quel nom donner à cet homme sans coeur, sans pitié, sans entrailles, si brutalement identifié à son trésor que pour lui le genre humain tout entier n'est plus rien ! Un usurier ! c'est la lèpre affreuse qui ronge la société, le sale égout où viennent couler toutes les sueurs du pauvre. Est-il rien d'horrible à contempler comme ce stupide vieillard, vivant dans les ténèbres, à l'instar de l'araignée son image fidèle, comme elle épandant ses filets, et jouissant à voir ses victimes s'y précipiter? Rien ne fait palpiter ce coeur, si tant est qu'il y ait un coeur sous cette forme humaine ; les plaintes de la vieillesse, les pleurs de l'enfance, les cris de la veuve, les accents de la faim et du désespoir, rien ne remue cette statue glacée, cette impitoyable harpie. Il a vu les fortunes les plus belles, les maisons les mieux fondées, tomber sous ses doigts rapaces, plus puissants cent fois que le croc qui abat les murailles, ou la sape qui mine les remparts. Il a vu l'artisan laborieux, l'honnête cultivateur, le négociant probe, de jeunes ménages , des familles entières le courtiser, le supplier , se jeter à ses genoux, et baiser la main qui devait les perdre sans retour. Il a vu cela, et il en a éprouvé de la joie ! Car il la connaît encore, sa joie : son coeur bat quand il empile des écus
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et qu'il se dit : ils se multiplieront à l'infini : je sais battre monnaie, aux dépens de mes frères. Oh! devant cette idée et le doux bruit qu'elle fait à son oreille, tout se tait; il n'entend plus rien du fracas des maisons qui s'écroulent, plus rien des cris du désespoir, ni des malédictions qui s'amassent sur sa tête.
M. Tartara avait soixante-dix ans, et depuis cinquante il s'adonnait à l'usure. C'était un petit homme maigre, osseux, appuyant sur un bâton son corps déjà voûté par l'âge. Il y avait une sorte de bonhomie et de simplicité dans sa contenance et dans sa démarche. Sa figure singulièrement petite et rétrécie offrait au premier coup d'oeil quelque chose de ridicule ; mais à qui l'étudiait de près, elle présentait bientôt un caractère d'astuce qui la rendait odieuse. Son nez trèsmince était aquilin jusqu'à être crochu ; ses yeux, dépourvus de cils et de sourcils, étaient d'un gris-vert bordé de rouge, symbole de la cruauté ; ils s'enroulaient sous une paupière flasque, jaune, diaphane, assez semblable à celle d'un reptile. Son front et ses joues sillonnés de rides horizontales offraient l'aspect d'un parchemin séché au feu. Il n'avait plus une seule dent, ce qui faisait que ses lèvres très-fines et formées comme par incision, disparaissaient dans sa bouche, et laissaient saillir d'autant son nez et son menton, qui faisaient assaut entre eux. Une salive jaunâtre, détrempée
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de tabac, marquetait ordinairement son menton de traînées livides, qui finissaient par s'identifier à sa peau. Toutes les saillies de son corps, les épaules, les genoux, les coudes avaient quelque chose de si noueux, de si anguleux, qu'il semblait composé de racines d'arbre; ses doigts surtout, excessivement longs, minces et crochus, ressemblaient à des sarments tortus, et se serraient avec une facilité de tenailles. Toute sa vivacité paraissait s'être cencentrée là; car tandis que le reste du corps gardait ordinairement l'immobilité du cadavre, ses doigts étaient continuellement en jeu comme pour pincer, pour saisir ; ainsi l'araignée dont la masse informe semble inerte, n'a de jeu et de mouvement que dans ses pattes.
Un usurier est ordinairement avare; M. Tartara poussait cette passion à sa dernière limite. Il serait difficile de peindre l'accoutrement sale et crasseux de ce prêteur d'argent. On ne savait de quelle couleur, ni de quelle date étaient les guenilles dont il se couvrait. Il portait toujours culottes ; la mode n'avait pu le décider à changer cette forme de vêtement, vu qu'il en avait pour le reste de sa vie et au delà. Nous n'avons pas besoin de dire que l'étoffe primitive avait dispara sous une mosaïque de pièces de toute nature et de toute nuance. Son vieux chapeau, le seul qu'on lui eût jamais vu, était si percé, si défoncé qu'un pauvre eût dédaigné de le toucher de l'extrémité
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de son bâton. Les enfants du village soutenaient qu'il n'avait pas de chemise ; et ses doigts étaient trop commodes pour ne pas lui servir ordinairement de mouchoir.
Le seul luxe que se permît ce personnage ignoble, c'était le tabac. M. Tartara prisait avec volupté, avec délice, n'usant que de Saint-Vincent et de Virginie choisis. Ici, il n'y regardait pas.; partout ailleurs, il se montrait d'une crasse hideuse; mais en fait de tabac, au diable l'avarice!
Je me trompe en disant que cet être sordide n'avait qu'une espèce de luxe. Le même homme portait à sa culotte une boucle en vermeil, incrusté de pierres précieuses et du plus grand prix. Ce fait, pour être étrange, n'en est pas moins vrai. M. Tartara, dans sa sphère basse et ignoble, était sybarite. Il raffinait. Il mettait un goût d'épicurien, une malice infinie à se dire : Vous voyez cet orgueilleux qui se pavane, cette belle aux riches atomes; eh bien ! cela n'a pas ce que vaut la boucle de ma culotte. Or, cette boucle de culotte lui venait d'un certain personnage ruiné qui ne pouvant payer les intérêts énormes dont il était redevable, lui avait cédé en place le dernier bijou qui lui restât. Et vraiment la boucle était si jolie, que le glacial avare s'en était laissé éblouir, et qu'au lieu de la vendre au prix fort élevé qu'on lui en offrait, il avait mieux aimé l'agraffer à sa ceinture,
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pour le plaisir de narguer les vaniteux qui paradaient autour de lui.
M. Tartara était marié. Sa femme, être nul, sans vice ni vertu, avait d'abord un peu souffert de la vie ignoble et resserrée à laquelle il la condamnait , puis elle avait fini par s'y faire, par s'y incruster en quelque sorte. Dans ce cercle étroit où il était emprisonné, ce végétal vivait, respirait, se remuait, comme ces plantes qui croissent sous verre. Ses facultés, très-faibles de leur nature, s'étaient peu à peu perdues en une sorte de mécanisme obscur, latent, dont un cours régulier d'occupations intérieures faisait mouvoir les ressorts. Elle filait, recousait ses jupes et les culottes de son mari, se chauffait au soleil, mangeait, dormait , avec la régularité et l'insouciance de l'idiotisme; mais des opérations de son mari, du rôle qu'il jouait dans le pays, elle n'avait pas grande idée. Elle était tombée dans l'imperturbable quiétude de l'abêtissement.
Ce couple intéressant avait une fille, Mlle Zoé Tartara, qui n'avait pas eu d'autre maître en éducation que ses parents, excepté toutefois le père Fifi, dont elle avait reçu les leçons pendant trois hivers, et qui se plaignait, par parenthèse, qu'on lui devait encore six terrines de lait et une paire de sabots, réservés sur les mois d'écolage. Je ne sais quel jour la mère, sortant comme par hasard de sa torpeur, murmura le mot de pension ;
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son époux la regarda du coin de l'oeil et dit : Ceux qui ne la trouveront pas bien, la laisseront. La mère retomba dans son rôle de momie.
Et au fait, Mlle Zoé eut des courtisans. Tartara n'eut que l'embarras du choix. Il les lorgna tous de haut en bas, pesa leur valeur, c'est-à-dire leur fortune, et finit par tomber sur celui qui en avait le moins. Un jeune étranger, beau, séduisant , qui se disait négociant, obtint la préférence. C'était un fou et un débauché, capable de dissiper en un clin d'oeil la fortune si laborieusement amassée par son stupide beau-père. O Providence de Dieu!
Eh bien ! cet avare hideux, cet homme de si chétive apparence, on ne se figure pas l'empire qu'il exerçait sur cette malheureuse commune. Presque tous les habitants de Monval étaient entre ses mains. Depuis surtout que le goût du luxe et de la débauche s'était répandu, depuis que l'oisiveté et la passion du jeu exerçaient leurs ravages , un malaise indéfinissable éteignait cette population autrefois si heureuse. Tout le monde était dans la gêne, et pourtant tout le monde voulait figurer, jouer, dépenser; c'est l'ordinaire; moins on a, plus on veut paraître. A part un petit nombre de laboureurs qui s'étaient tenus sagement à l'écart, et joignaient leurs bouts, tous les autres, ou par des malheurs involontaires, comme Anselme, ou par leur faute, étaient venus tomber
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aux griffes de cette sale harpie, aux pattes de cette dégoutante araignée, dont la toile allait toujours s'élargissant, et menaçait d'envelopper bientôt le village entier. Et quand assis devant sa porte, appuyé sur son bâton, le rapace vieillard promenait son regard de reptile sur cet amas de maisons, il pouvait en bonne logique s'en dire le maître, il pouvait se déclarer le seigneur de Monval, à de faibles exceptions près ; et sa face caustique se déridait alors, ses lèvres s'enfonçaient plus avant dans sa bouche, ses yeux verts se cachaient avec une voluptueuse indolence sous leurs flasques étuis, et il tressaillait, oui, il tressaillait l'homme sans entrailles, comme l'araignée dont une mouche ébranle la toile. Il goûtait une saveur indicible à ruminer cette pensée : Tout cela est à moi; volontiers il eût posé sa main décharnée sur ces maisons, sur ce territoire, pour en prendre possession ; et la comparaison de sa chaumière délabrée , avec ces élégantes demeures bâties ou rhabillées de ses écus, distendait ses lèvres d'un rire satanique. Quand je vous disais, lecteur, que c'était un sybarite! Où la volupté va-t-elle se nicher?
Et toute la journée de ce monstre à face humaine se passait à compulser ses registres, à étudier ses billets. On était généralement exact à payer les termes, car l'on savait qu'il ne faisait pas grâce d'une heure, et que l'huissier Décroche
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avait mission de venir réveiller les mémoires paresseuses. D'ailleurs tant d'expropriations de meubles et d'immeubles avaient déjà eu lieu sous le nez des gens de Monval, que vraiment les plus lents devenaient agiles. Cependant, quand quelque retardataire avait laissé passer le jour fixe, le père Tartara se levait le lendemain un peu plus matin, et s'acheminait vers Monval. On le voyait alors revêtir une face plus bénigne, tirer à tout passant son chapeau défoncé, et frapper discrètement à certaines portes. Personne ne s'y trompait ; les civilités du père Tartara faisaient peur, surtout à ceux qui en étaient les objets. Chacun se disait : Encore un martyr !
Et c'était vers la demeure de cette sangsue que l'abbé Simette se dirigeait à ce moment. Une gêne étrange, nous devons le dire, saisissait le prêtre, à mesure qu'il approchait; c'était de la répugnance, de l'effroi, je ne sais quel sentiment indéfinissable dont il ne pouvait se défendre. Le père Tartara demeurait, comme Anselme, à quelques cents pas du village, sur une petite hauteur; et on eût dit que la nature avait voulu favoriser ses goûts, en le plaçant si convenablement pour jouir de la vue de ses victimes. Le curé, avant d'entrer, se retourna aussi pour contempler sa paroisse, et ne put retenir un soupir, en songeant à tous les maux qui la désolaient. Il les énuméra tous, tous dans sa pensée, et se demanda s'il
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était donné à une force humaine d'en triompher. Puis se rappelant qu'il y a une force d'en haut qui peut tout, et qui ne se refuse pas aux coeurs droits, et qu'en définitive ce ne sont pas des succès , mais des efforts que Dieu demande, il releva les yeux au ciel et reprit courage.
Le père Tartara était assis sur son tronc de bois pourri, humant les derniers rayons d'un soleil d'automne, quand il vit de loin la robe noire du curé. Ses calculs furent aussitôt interrompus, ses esprits même troublés ; car cette vue lui faisait mal, il n'aimait pas les prêtres. Glorieux privilége des ministres du ciel d'être un objet de haine pour tous les hommes vendus au vice ! Le père Tartara, bien qu'il ne s'imaginât guère que le curé vînt à lui, s'esquiva néanmoins et glissa dans sa chaumière, absolument comme le serpent qui entend du bruit s'enfonce dans son rocher. Mais quelle ne fut pas sa surprise, quand il vit cette grande robe noire se dresser sur le seuil de sa porte ! Ah ! vraiment, il faillit tomber à la renverse. Sa femme assise près du foyer sans feu filait sa quenouille, et s'aperçut à peine d'une visite si étrange.
Le curé ne fut pas moins frappé à son tour de l'aspect misérable et dégoûtant de cette chaumière. C'était la première fois qu'il y entrait. Lors de son arrivée à Monval, il avait rendu visite à chacun de ses paroissiens; mais je ne sais par
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quel hasard, il trouva la porte de l'usurier fermée , et chaque fois qu'il voulut y revenir, toujours l'impitoyable verrou lui barrait le passage. Il y avait bien un peu de malice de la part du père Tartara ; mais cette fois le rusé y fut pris : le curé était entré.
Deux chambres étroites, enfoncées en terre de trois ou quatre marches d'escalier, composaient le réduit du plus riche financier de la contrée. Audessus régnait une espèce de grenier, où l'on montait à l'aide d'une échelle, et qui avait servi dans le temps de chambre à Mlle Zoé. A la maison étaient adossées une écurie et une grange, où l'on pouvait entrer du dedans, par une porte pratiquée dans la cuisine, ce qui procurait l'ineffable avantage d'avoir constamment un goût de fumier des mieux conditionnés. Mais rien ne peut rendre le désordre, l'encombrement, le pêle-mêle, et sui - tout la crasse qui régnaient dans cet affreux fouillis. On y respirait une odeur virulente, formée de mille éléments plus nauséabonds les uns que les autres, mais où dominait ce fumet particulier que nos paysans appellent l'odeur des pauvres gens. L'oeil eût été embarrassé de démêler d'abord la nature des objets entassés les uns sur les autres ; ici, des étoupes mêlées à des feuilles de choux; de la tresse dans des poireaux ; une miche de pain sur des bottes d'oignons ; des raves pelées, le peigne de Mme Tartara, — Mme Tartara avait un
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peigne ; — un pain de beurre frais, un petit torchon de cheveux, puis une coiffe en indienne piquée, puis des nappes pour la lessive, puis une culotte de M. Tartara, puis mille autres objets de cette nature et de cette propreté. Le curé faillit suffoquer en entrant dans ce réduit. L'usurier confus, interdit, était resté cloué sur son siége de bois; à deux ou trois reprises il avait relevé sur le prêtre ses petits yeux de serpent, dont le cercle rouge prenait une teinte plus foncée, puis il les avait recachés sous leurs enveloppes membraneuses , mais avec cette mobilité qui est le signe de l'étonnement ou de la gêne. Dans sa stupéfaction, il n'avait pas même songé à saluer, à se lever, à offrir une chaise; lui si honnête en rue, lui dont
la civilité descendait parfois jusqu'à la bassesse
Qui aurait reconnu là le père Tartara? Mais il était attéré, écrasé, pétrifié; je ne sais quelle puissance magique avait comme anéanti toutes ses facultés. Au salut du prêtre, à une question des plus polies sur sa santé et sur celle de sa dame, il ne sut que répondre ; sa tête n'y était plus ; il releva encore ses yeux hébêtés, qui semblaient interroger et demander l'explication d'un fait si étrange. Enfin le curé lui ayant crié par deux ou trois fois qu'il avait à lui parler en particulier, le stupide vieillard comprit à la fin, et se levant comme par ressort, il prit son bâton, indiqua de la main l'autre chambre et entra le premier.
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Cette pièce, bien qu'elle ne différât pas essentiellement de la première, était cependant la pièce d'honneur. L'encombrement n'y était guère moindre, mais il y avait moins de malpropreté. Un lit, quelques siéges de bois, une petite table, en faisaient tout l'ornement; seulement, dans un angle obscur, du côté de la fenêtre , on voyait un coffre en chêne ciré et marqueté, solidement incrusté à la muraille. Une certaine propreté faisait reluire dans l'ombre l'énorme serrure en cuivre de ce petit meuble. Un seul pied le soutenait en avant, les deux autres côtés du triangle étant appuyés contre les murs. La tablette, profonde d'un pied et demi à peu près, supportait un petit rosier du Bengale, robuste et vert, le seul objet riant que l'oeil rencontrât dans ce ténébreux réduit. On devine que ce coffre-fort était le secrétaire de M. Tartara. C'était là, en effet, qu'étaient rangés dans divers casiers, non son argent,—M. Tartara n'en gardait guère, — mais ses billets, ses titres, ses registres et de nombreux bijoux acceptés, en place d'argent, de débiteurs ruinés.
On s'assit. L'abbé Simette près de la fenêtre, l'usurier devant son secrétaire, comme pour le couver ou pour le défendre contre une attaque: l'araignée se rapproche instinctivement de sa proie. Un instant plus tôt, le curé aurait surpris l'avare passant sa revue quotidienne, étudiant ses dates et ses échéances. Ce jourd'hui même il venait de
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caser à leur place deux billets de 500 francs, échangés l'un et l'autre contre une somme de 490 francs; ce qui, avec le cinq courant, constituait un intérêt rond de quinze pour cent. Et par la même occasion, il s'était assuré de nouveau de la dette Ballet, et avait compté sur ses doigts les quelques jours qui le séparaient encore de celui de l'expropriation.
Le curé reprenait courage, sans trop savoir par quel bout entamer la conversation ; il avait cependant retrouvé cette noble et légitime fierté, qui sied à la vertu en face du vice. Enfin, il vint à bout d'entrer en matière.
— M. Tartara, dit-il, vous me pardonnerez de venir vous déranger; mais j'ai pour cela de graves raisons.
Le petit avare s'inclina machinalement, en signe d'assentiment.
— Il y a ici un de mes paroissiens qui a affaire à vous. Cet homme est malheureux, et d'autant plus digne de pitié qu'il n'est point la cause de son malheur, vous le connaissez , c'est Anselme Ballet.
Le petit avare, le menton appuyé sur la pomme de sa canne, fit un léger signe de tête.
— Il vous doit une somme énorme, continua le curé, une somme qui s'est grossie, comme l'avalanche , par l'effet du temps.
Le petit avare baissa les yeux, et rabattit ses
UN INTÉRIEUR. 305
paupières de chouette, dont le curé put voir à fond la couleur.
— Et comme vous paraissez pressé d'être rembourse de. cette somme, et que le malheureux n'est
pas. dans le cas de vous la faire, vous seriez dans la disposition, m'a-t-on dit, de le faire exproprier.
Le petit avare tressaillit comme un serpent à qui on marche sur la queue.
— Eh bien ! eh bien ! quoi? dit-il enfin d'une voix maigre et effilée, qui semblait sortir d'un tuyau obstrué.
— Eh bien ! M. Tartara, je viens vous demander grâce pour lui...
—Eh ! sac-à-papier,—c'était le juron de M. Tartara, — il ne m'a point fait de mal !...
— Non, tout au contraire ; mais son sort est entre vos mains ; vous pouvez réduire cet homme à la misère, lui et sa nombreuse famille
— Qui ? moi ! non, répondit M. Tartara avec une certaine vivacité ; le pauvre diable a un petit accroc chez moi; c'est vrai c'est vrai
mais... je veux être remboursé, et voilà tout.
— Et vous savez, M. Tartara, que Ballet est hors d'état de payer la somme énorme de six mille francs.
— Et moi donc ! et moi donc ! interrompit brusquement l'usurier ; suis-je dans le cas de la perdre? Savez-vous ce que l'argent coûte à amasser?
306 UN INTERIEUR.
Il ne peut pas me payer, tant pis, tant pis pour lui; ma foi, tant pis... j'ai assez attendu...
Tous les ressorts du petit homme étaient en jeu. Ses yeux passaient de droite à gauche avec une volubilité inquiète. Il avait posé une de ses jambes sur l'autre, et l'agitait d'une manière désordonnée. Ses lèvres s'entr'ouvraient et se rapprochaient sans relâche comme les mâchoires d'un requin : il était visible que cet homme était remué jusqu'au fond de son être.
Le prêtre à son tour sentait son zèle s'échauffer : la flamme appelle la flamme. Ce qu'il voyait de l'agitation de son interlocuteur, ce qu'ilavait entendu dire de lui, ne lui permettait pas d'espérer qu'une telle âme fût accessible à la pitié. Il résolut de prendre son grand courage, et d'en venir droit au fait.
— Il s'agit. M. Tartara, non d'un acte de miséricorde de votre part, mais d'un acte de justice.
— Que voulez-vous dire? que voulez-vous dire? Monsieur!...
— Rien... que vous ne compreniez à merveille. A combien se montait la première somme que vous avez prêtée à Anselme Ballet ?
— Qu'en sais-je, moi? Ah ! ah ! ah ! qu'en saisje ? Ne vous figurez-vous pas que je sais par coeur tout ce que j'ai prêté, jusqu'à un sou?
— Cela serait difficile. Eh bien ! moi je le sais. Il y avait quatre cents francs.
UN INTÉRIEUR. 307
— Et puis ? et puis?
— Aujourdui il y en a six mille ! C'est monstrueux.
— Mais, quoi?... enfin six mille! c'est
possible... Il y a eu plusieurs autres avances...
— Minimes ! très-minimes ! cinquante francs une fois ; trois louis une autre... Et le total monte à six mille francs !
Le curé appuyait sur ces derniers mots avec une force singulière.
— Et les intérêts donc? les intérêts? répondit M. Tartara en posant de nouveau son menton sur sa canne, et en tâchant de comprimer sa vivacité.
— C'est cela, nous y sommes; les intérêts, au.....
— Au cinq, morbleu, au cinq, toujours au cinq. Voulez-vous voir mes billets?
Ici le prêtre fixa ses grands yeux bleus sur la figure rabougrie de l'usurier, pour essayer d'y faire monter un peu de rougeur, un peu de honte. Le teint blafard, la peau ratatinée du vieillard restèrent les mêmes. Rien d'imperturbable comme un front d'usurier qui se croit en règle. Cette impassibilité irrita l'abbé Simette, nous devons en convenir, et faillit le jeter hors de ses gonds. Il se contint pourtant.
— Est-ce tout, M. Tartara, reprit-il avec une gravité solennelle, est-ce tout de vous mettre à
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couvert aux yeux des hommes, aux yeux de la loi, je devrais dire? N'y a-t-il pas au fond de votre conscience une voix qui dément ce qu'avance votre bouche ? Une loi plus haute, plus digne que celle que vous éludez, et sur laquelle vous serez jugé un jour? Allons, c'est à cette pensée intime et à votre propre conscience que je fais appel ; c'est par elle, avec elle, que je voudrais vous parler... Appel à la conscience d'un usurier avare ! Pauvre abbé Simette !
— Moi? moi? Monsieur, répondit le petit vieillard en se secouant et en se tordant comme une couleuvre; Monsieur, que me dites-vous là? Sachez que je suis un honnête homme !...
— Je le crois, M. Tartara, répliqua l'abbé Simette avec un demi-sourire railleur; ah ! je le crois sans peine. Honnête homme ! Mais qui donc n'est pas honnête homme? C'est bien mesquin cela! L'honnête homme est partout; on le rencontre à tous les échelons de l'ordre social; sur le trône comme dans la chaumière ; dans l'industrie comme dans la science ; chez l'ouvrier comme chez le propriétaire ; au four, au marché, à la taverne, au tribunal, au bureau, au galetas, au premier, à l'entresol, au moulin, à la boutique, en prison, au pilori, au bagne même, oui au bagne et à l'échafaud... J'ai trouvé l'honnête homme au bagne; allez plutôt consulter ceux qui le peuplent. L'honnête homme? que c'est vulgaire! il fait la boue; con-
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naissez-vous quelqu'un qui ne se dise honnête homme?
L'usurier ouvrit tout au large ses deux petits yeux où se peignait un naïf étonnement. Il trouvait tout ceci d'une vérité frappante, et sentait son support lui manquer. Sa conscience lui criait en effet qu'il y a au bagne une foule d'honnêtes citoyens moins coupables que lui.
— Parlons donc raison, M. Tartara, reprit le prêtre après un moment d'interruption ; vous savez mieux que moi comment s'est formé l'énorme capital que vous doit aujourd'hui Ballet. Sans doute, ce n'est point à moi à me mêler de vos affaires, Dieu merci! j'en ai assez d'autres sur les bras. Mais je suis prêtre , je suis pasteur de cette paroisse, et comme tel, obligé de compatir à toutes les souffrances spirituelles et temporelles de mon troupeau. Or, Monsieur, il m'est revenu qu'une des familles les plus nombreuses et les plus intéressantes de Monval allait se trouver réduite à la mendicité, jetée même hors de son asile, par l'effet d'une mesure que vous avez résolu d'adopter contre elle. C'est pour détourner ce coup cruel, cette démarche brutale, passez-moi le terme, que je suis venu vous trouver. Je vous supplie donc au nom de la charité, au nom de l'humanité, au nom de tout ce qu'il y a de sacré au monde, au nom de votre Dieu et du mien, d'épargner cette famille infortunée.
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— Épargner ! épargner ! répondit le petit vieillard en se tortillant de plus belle, voilà qui est aisé à dire... Comment, épargner? et qui me paiera donc ? quand serai-je remboursé ?
— Remboursé de quoi? dit l'abbé Simette avec un sangf-roid remarquable.
— Comment? de quoi! Eh! vous venez de le dire vous-même : six mille francs...
L'abbé se leva, et prenant un ton de plus en plus solennel :
— Monsieur Tartara, Ballet ne vous doit rien.
— Rien ?
— Rien ! c'est moi qui vous le dis.
— O miséricorde! ô incroyable! ô sac-à-papier! s'écria le vieillard en se levant aussi avec vivacité. Pour le coup vous vous moquez de moi. Ha! ha! c'est-y drôle ! Chouchette, viens donc voir ici. Ah! c'est-y drole ! Chouchette! Chouchette!
Le lecteur ne s'y trompe pas : Chouchette était le nom de tendresse de Mme Tartara. Chouchette qui sommeillait près de son foyer désert, ne bougea pas.
— Rien, Monsieur, répéta l'abbé Simette avec une nouvelle énergie ; Ballet est quitte avec vous, puissiez-vous être quitte avec lui !
— Oui, ma foi, oui, c'est le monde retourné, criait l'usurier, en trépignant et en piquant la terre de la pointe de son bâton. Ah ben ! Ah ben ! c'est du drôle, ceci, c'est du curieux... Au reste, nous verrons ; j'ai mes titres
UN INTERIEUR. 311
— Et moi les miens, répondit le curé en tirant un papier de sa poche ; il n'est bon cheval qui ne bronche une fois dans sa vie, et vous avez éébronché une fois, monsieur Tartara. L'iniquité, dit l'Écriture, s'est mentie à elle-même; c'est le cas de le répéter aujourd'hui. Je venais faire un appel à votre charité, je devrais dire à votre justice; vous y restez sourd ; eh bien ! soit ; nous recourrons à d'autres moyens. Vous n'aurez pas la peine, monsieur Tartara, de nous traîner devant les tribunaux; nous vous y citerons nous-mêmes. Nous avons contre vous des preuves accablantes, et venant de votre main ; l'accusation sera grave, la peine effrayante ; car il est de mon devoir de vous le dire ; il s'agit pour vous des galères. Veuillez y réfléchir. Reconnaissez-vous votre signature?
L'ébahissement du père Tartara était au comble. Il s'était arrêté soudain, comme pétrifié par cette nouvelle; son nez semblait s'amincir encore; ses yeux restaient fixés, sans voir, sur l'objet qu'on lui montrait ; sa bouche entr'ouverte ressemblait à celle d'une carpe qui pâme. C'était un mystère encore pour lui que cette menace et surtout les raisons qui pouvaient l'appuyer; mais un instinct, une pensée rapide, lui laissait entrevoir qu'il pourrait bien y avoir là-dessous quelque chose do vrai; qu'il avait pu faire une sottise, lui, dans ses commencements; et qu'enfin un prêtre est un
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homme sérieux, qui ne cherche guère à mentir. Et voilà le pauvre hère abîmé, écrasé sous ces idées confuses, mais d'autant plus accablantes qu'il y voit moins clair ; et il n'a pas la force de provoquer une explication, d'articuler un mot; il n'ose même demander ce que c'est que cette lettre, où il reconnaît fort bien sa griffe, et dont il ne se rappelle plus ni la date ni l'objet ; en un mot, il est attéré et désorienté complétement. L'abbé s'en aperçut :
— C'est donc convenu, monsieur Tartara, reprit-il en repliant sa lettre qu'il remit dans sa poche ; ou vous userez de miséricorde envers Anselme Ballet, ou nous userons de rigueur envers vous. Encore une fois réfléchissez-y; vous êtes riche, monsieur Tartara, mais votre fortune, fût-elle double encore et triple, ne suffirait pas à réparer les injustices que vous avez commises. Il est temps de clore cette carrière d'iniquité. Vous êtes trop vieux pour aller goûter de la vie du bagne ; croyez-moi, changez de conduite ; c'est un ami qui vous parle, le seul peut-être que vous ayiez au monde. Je serais au désespoir de vous avoir causé de la peine ; mais entre l'innocent qui souffre et le coupable qui fait souffrir, je n'hésiterai jamais.
L'abbé Simette fit un salut et sortit. Le petit homme toujours ébahi, toujours fixé au même endroit, le regarde partir, sans faire un pas, sans
UN INTÉRIEUR. 313
dire un mot. Longtemps après, quand il revint à lui, ses membres tremblaient, ses yeux suintaient, une bave gluante coulait sur son gilet.
— Chouchette! Chouchette! cria-t-il d'une voix dolente, Chouchette donc! à moi! viens donc!...
Le cri fut assez perçant pour tirer Chouchette de son sommeil. Quand elle arriva, son petit vieillard était couché sur le pavé, gémissant, pleurant comme un enfant que la colique tourmente.
— Chou chette! Ah! ma pau vre
Chouchette; je ne sais ce que j'ai... je... un petit bouillon d'herbes tu sais... dépê che-toi...
Chouchette crut qu'il expirerait sur place. Elle parvint cependant à le remettre sur ses quilles, comme elle disait familièrement ; mais malgré sa tendresse et le bouillon d'herbes, le petit homme continua à trembler.
M. Tartara avait la fièvre.
T. I. 14
XVI.
CITE VISITE DE NUIT.
La vie, pour les âmes sensibles, est une bascule continuelle. La joie et la tristesse s'enchaînent , sans qu'il soit facile de démêler le point de transition. Les plus minces accidents remuent toutes les fibres, et ce qu'il y a d'étrange, c'est que souvent les événements sont pris à contre-sens. C'est quand tout est désespéré, qu'on espère; quand tout est espoir, qu'on tremble.
UN INTÉRIEUR. 315
Il en était souvent ainsi de Rose Ballet. Nature délicate, esprit fin, coeur exquis, cette douce enfant sous les apparences de la vie commune cachait une âme privilégiée, et épuisait une existence obscure aux yeux des hommes, mais riche et précieuse devant Dieu. Rien n'est grand comme la piété humble et cachée ; c'est la violette exhalant en secret son parfum. Quand la vertu est placée sur un certain théâtre, il semble toujours qu'elle reçoive un peu sa récompense, et qu'elle se décolore au souffle de la louange humaine, qui flétrit tout ce qu'elle touche. Mais oubliée, dédaignée, inconnue, oh! elle est grande alors, elle est céleste; elle garde sa beauté native, et ne perd rien de ce fumet délicieux dont Dieu est si jaloux.
Il est souvent dans les vues du ciel de faire paraître la vertu ; il est toujours dans la nature de la vertu de se cacher.
Nous pourrions difficilement exprimer tout ce que renfermait de délicat et de pur cette âme de jeune fille. C'était tout à la fois le courage de l'homme et la sensibilité de la femme ; la susceptibilité de la souffrance et l'énergie de la résignation; le coup d'oeil sûr et prompt qui voit le mal, et la volonté calme et ferme qui y porte remède ; une vive horreur pour tout péché, et une sympathie profonde pour tout pécheur; une attention de chaque instant pour les choses de la terre, et une intention constante pour les choses du ciel; un
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attachement pieux et tendre à ses parents, et un amour exclusif pour son Dieu ; une participation intime, profonde à tous les maux de sa famille, et un abandon plus intime, plus profond encore au bon plaisir divin; enfin une vive impatience de mourir pour être en possession de son bien éternel, et pourtant le désir sincère de rester encore ici-bas pour partager et soulager les maux de ceux qui lui sont chers. Tels étaient les sentiments divers et en apparence opposés qui se partageaient cette jeune âme, plus voisine de la nature de l'ange que de celle de l'homme.
Nous le répétons, Dieu seul, quand il le veut peut former ainsi tout d'un trait les vertus grandes et fortes. S'il entre dans ses desseins que l'âme ait, comme le corps, ses développements progressifs, quelquefois cependant il se plaît à déroger lui-même à ses lois. Lisez l'histoire des saints. Voyez de nos jours la vierge de Saint-Pallais, cette admirable Marie-Eustelle, dont les vertus et les inspirations sublimes rappellent les plus beaux traits des vierges que l'Église honore. Quelle pureté de coeur ! Quel détachement universel ! Quelle vivacité d'amour! Quelle justesse d'esprit! Quelle netteté de vue ! Quelle simplicité de colombe ! Et avec cela quel esprit pénétrant ! Quel style brûlant! Quelle parole enflammée (1)! Non, non,
(1) Voyez le recueil des letttes de cette admirable vierge,
UN INTÉRIEUR. 317
l'industrie humaine, les efforts mêmes de la volonté ne parviendraient pas à élever l'âme à un tel degré de perfection, si Dieu n'y mettait la main, s'il n'abrégeait pour ses enfants privilégiés la longueur et les difficultés du chemin.
Ainsi à un degré moindre peut-être, mais bien remarquable encore, en avait-il agi avec notre jeune paysanne, choisie de lui pour vase d'élection, en vertu de cette grâce mystérieuse qui prend ses victimes selon ses vues et sans révéler à personne le secret de ses voies. Et ce vase n'exhalait que pour le ciel sa bonne odeur. La foule des hommes passait, ou voyait passer cette frêle enfant; et nul ne soupçonnait tout ce que cette nature maladive, aux apparences communes, cachait de piété candide et de dévouement héroïque. Il faut de la vertu déjà pour deviner et apprécier la vertu.
Tant que le souvenir de la mort de sa mère resta vivace dans la famille, tant que la plaie saigna, Rose Ballet se sentit douée d'un courage extraordinaire. Dès le lendemain, elle s'approchait en secret de la table sainte, pour y puiser la force dont elle avait besoin pour les autres. Puis elle fortifiait, elle consolait son père; elle faisait luire l'espérance à ses yeux ; elle ranimait le coupublié
coupublié les auspices de Monseigneur l'Evêque de la Rochelle. Il n'est donné qu'au catholicisme de produire de semblables vertus.
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rage défaillant de sa soeur et de son frère ; elle paraissait souriante et gaie à tout le monde; on comprenait à peine cette sérénité en face du plus grand malheur qui pût la frapper.
Mais, hélas! ce courage n'était que factice. Quand le temps eut amorti la douleur commune, quand elle vit son père rouvrir quelque peu son âme à l'espérance, et ses frères et ses soeurs reprendre leur train accoutumé, oh ! alors, la douleur retomba sur son coeur d'un poids indicible ; elle réfléchit seulement à la perte qu'elle avait faite, qu'ils avaient faite tous, et une amertume immense envahit tout son être. Ses larmes se firent jour alors et coulèrent par torrents. Dieu ! que ses nuits étaient longues et tristes ! Mais tristes de cette tristesse que la foi ne condamne pas, qui cache sous son absinthe amère une résignation vertueuse aux volontés de la Providence. Tout lui rappelait alors cet être chéri, qu'elle semblait tout à l'heure avoir oublié ; sa figure si douce et si expressive, l'éclat de ses yeux mourants, sa voix pure et pénétrante, sa tournure, ses gestes, tout lui devenait si présent, si sensible, que parfois elle lui adressait la parole et se serait volontiers jetée dans ses bras.
Ce soir-là, en traversant le village, elle rencontra mademoiselle Idalie Rigolot ornée de la croix qu'elle avait été forcée de lui vendre. L'épicière, avec cette morgue vaniteuse d'une villageoise
UN INTÉRIEUR. 319
sans éducation, affectait de faire briller son joujou, et lança en passant un coup d'oeil triomphant sur Rose, tout en lui faisant un salut d'un air protecteur et presque insolent. Rose baissa les yeux ; mais rentrée chez elle, elle sentit son coeur se gonfler, et elle versa un torrent de larmes. Ce n'était point jalousie, ni regret de son bijou ; Rose ne se repentait pas de ce qu'elle avait fait ; mais la pensée de sa mère lui revint si vive alors, que .son coeur se fondit en larmes. Les plus minces événements, comme nous le disions tout à l'heure, produisent souvent ce que les accidents les plus graves n'ont pu faire. C'est la dernière goutte d'eau qui fait déborder le vase.
Il prit alors à la jeune fille un immense besoin de revoir sa mère.
— Ils l'ont suivie tous à sa dernière demeure, se disait-elle en essuyant ses larmes, et moi je n'ai pas encore été lui rendre visite. Ingrate!
Et le soir elle s'acheminait vers le cimetière, tremblante et pensive. C'était une de ces nuits tièdes de novembre, où la température fait un dernier effort devant l'approche de l'hiver. L'obscurité n'était pas complète. Un vent chaud soufflait par bouffées, et enroulait les nuages du côté du Nord. Il y avait dans tout l'aspect de la nature cette tristesse paisible qui porte à la mélancolie; l'haleine interrompue du vent semblait comme la voix du regret, comme une plainte à
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demi voix des champs et des forêts, dépouillés de leur verdure.
Le mur du cimetière était tombé en ruines. Par la négligence de M. Merlet, les brèches ne se réparaient pas, et les animaux pouvaient aller chaque jour fouler aux pieds la cendre des morts. Profanation dont les exemples ne sont pas rares. Il était donc facile de pénétrer sans clef. Rose entra par une de ces brèches ; mais ce ne fut pas sans frissonnement qu'elle mit le pied dans la funèbre enceinte. Les peupliers agités par le vent, les croix, les pierres tumulaires, tout ce vague aspect d'objets funéraires que l'obscurité rendait plus tristes encore, firent sur elle une impression profonde. Puis songeant que sa mère était entrée ici depuis peu et pour toujours, elle sentit une sueur froide lui courir sur le corps ; elle fut obligée de s'asseoir. Ensuite reprenant courage, elle s'achemina lentement, lentement vers le tertre fraîchement remué Une simple croix indiquait la
place... Oh! là, la jeune fille se précipita à genoux ; elle embrassa cette croix, symbole de deuil et d'espérance , et se mit à pleurer.
Qu'elle est grave et solennelle la pensée des morts, surtout dans cet entourage d'obscurité, de silence et de solitude ! Qu'elles sont éloquentes les voix qui sortent de ces tombes glacées! Qu'ils sont sérieux les enseignements qui surgissent de toutes parts dans ce champ paisible de la mort!
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Pour désabuser des choses d'ici-bas l'homme qui en est le plus possédé, que faudrait-il? De temps en temps, une heure de méditation au milieu des tombeaux.
Les Égyptiens embaumaient leurs morts; les Grecs conservaient dans des urnes les os et les cendres de leurs parents ; tous sentaient le besoin de converser avec ceux qui ne sont plus, d'écouter les graves leçons du tombeau. N'y auraitil que les Chrétiens qui eussent la mort en horreur?
Rose pleura longtemps à genoux, les mains jointes, la tête inclinée sur cette terre humide, qui recèle à quelques pieds au-dessous d'elle ce qu'elle a le plus aimé au monde. Et bientôt elle ne sait plus si c'est joie ou tristesse, le sentiment qui fait couler ses larmes. Une pensée pieuse a vite absorbé chez elle les affections de la nature ; car depuis longtemps elle a pris l'habitude de voir Dieu en tout et partout.
— N'était-ce pas miséricorde pour vous, ô ma mère, dit-elle à demi voix, comme quelqu'un qui converse avec une personne présente, oui, miséricorde pour vous, que de mettre un terme à vos si longues souffrances? C'est assez, me disiez-vous peu de temps avant votre mort ; je suis fatiguée... Il est temps d'aller chez nous. — Eh bien ! vous y voilà. Votre corps dort ici de son lourd et dernier sommeil ; et votre âme, j'en ai la douce con14.
con14.
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fiance, repose déjà dans la gloire éternelle. Oui, ma mère, oui, c'était miséricorde de la part de
notre Dieu Je n'ose plus pleurer; qu'il soit
béni !
« Mais nous? mais moi? mais eux? Ah! quel vide vous nous faites ! Cruelle ! avez-vous pu laisser ainsi vos petits enfants ! Ne les entendez-vous pas tous les jours, toutes les nuits vous appeler? qui donc vous remplacera près d'eux? Rien ne remplace la sollicitude et l'amour d'une mère.
« Je n'ai point oublié ma promesse ; vous me les avez confiés, je les accepte tous ; mais la charge est bien lourde pour moi ; je suis faible et sans expérience. Ah ! si mon pouvoir égalait mes désirs! J'y consumerai du moins mes efforts et ma vie. Et vous, m'aiderez par vos conseils, par vos prières, vous m'obtiendrez force et courage du Père de miséricorde, auquel vous êtes déjà réunie... Oui, ma mère, je compte sur vous. Nous sommes bien malheureux, oh ! bien malheureux ; et je vois que si le ciel ne nous vient en aide, nos maux ne feront qu'augmenter...
Ici le coeur de la jeune fille se serra. Elle pensa à son père qui pouvait mourir à chaque instant, au dénuement absolu dans lequel ils allaient se trouver, aux accidents qui venaient d'aggraver leur position ; elle pensa même à sa croix, à sa chère petite croix qu'elle avait vendue si à conte-coeur.
UN INTÉRIEUR. 323
— Ah! j'oubliais de vous le dire... de vous en demander pardon. Vous ne m'en voudrez pas, ma bonne mère, vous savez combien j'y tenais; c'était de vous qu'elle me venait, vous me l'aviez suspendue au cou le jour même de ma première
communion. Mais la misère le besoin... Non,
vous ne m'en voudrez pas ; vous m'auriez conseillé de faire ainsi. Et j'en ai une autre plus lourde, plus difficile à porter, et sans doute plus précieuse devant Dieu.
Elle s'arrêta de nouveau ici pour laisser couler ses larmes. Et revenant encore sur les malheurs de sa famille, sur la menace d'expropriation dont son curé l'avait instruite en secret la veille, elle reprit :
— Si ces pauvres petits enfants, si mon malheureux père allaient bientôt se trouver sans asile, dites, maman, quelle peine affreuse, quel crèvecoeur pour nous tous? Où irions-nous traîner notre misère? Nous serions obligés de mendier notre pain. Et ce serait bien dur, de s'en aller, dans la force de l'âge, de porte en porte... Ces pauvres innocents surtout ; cela me saigne le coeur rien que d'y,penser. Non, vous ne le souffrirez pas, ô ma bonne mère, vous nous recommanderez à la sainte Vierge, vous lui parlerez de nous tant et tant qu'elle se laissera fléchir, elle si douce et si tendre ! Et s'il entrait dans les desseins du Seigneur de nous réduire à un tel excès de misère,
324 UN INTÉRIEUR.
eh bien ! vous obtiendriez que ces deux petits fussent retirés du monde, pendant qu'ils sont innocents encore. Il me semble, ô ma mère, que vous les avez quittés avec trop de regret pour ne pas désirer les revoir bientôt...
De nouvelles larmes violentèrent encore ses paupières. Un léger bruit qu'elle crut entendre ne lui fit point tourner la tête ; elle trouvait une sorte de bonheur à alléger ainsi le poids de sa tristesse. Seulement, craignant d'être entendue, elle reprit plus bas :
— Pour moi, je sens que. je ne tarderai pas à vous rejoindre ; mes liens se brisent tous les jours. C'est pour moi, c'est à moi que vous avez dit : A bientôt! Oui, vos yeux mourants étaient fixés sur votre Rose, quand vous prononciez ces paroles, avec une voix si tendre et si émue. Ah! quand le bon Dieu voudra : je suis prête, j'attends, je désire... Si cependant ma présence icibas peut leur être utile encore, si elle peut les aider à sortir de leur double misère spirituelle et. temporelle , eh bien ! je consens de bon coeur à vivre, à souffrir, longtemps, longtemps encore. Mais que le bon Dieu leur ouvre les yeux, qu'il leur fasse comprendre les avantages et les joies de son service...
Ici ses lèvres se fermèrent ; une sorte de douce extase parut l'absorber tout entière. Elle pria alors, dans la plénitude de son coeur ; elle passa
UN INTÉRIEUR. 325
en revue les nécessités spirituelles et temporelles qui affligeaient chacun des membres de sa famille, et elle conjura avec ferveur le Dieu tout-puissant et miséricordieux de prendre en pitié cette immense misère. Sa prière dura plus d'une demiheure.
Un nouveau bruit attira son attention. Elle crut entendre un soupir; et une forme humaine se dessina bientôt à ses yeux à travers l'obscurité. Beaucoup d'autres auraient eu peur à sa place ; elle frémit bien quelque peu aussi : cependant elle prit sur elle de s'approcher. Elle reconnut un homme, le fossoyeur, Jacques Lafosse. IL était debout, les bras croisés, dans l'attitude d'une douloureuse méditation.
— Eh! c'est vous, Jacques, dit-elle, en modérant sa frayeur ; ici... à ces heures-ci?
Jacques répondit par un soupir.
— Ah!
— Et quel motif peut vous amener si tard, ici... vous?
— Là! là! le voilà ! dit le vieillard avec effort.
Et vous enfant, que faites-vous au cimetière
chez moi?
— Je n'étais pas ici, Jacques, quand vous descendiez ma pauvre mère dans son dernier lit; et j'ai voulu venir la revoir, et marquer ma place à côté.
Jacques Lafosse poussa un nouveau soupir. Il
326 UN INTÉRIEUR.
chercha dans l'obscurité à lire sur le visage de la jeune fille. On n'entendait plus rien que le frémissement du vent dans les feuilles mortes des peupliers.
— Ce que c'est, mon Dieu ! ce que c'est, reprit-il après un moment de silence, et en tendant vers la terre ses deux mains jointes et crispées; chacun a donc ses maux ! Le voilà... ilm'appelle... lui ! il est quitte... et moi, j'ai les maux !...
— Oui, Jacques, mais leur terme est ici ; vous êtes le grand médecin, vous; quand vous avez traité les malades, ils ne se plaignent plus...
— Ha ! ha ! fit le fossoyeur avec un sourire amer; ce médecin-là que vous dites, eh bien! c'est le plus malade.
— Et j'espère bien, Lafosse, que vous viendrez avant peu me creuser aussi ma couche... ici... Je suis lasse, il me tarde de me reposer
Le vieillard chercha encore une fois à découvrir sur la figure de l'enfant l'expression du sentiment étrange qu'elle venait de manifester. Il connaissait de réputation le petit Ange, mais il avait peine à croire à la sincérité de ses paroles.
— Eh! mon Dieu! c'est bon pour des vieux comme nous de parler comme ça. Qu'est-ce que nous faisons donc ici-bas ? Septante-trois ans, la misère, la faim... Hé! vieux Jacquot, qu'est-ce que tu hésites tant à tomber le nez contre terre? Le voilà qui t'appelle...
UN INTÉRIEUR. 327
— Il vous en coûtera moins qu'à un autre de mourir. Vous êtes depuis longtemps familiarisé avec la pensée de la mort. Votre ministère est grave ; chaque fois que votre pelle recouvre une bière, vous vous dites, j'en suis sûre, mon tour viendra bientôt.
Le vieillard laissa retomber sa tête sur son sein. Après une pause, il dit :
— Ma pelle ! ah ! ma pelle ! Enfant, n'entendez-vous rien?
Rose écouta en frissonnant.
— Que voulez-vous dire? répondit-elle, non; je n'entends que le bruit du vent dans les arbres... et puis ces voix qui semblent sortir de toutes ces tombes pour nous avertir de nous préparer à mourir.
— Ici ! ici ! reprit le fossoyeur en tendant ses mains vers un point fixe.
— Vous savez, Jacques, qui repose là. Il n'y a pas un coin de ce champ de la mort que vos mains n'aient retourné ; car il y a longtemps que vous êtes fossoyeur.
— Cinquante-cinq ans... là, là!
— Moi, je n'ai plus que peu de temps à vivre. Je vous demande une grâce, Lafosse, c'est de me placer à côté de ma mère.
— Là ! là ! répétait le vieillard avec un abattement profond.
— Je ne sais pourquoi, il me semble qu'on
328 UN INTÉRIEUR.
dort mieux à côté des êtres que l'on a chéris. Je voudrais, Jacques, que chaque famille de Monval eût ici son petit carré, comme son domicile, sa maison souterraine. Il y aurait ainsi deux villages, l'un de vivants, l'autre de morts.
— Ah ! ah ! ah ! reprit le vieux fossoyeur dont la pensée était ailleurs ; c'est un jour maudit que celui-ci. Je l'avais pressenti : c'est un sort. Maudit! maudit ! répéta-t-il en se jetant à genoux.
Rose commençait à avoir peur. Elle se souvint que le vieillard avait eu dans le temps des accès de folie. Elle regarda autour d'elle : ces tombes blanchâtres qui se dessinaient à peine dans l'ombre , cette grande croix qu'elle pouvait apercevoir au milieu de l'enclos, et ces peupliers flétris qui se dessinaient sur les nuages, tout cela l'effrayait. Elle réfléchit à sa singulière position. Elle se trouva ridicule, bizarre, d'être venue en tel lieu et à telle heure.
— Maudit ! maudit ! redisait Jacques en se jetant le front contre terre; la bèche me remuait dans la main, la pioche me repoussait ; il fallait m'arrêter... Malheur à qui méprise les avertissements des morts !
Il y avait dans la voix de cet homme quelque chose de désespéré qui glaça à la jeune fille le sang dans les veines. Elle craignit sérieusement que le vieux Lafosse ne fût repris d'un accès de démence, et elle regardait derrière elle à s'éloigner sans
UN INTÉRIEUR. 329
bruit, quand soudain le vieillard se releva :
— C'est lui ! je le sens. N'entendez-vous rien?
— Rien, Jacques, que le bruit du vent et les...
— Il grince les dents... C'est bien fait : la bèche me remuait, la pioche me repoussait...
Il se jeta de nouveau à terre, et parut embrasser quelque chose avec un respect mêlé de tendresse. Puis se relevant encore :
— C'est triste, le rire des morts. Regardez, il me fait la grimace : il est fâché contre moi. Il ne veut pas que je l'embrasse.
Effet singulier de la peur! Rose crut voir alors un mort se lever, secouer son linceul, se dresser les deux poings sur ses hanches, et la regarder en face. Elle eût bien voulu s'éloigner : elle ne le pouvait plus.
— Entendez-vous ? les morts ne rient pas, ne parlent pas comme nous. Leur visage est triste et leur joie fait mal...
— Quelle idée vous passe par la tête, Lafosse ? dit alors Rose en se roidissant sur ses jambes pour ne pas trembler trop fort : les morts... ne reviennent pas.
— Ha ! ha! ha ! répondit le vieux fossoyeur, ils dorment tant qu'on ne les touche pas; mais dès qu'on les touche, ils se réveillent. C'est un jour maudit : mais aussi pourquoi ne pas m'arrêter? Il était temps encore... La bêche me remuait, la pioche me repoussait. Écoutez ! écoutez ! là ! là!
330 UN INTÉRIEUR.
La frayeur augmentait dans la tête de cette pauvre enfant : ses oreilles bourdonnaient ; le faible bruit du vent avait tout à coup changé de nature et pris des significations étranges. Oh ! qu'elle s'accusait vivement d'imprudence, et qu'elle eût voulu être au sein de sa chaumière !
— Comme les vers l'ont arrangé ! Plus de chair sur les os Tu ne riais pas comme cela autrefois, toi ! Eh bien! oui, regarde! regarde! Moi, je baisserai les yeux pour ne pas te voir.
Et en effet, le malheureux avait fermé les yeux et croisé ses bras. La tête penchée sur sa poitrine, il soupirait, il râlait comme un homme dans le sommeil. Rose commençait à le prendre en pitié. Sa charité surmontant encore sa frayeur, elle le saisit par le bras et lui dit :
— Jacques, il se fait tard, allons-nous-en ?
— Ah ! ah ! ah ! répondit le fossoyeur d'une voix éclatante, il ne veut pas que je m'en aille. Il
m'a dit ce matin que je revienne ce soir C'est
un jour maudit..... Septante-trois ans, la faim, la misère... Il faut mourir... Aussi bien la bèche me remuait, la pioche me repoussait.
Il retomba dans son silence et dans sa douloureuse attitude.
— Eh bien ! Jacques, vous n'oublierez pas, dit encore Rose par un héroïque effort de courage ; vous me placerez auprès de ma mère, j'y tiens. Bonsoir. Il fait nuit. Je... Vous n'oublierez pas...
UN INTÉRIEUR. 331
Elle voulut essayer de s'en aller ; ses jambes fléchirent ; elle tomba plutôt qu'elle ne s'assit sur une tombe. Une grande tristesse la prit.
— Ah ! ah ! ah !, fit le vieillard , vous n'oublierez pas... Ce n'est pas, moi, jeune fille, qui creuserai vote fosse : il m'appelle ; c'est mon fils; il faudra bien obéir.
— Votre fils ? répondit Rose, qui reprit un peu de courage, en entendant le vieillard parler.
— Mon fils! il y a longtemps qu'il est là. Je l'ai réveillé ; il m'appelle. Oh ! qu'il était beau ! Et les vers l'ont dévoré. Voyez donc sa tête !
Rose, en regardant dans l'ombre où le vieillard indiquait, vit un objet blanc; mais, soit frayeur, soit effet de l'obscurité, elle ne put distinguer ce que c'était.
—Vous me parlez par énigme, Jacques ; voyons, expliquez-vous donc; qu'avez-vous?
— Ah ! ce que j'ai... c'est tout simple, le voici : Tenez, tenez, l'enfant, aujourd'hui je creusais la fosse pour le petit de Simon Roch. Mais moi, voyez, je connais tous les coins du cimetière, c'est mon champ, c'est mon jardin. C'est moi qui les ai tous rangés par ordre depuis cinquante-cinq ans. Je me disais donc en enfonçant la bêche : c'est là. Tu devrais prendre ailleurs , c'est là qu'il est ton fils, ton fils unique, que tu as tant pleuré et que sa mère en est morte de chagrin. Et puis je disais : non, ce n'est pas là ; et puis je disais : si,
332 UN INTÉRIEUR.
c'est là ; et la bêche me remuait, mais la terre était dure; j'ai pris ma pioche, et ma pioche me repoussait comme jamais. Voilà cinquante-cinq ans que je remue cette terre, et jamais je n'avais senti comme cela ma main repoussée. Je touche un grand coup en me disant : ce n'est pas là ; ma
pioche sonne Eh! jour de Dieu! quel coup
maudit! je tombe dessus, je le retourne, il me regarde , et le voilà !
— Le voilà, répéta-t-il d'une voix sombre. Et se précipitant encore une fois il embrassait
toujours le même objet. Mais cette fois Rose distingua, c'était une tête de mort, la tête d'un enfant.
— Oh ! pardonne-moi, pardonne-moi, cher fils, répétait le vieillard avec une indicible angoisse ; je ne l'ai pas fait exprès, ne me gronde pas, ne me fais pas la grimace; je t'aimais tant! Un fils ne peut pas maudire son père. Oh! ne me maudis pas ; nous avons fait tout ce que nous avons pu pour te sauver. : demande à ta mère.
Cet enfant était mort l'année de la misère (1817); et mort de faim ou à peu près; le père en avait été si frappé qu'il en perdit un moment la tête. Et dans son délire, il se persuadait que c'était lui qui avait tué son fils : c'est à cette pensée qu'il fait allusion aujourd'hui.
— Demande à ta mère, reprit-il en embrassant
UN INTÉRIEUR. 333
avec une nouvelle tendresse la tête de son fils; dis, est-ce que nous aurions voulu te donner aux vers? Ah! mon enfant, nous t'aimions plus que nous-mêmes ; nous t'avions acheté une petite chèvre, dont tu trouvais le lait si bon; nous t'avions fait un lit bien doux ; je te veillais tout le jour et toute la nuit, pendant que ta mère, ta pauvre mère allait demander l'aumône pour toi. Non, mon enfant, nous ne t'avons pas fait mourir. Et quand elle est partie, elle, eh bien! j'ai voulu qu'on la mît près de toi, afin qu'elle pût te caresser encore et veiller sur toi. Oui, oui, j'irai bientôt aussi, tout de suite, prendre une place à côté de vous. Mais, mon enfant, ne me maudis pas ; oh ! ne me maudis pas ! ce n'est pas moi, c'est ma pioche qui t'a réveillé, qui... Je ne voulais pas : aurais-tu le courage de me maudire?... Mon enfant, mon enfant, ne me fais donc pas ta vilaine grimace !
Nous ne saurions rendre l'accent déchirant avec lequel ce malheureux vieillard prononçait ces mots, ni avec quelle délirante ardeur il embrassait ces restes chéris. Rose sentait naître ses larmes. La compassion qu'elle éprouvait pour ce pauvre père faisait taire toutes ses terreurs ; elle ne voyait plus ni ces tombes, ni cette croix, mais ce vieillard infortuné baisant et mouillant de ses larmes un crâne dépouillé, où il croit reconnaître la tête de son fils. Et elle ne pouvait trouver une
334 UN INTÉRIEUR.
expression pour consoler cette douleur si vraie et si profonde. Un long silence se fit, pendant lequel on n'entendait plus que les soupirs étouffés de ce pauvre fossoyeur abîmé dans ses pensées amères. Puis se relevant tout à coup, il saisit avec une sorte de fureur la tête de mort, il l'élève de ses mains, il court, il gambade, il hurle; les échos de la nuit répètent ses cris rauques et prolongés. Il parcourt ainsi tout le cimetière, franchissant avec une agilité qui n'est plus de son âge et les tertres et les croix et les tombes.
— Mon fils ! mon fils ! hurlait-il, oh ! mon fils, que les vers ont mangé !
D'un bond, il s'est élancé au-dessus du mur. Longtemps encore, Rose l'entendit crier de sa voix puissante : — Mon fils ! mon fils ! c'est lui ! regardez mon fils !...
Elle récita en pleurant un dernier De Profundis sur la tombe de sa mère, et rentra agitée et tremblante.
Le lendemain, elle apprit que Jacques le fossoyeur était redevenu fou. Il avait prophétisé vrai quand il disait : Ce n'est pas moi qui creuserai votre tombe. On l'enterra peu de jours après.
— Hélas ! songeait Rose, il y a encore des gens plus malheureux que nous au monde. Pour se consoler, il n'y a qu'à regarder plus bas que soi.
XVII.
LES ÉLECTIONS.
Grande rumeur à Monval : le jour des élections approchait.
Il faut avoir vu, pour y croire, le trouble que cette opération apporte au sein de certaines localités. C'est un remue-ménage, une fermentation, une perturbation incroyable. Malédiction à celui qui inventa cette pomme de discorde et la jeta au
336 UN INTÉRIEUR.
sein de nos sociétés modernes ! Une foule de populations lui doivent leurs déchirements intestins, une foule de familles leurs haines inextinguibles.
Je ne sais quel homme d'État répondait à quelqu'un qui lui représentait les tristes effets de la loi électorale : Laissez faire; la pâte fermente, tout commencement coûte; nous n'en sommes qu'à l'essai.
Vraiment l'essai est encourageant.
Attendons.
En attendant, les hommes se brouillent, les communes se divisent, les haines se perpétuent, les cabales s'organisent, l'intrigue—jusque-là si répugnante au caractère français — s'implante dans le sol et y prend racine; l'honneur s'en va, les affaires languissent, le bien public souffre.
Encore une fois, l'essai est encourageant.
Nous n'avons jamais été, le lecteur s'en doute, ni préfet, ni sous-préfet, ni maire, ni électeur, ni pair, ni député, pas même ministre d'État, ni garde-champêtre. Par conséquent, nous sommes légalement inepte, sot, idiot, incapable d'ouvrir un avis. Nous nous permettrons cependant d'en ouvrir un.
Vu le caractère du peuple français, le régime électoral ne s'accommodera jamais à nos moeurs. Il est dans notre nature de n'avoir pas de milieu, d'être tout feu ou tout glace. Ou les élections continueront à intéresser les masses, et alors elles
UN INTÉRIEUR. 337
entretiendront un éternel levain de discorde; ou elles leur deviendront indifférentes, et alors il faudra porter les chiens à la chasse, c'est-à-dire contraindre par des amendes l'électeur à voter.
Nous demandions à un sous-préfet démissionnaire, homme observateur et habile : Combien, dans telles élections, avez-vous eu de maires qui ne fussent pas le fruit de l'intrigue?
DEUX! nous répondit-il.
Deux, sur quelques centaines: c'était beaucoup.
Donc tout Monval était en feu. Il s'agissait de faire passer MM. Grognon et Bonvalet, c'est-àdire de fortifier le parti Cochot-Merlet. Cela ne devait pas encore faire la majorité. Mais, s'était dit M. Cochot, si moi seul, ou mal appuyé par M. Merlet, je fais déjà trembler ces paysans, que sera-ce donc quand je serai flanqué de deux recors, surtout d'un homme énergique comme M. Grognon?
On se mit en campagne. Plusieurs semaines à l'avance vous eussiez vu les émissaires se croiser de tous côtés. C'était des visites, des services, des coups de chapeau à ne plus en finir ; M. Cochot mettait son habit noir, et allait amicalement converser avec ces bons paysans.
— Vous ne savez pas, disait-il à l'un, il s'agit d'amener une fontaine ici, devant chez vous. Mais pour cela il nous faudrait votre voix. Cela vous va-t-il?
T. I. 15
338 UN INTÉRIEUR.
— On a trois cents journées de prestation à placer cette année, disait-il à un autre; moi, j'opine pour qu'on les place dans votre chemin ; mais les autres s'y opposent... il nous faudrait tel et tel au conseil. Nous donnez-vous votre voix?
— On dit qu'on veut porter un tel pour maire, insinuait-il à un troisième; si cela est, je vous plains. Voulez-vous me croire? Eh bien ! vous voterez pour celui-ci ou pour celui-là.
De son côté, M. Bonvalet ne se ménageait pas.
— Eh! père Rancy, où allez-vous donc ce soir, que vous êtes si pressé? Voyons, est-ce que vous ne pourriez pas boire un petit verre en passant ? C'est de bon coeur.
— Tiens, déjà? M. Robiquet! vous êtes bien matinal! Entrez donc un instant, qué diable? Encore faut-il ! venez, venez, notre petit gardera vos boeufs.
— Holà ! Hé ! père Ronchet, on vous demande. Un ami. Ah! sacristi! pas tant de façon.
Et les verres de vin, de bière, de punch, coulaient comme de source.
Le malheur était que les deux candidats ne jouissaient d'aucune estime dans le public. Et bien que l'intrigue eût déjà fait des progrès, ces paysans ne pouvaient encore s'habituer à voter contre leur conscience. Reste de scrupule qui devait bientôt disparaître, et qui a en effet disparu là comme
UN INTÉRIEUR. 339
ailleurs. On lisait dernièrement sur une affiche, une veille d'élection : Voix à vendre ; prix une bouteille : N... électeur. Cette plaisanterie est l'expression fidèle de la vérité.
En somme, l'élection des nouveaux candidats était douteuse. On avait beau compter et recompter les voix, il en manquait toujours quelquesunes. Je ne sais quel paysan un peu plus rusé que les autres avait dit : Il paraît qu'il y a une ligue des messieurs contre les paysans. Ce mot fit fortune, vola de bouche en bouche, et ouvrit les yeux à un bon nombre d'électeurs qui se promirent de tenir ferme. La bataille devait donc être chaude. On comptait là, comme partout, les amis, les ennemis et les tièdes. Ceux-ci, minorité flottante, devaient fixer la majorité du côté où ils se porteraient; c'était eux qu'on flattait.
M. Merlet montrait un souci, une activité extraordinaire. On le voyait partout. Une aménité inconnue animait tous ses traits.
— Ah! ça, Jean, disait-il à l'un, on dit que vous avez un boeuf malade, ne me ménagez pas; les miens sont à votre service.
— Le garde-champêtre, disait-il tout bas à l'autre, m'apportait l'autre jour à signer un procès-verbal contre votre fils. J'ai refusé. Ça tombera. Entre amis, vous sentez...
— Vous avez tort de sortir sitôt, Nicolas, criait-il à un troisième ; le médecin dit que la fié-
340 UN INTÉRIEUR.
vre pourrait vous reprendre. Quoi ? mener votre fumier? Eh! morbleu! me voici.
Ceux à qui il s'adressait ainsi étaient des tièdes.
Et malgré tout, le succès n'était pas certain. Il manquait une voix.
— Si nous avions Ballet, dit confidentiellement M. Merlet à M. Cochot, je crois que l'affaire serait dans le sac
— Vous avez raison, maire, répondait familièrement M. Cochot ; morbleu ! vous avez là une idée.
— C'est un original, nous aurons bien des maux d'en faire façon.
— L'essai ne coûte rien. Et puis je sais un moyen à peu près sûr : laissez-moi faire, laissezmoi faire.
Ballet jeté, comme nous l'avons dit, par goût et par caractère en dehors du public, se souciait fort peu de tout ce qui agitait la population de Monval. Que lui importait qui serait maire ou adjoint, à lui qui allait peut-être bientôt quitter ignominieusement sa patrie? Quel sens ont pour lui ces ignobles cabales, ces mesquines combinaisons des partis? Hélas! il ne voit plus que la misère qui le menace, le dénuement de ses pauvres enfants, et son coeur qui bat, et ce cimetière fatal, où il lui semble toujours qu'une voix l'appelle. Ah ! que le bruit du dehors est faible, est nul pour qui a dans son intérieur tant de sujets de tristesse !
UN INTÉRIEUR. 341
M. Cochot savait ou plutôt devinait tout cela. Par ce coup d'oeil perçant qui caractérise les oisifs de village, il avait à demi pénétré la position d'Anselme. Beaucoup de ses champs, et des meilleurs, avaient été vendus ; madame Rigolot se plaignait qu'il ne la payait pas ; le charron, le cordonnier, le maréchal en disaient à peu près autant; d'où M. Cochot avait conclu qne Ballet était dans la détresse. Quelques indices lui avaient d'ailleurs appris qu'il était entre les mains de M. Tartara. Cela posé, l'honnête intrigant eut bien vite jeté son plan.
Le même soir, il entrait chez M. Tartara. Il le trouva grelottant encore de peur, près de son foyer. Il savait quelle haine cordiale ce vieillard portait au curé. Bien que la scène de l'autre jour fût restée ignorée dans le village, on savait cependant que le curé était entré chez l'usurier, et le ton dolent et l'air contrit du petit avare firent soupçonner à M. Cochot quelque mystère. Il s'agissait de tout apprendre par des voies détournées.
— M. Tartara, dit-il, après les compliments d'usage, je vous parlerai à coeur ouvert. Je compte assez sur votre discrétion pour n'user ni de dissimulation , ni de détours. Vous connaissez notre nouveau curé ?
— Hé ! sac à papier ! si je le connais, s'écria le petit homme en levant ses deux mains au ciel,
342 UN INTÉRIEUR.
c'est-à-dire vers la cheminée; il a failli me faire mourir.
— C'est ce qu'on m'a dit en effet, M. Tartara, répondit avec un air de profonde compassion l'artificieux Cochot ; c'est ma belle-soeur qui m'a raconté qu'il vous avait fait jeudi une scène effrayante à propos de... tiens, je ne sais plus de quoi; j'ai si peu de mémoire.
— A propos de ce Ballet, s'écria le vieillard, en ouvrant tout au large ses yeux gris-vert ; oui, de ce Ballet. Oh ! si vous saviez ! Quel intérêt si grand prend-il donc à ce Ballet?
— Coterie! compérage! commérage! Comment, M. Tartara, vous ne ne savez donc pas?
— Je ne sais rien, rien de rien. Dites, M. Cochot.
— Parbleu ! il ne s'agit de rien moins que de nous traquer comme des bêtes fauves, de nous proscrire, de nous..... que sais-je, moi? Il y a une conspiration contre nous ; on a trouvé une liste de proscription écrite de la main du curé et destinée à l'évêque. Vous êtes en tête ; je viens après ; puis M. Grognon, M. Merlet, M. Bonvalet, M. Hupé même, oui, M. Hupé, le plus honnête et le plus habile instituteur qu'il y ait peut-être à trente lieues à la ronde
— Jour de pluie ! dit à demi voix le vieillard, tout ça mes débiteurs; il veut me ruiner. Sur qui aurai-je recours?
UN INTÉRIEUR. 343
— L'évêque doit agir près du ministre. Vous êtes accusé, vous, de... ma foi, cela m'a encore passé.
— Hé! sac à papier! s'écria l'avare en bondissant de dessus son siége, je ne le sais que trop; il me l'a dit, lui : il ne s'agit pour moi que des galères, pas davantage.
— Oui, des galères, c'est cela, je m'en souviens maintenant.
— Ah! M. Cochot, par miséricorde, reprit l'usurier en tremblant plus fort de fièvre et de peur tout à la fois, vous m'aiderez, vous me soutiendrez, n'est-ce pas? si j'avais besoin de vous, vous ne me refuseriez pas un coup d'épaule. Vous vous souviendrez que j'ai rendu service à votre père, en lui prêtant mille écus au dix seulement, tandis qu'on m'en offrait le douze.
— Certainement, certainement, M. Tartara, je vous aiderai ; je me mettrais en quatre pour défendre et sauver un honnête homme comme vous.
— Oui, honnête homme, reprit le vieillard en joignant ses mains avec tendresse; j'ai eu beau le lui dire, il n'a pas voulu me croire.
— D'ailleurs, M. Tartara, notre sort est dans nos mains; c'est à nous de nous tirer d'affaire, et si nous succombons, ce sera note faute.
— Dites, M. Cochot.
— Voici les élections. Après-demain, on renou-
344 UN INTÉRIEUR.
velle la moitié du conseil. Il s'agit de nommer de bons candidats, des hommes fermes, bien décidés à ne pas laisser la calotte envahir la commune, et à n'avoir ni repos ni cesse que ce brouillon ne soit sorti du territoire.
— Bien dit! bien vrai! exclama le vieillard.
— Et pour cela, M. Tartara, il faut nous débarrasser de ces paysans; c'est trop bon, tranchons le mot, c'est trop bête. Ça est superstitieux comme les vieilles femmes : ça tient à son curé.
— Hé ! où est notre vieux ! sac à papier, notre vieux ! C'était bon, simple, tolérant.
— Or, notre plan est arrangé. Il faut absolument que MM. Grognon et Bonvalet soient élus. Et ils le seront, si nous pouvons avoir une voix de plus.
— La mienne? Oh! elle vous est assurée.
— Nous y avons compté, M. Tartara, sans même vous consulter. Mais ce n'est pas de la vôtre qu'il s'agit : il nous faut la voix d'Anselme Ballet.
— Ah! le gueux! s'écria l'usurier en levant ses deux poings ; l'infâme ! c'est lui qui est la cause de tous mes maux. Une lettre, un mot de confiance adressé comme à un ami... Et le malheureux va me trahir : après tous les services que je lui ai rendus... Ah! gueux, va!
— Eh bien! M. Tartara, quelque légitime que
UN INTÉRIEUR. 345
soit votre douleur, il faut la faire taire un moment. A Dieu ne plaise que je vous fasse un crime d'en vouloir à cet homme-là. Anselme est un jésuite, c'est tout dire. Aux motifs légitimes d'indignation que vous avez conte lui, j'en ajouterai encore un : Ballet est du parti du curé.
— Eh ! sac à papier, je le sais mieux que vous!
— Il a même signé la liste de proscription, lui et quelques autres, précisément ceux que nous voulons exclure du conseil.
— Ah! le gueux!...
— Mais, encore une fois, il faut faire taire tous nos ressentiments, et ne voir ici que le bien public. Nous avons besoin de la voix de Ballet, c'est là le point, tout le reste est accessoire.
— Comment, s'écria le vieillard, emporté par ses distractions, ce gueux-là me doit six mille francs, et il me nie sa dette!
— Il ose vous nier !
— Il ose envoyer son curé me sommer de lui remettre la' somme, si je ne veux aller aux galères. O ingratitude! ô infamie! Mais, oui, je le jure, il sera exproprié ; ils feront ensuite de moi ce qu'ils voudront.
— Exproprié, oui, c'est cela : sous peu, sans retard.
— Dans quinze jours. Je ne puis avant.
— Cela suffit, pensa M. Cochot : nos élections
15.
346 UN INTÉRIEUR.
seront faites (tout haut). Je reviens à notre affaire, M. Tartara, oubliez, oublions tous, nos ressentiments personnels devant la grande question de l'intérêt public. Avant d'écorcher ce jésuite, tâchons d'en tirer parti. Il nous faut sa voix, et c'est vous, M. Tartara, qui irez la lui demander.
— Moi? moi? à qui dites-vous cela? Moi? à lui? à un gueux qui me doit six mille francs, et qui veut me payer par les galères?
— Il serait beau, il serait noble, M, Tartara, dit M. Cochot avec une sérénité parfaite, de déposer un moment toutes vos antipathies si justes, si légitimes. La grande image de la patrie est là qui vous conjure de vous oublier un moment pour elle. L'intérêt public est la loi de tout bon citoyen, et le feu sacré du patriotisme est trop ardent chez vous pour que vous n'écoutiez pas cette grande voix qui vous crie : La patrie d'abord ; le bien public avant tout.
Le grêle vieillard ouvrait ses oreilles, et regardait son interlocuteur d'un oeil ébahi. Comme ces mots allaient bien à leur adresse! Lui qui dans son sale et crasseux égoïsme eût sacrifié pour un écu le monde entier!
— Et vous irez, continua M. Cochot, visiter Ballet, et lui demander sa voix pour nos candidats. Nécessairement vous avez de l'empire sur lui. Vous lui promettrez, remarquez ce mot, vous
UN INTÉRIEUR. 347
lui promettrez d'user d'indulgence... de ne pas le presser... de donner un délai...
— Qui? qui? moi? lui? s'écria le vieillard presque hors de lui ; oh ! jamais, M. Cochot ; jamais ! c'est plus fort que moi, cela. Un délai ! oui, j'y consentirais, s'il voulait me laisser, lui... Les galères; oh! sac à papier! mais j'espère que mon âge m'en dispensera : les galères, à soixantedix ans !
Ces mots furent pour M. Cochot un trait de lumière.
— J'y réfléchis, reprit-il d'un ton paterne; oui, vous avez raison, M. Tartara, vos motifs de ressentiment sont trop puissants pour qu'on en exige le sacrifice. Il est des degrés où l'homme de coeur ne peut descendre sans bassesse. Tenez-vous donc tranquille. Seulement autorisez-nous à agir en votre nom. Souffrez que nous promettions un délai à Anselme; que vous importe? Vous en ferez ce que vous voudrez : vous avez votre billet.
— Oh! cela, tant que vous voudrez, répondit l'usurier heureux de trouver une occasion de se débarrasser de ses craintes; oui, allez lui dire, que s'il donne sa voix à vos candidats, j'userai de ménagements à son égard.
— Et que s'il ne la donne pas, vous serez impitoyable.
— Impitoyable! c'est le mot : il faut que le calotin parte. Dussé-je y laisser ma peau, il faut
348 UN INTÉRIEUR.
qu'il parte. Son impudence passe les bornes. Quel tort lui ai-je fait, moi, pour qu'il aille ainsi se gendarme rcontre moi ? Je l'ai toujours laissé tranquille ; qu'il me laisse en paix.
- Et vous ne me démentirez pas, M. Tartara, si je promets à Anselme que vous lui donnerez du temps pour payer, que vous ne recourrez pas aux moyens de rigueur?
— Je tiens pour bon tout ce que vous direz, comptez-y. — Au fait, songeait-il, que risqué-je? j'ai mes billets : et... je ne m'engage à rien.
C'était tout ce que demandait M. Cochot. Il prit congé de l'avare et s'en fut droit chez Ballet.
Cette visite était quelque chose d'extraordinaire pour Anselme, qui ne voyait personne. L'habile M. Cochot voila sa démarche sous un prétexte de condoléance, s'apitoya avec ce ton pénétré qu'il savait si bien prendre, sur la perte que Ballet venait de faire, parut entrer avec une affectueuse pitié dans ses peines, et de détours en détours arriva à son terme.
Étonné que cet homme connût si bien sa position, et touché d'autre part de la compassion qu'il semblait lui témoigner, Anselme bon et confiant se sentit disposé à lui ouvrir son coeur. Il parla, il se plaignit, il exposa la position déplorable où il était, — que pouvait-il craindre avec un homme qui en savait plus que lui? — et peignit avec tant de vérité la misère qui l'attendait
UN INTÉRIEUR. 349
lui et ses enfants, que son visiteur était bien près d'être réellement touché.
— Je savais tout cela, monsieur Ballet, repritil quand Anselme eut fini, et, si ce n'était pas indiscrétion, j'ajouterais que je suis venu pour vous en proposer le remède.
— Ah! fit Anselme, séduit par ce ton de compassion , quel service vous me rendriez, Monsieur, si vous pouviez m'arracher à cette position cruelle. Ce n'est pas pour moi, hélas ! je n'ai plus que peu à vivre, mais c'est pour ces pauvres enfants. Si vous saviez ce que c'est que d'être père, et de voir la misère se dresser devant vous !...
— Eh bien! monsieur Ballet, vous pouvez sortir de ce pénible embarras. Je puis dire que votre sort est dans vos mains.
— Non, non, monsieur Cochot, vous l'avez dit vous-même, c'est ce misérable usurier qui me torture, qui me tenaille. Ne connaissez-vous pas sa dureté? A-t-il jamais fait grâce d'un jour, d'une heure?
— Jamais, que je sache : c'est un être odieux, les maux qu'il a faits sont incalculables. On en envoie tous les jours aux galères qui l'ont cent fois moins mérité que lui. Et pourtant cet homme sans entrailles se laisserait fléchir pour vous. Je sais, pardonnez-moi mon indiscrétion encore une fois, je vous parle ici en ami, je sais qu'il se dispose à vous faire exproprier dans quinze jours
390 UN INTÉRIEUR.
— Amertume! douleur! s'écria Anselme en joignant les mains ; mes enfants ! mes pauvres enfants! qu'allez-vous devenir? Oui, dans quinze jours, mes enfants seront sans asile et sans patrie
— Eh bien ! monsieur Ballet, moi je connais un peu ce ladre vieillard, et sans me flatter, je jouis de quelque influence sur lui.
— Ah ! Monsieur, fit Anselme avec une émotion visible, vous pourriez donc être mon sauveur.
— Sauveur! le mot est bien fort, dit M. Cochot en s'inclinant modestement, mais je puis du moins obtenir un adoucissement, des délais prolongés...
— Prolongés ! répéta Anselme dont les yeux pétillaient d'un commencement d'espoir ; des délais! peut-être cela me suffirait-il... si mon fils échappait au sort, si ma fille... si... mon Dieu! si l'étoile se montrait une fois favorable... Et je puis avoir des termes prolongés, monsieur Cochot?
— Indéfinis, monsieur Ballet, mais à une condition pourtant.
— Dites, dites vite.
— Vous savez que dimanche nous faisons les élections.
— On me l'a dit : j'en ai reçu avis.
— Eh bien ! M. Tartara voudrait, je ne sais pourquoi, faire élire deux de ses amis, si on peut dire qu'un tel homme a des amis ; et comme il lui
UN INTÉRIEUR. 351
manque une voix, j'ai pensé à la vôtre. Je sais combien l'intrigue vous répugne ; je connais votre indifférence pour tout cela; mais je me suis dit : après tout, si je puis sauver ce malheureux père de famille, en demandant de lui un si léger sacrifice, pourquoi ne le ferais-je pas? Et sans rien dire à personne, je suis venu vous confier ceci sous le secret. Vous en ferez ce que vous voudrez, monsieur Ballet, ajouta M. Cochot avec un geste d'indifférence ; mais j'ai cru que la charité m'obligeait à venir vous faire cette confidence.
— Ah! soyez-en béni mille fois, monsieur Cochot, répondit Anselme. Et vous pensez qu'à ce prix ce misérable m'épargnerait?
— De ceci, je suis sûr, M. Tartara me l'a promis. Je vous garantis sur ma tête que toutes poursuites cesseront dès l'instant que vous donnerez votre parole d'honneur de voter pour ces deux candidats.
— Qui sont?...
— MM. Grognon et Bonvalet.
A ce mot de Grognon, Ballet tressaillit. C'était l'homme qu'il haïssait le plus au monde. Le père Grognon, révolutionnaire enragé, avait persécuté le père de Ballet, et celui-ci qui avait, comme nous l'avons dit, hérité de haines que son père même n'avait pas éprouvées, nourrissait dans son coeur une antipathie profonde pour le fils de l'ennemi de sa famille. Quant à Bonvalet, sans avoir
352 UN INTÉRIEUR.
contre lui des motifs personnels, Anselme ne l'aimait pas, parce qu'il gâtait la jeunesse du pays, et que son fils Victor, en particulier, trouvait chez lui une occasion de dépenses. Un moment, il resta pensif, partagé entre l'espoir qu'on faisait luire à ses yeux, et la répugnance qu'il éprouvait à donner sa voix à deux hommes qu'il en jugeait si indignes. M. Cochot comprit son embarras.
— Du reste, monsieur Ballet, reprit-il, vous êtes libre. A Dieu ne plaise que je vous engage jamais à agir contre votre conscience : non, la conscience de l'honnête homme est un sanctuaire inviolable. J'ai cru, — pardonnez-moi, encore une fois, — devoir vous proposer cette alternative, dans votre intérêt; mais, si vous me demandez mon avis, je vous engagerai à faire ce que votre conscience vous dicte. Ah ! la conscience ! ajoutat-il en frappant solennellement sur sa poitrine, c'est là le dernier refuge, le dernier bien de l'honnête homme.
A ce moment, le hasard voulut que les deux petits enfants de Ballet rentrassent. Ils coururent, selon leur usage, se jeter au cou de leur père, l'embrasser, lui prodiguer leurs caresses, et restèrent à cheval sur chacune de ses jambes. Anselme les regarda tour à tour, leur sourit et dit :
— Tenez, monsieur Cochot, voyez si c'est dur de songer que ces pauvres innocents peuvent être réduits, sous quinze jours, à n'avoir pas un chaume
UN INTÉRIEUR. 353
pour s'abriter, un morceau de pain à manger...
— Ah! Dieu! fit M. Cochot en joignant ses mains et en levant les yeux au ciel.
— A vous dire vrai, le coeur d'un père ne saurait y tenir. J'en mourrai de regret. Et je me consolerais si ces pauvres petits pouvaient me suivre dans la tombe. Oui, ce serait leur rendre service que de leur Je frémis, mais c'est trop
vrai.
— Après tout, monsieur Ballet, je vous le répète, leur sort est entre vos mains. J'ai la certitude d'obtenir un délai indéterminé, si vous voulez acquiescer aux désirs de votre créancier. Voyez, je vous laisse à votre conscience.
— Je vous remercie, monsieur Cochot, de votre généreuse démarche. Mais, je verrai, je réfléchirai...
— Seulement ne perdez point de temps. Demain, il serait peut-être trop tard.
— Les élections ne se font que dans trois jours.
— A la bonne heure, mais notre vieux grippesou veut voir clair dans son affaire. Cela ne me regarde pas, moi, vous sentez : quel intérêt ai-je à ce que Paul plutôt que Garguille soit membre du conseil? Seulement j'ai entendu, par hasard, ce vieillard exprimer ses désirs, et j'ai cru devoir vous en faire part. Mais il peut changer de résolution ; vous devinez ce que ce sacrifice doit lui coûter.
354 UN INTÉRIEUR.
Là-dessus, maître Cochot se retira, laissant Anselme triste et pensif.
Longtemps après son départ, le pauvre Ballet réfléchit sur tout ce qui venait de se dire. Les raisons qui le pressaient d'accepter étaient bien fortes , mais sa répugnance pour ces deux êtres était presque invincible. Il ne voulut point se décider avant d'avoir consulté son ange. Rose rentra bientôt. Il lui exposa la question. Il hésitait, il tremblait, en lui révélant sa dette exorbitante, et tout ce qui allait s'ensuivre. La jeune fille, qui savait tout, n'en manifesta pas la moindre émotion.
— Que dis-tu de tout cela, chère enfant ? dit Anselme en fixant ses yeux attendris sur cette douce figure; est-ce assez de maux comme cela? Trouves-tu ton père assez malheureux? Si ton Dieu prenait pitié de nous, cependant; tu vois avec quelle sévérité il nous traite.
— Sévérité miséricordieuse, mon père, répondit l'enfant ; énigme qu'il coûte à la nature d'expliquer, mais dont la solution nous sera donnée un jour.
— Et en attendant, que faire?
— Souffrir, mon père, souffrir avec patience, en employant tous les moyens que nous avons à notre disposition pour alléger nos maux. Combien de fois n'avez-vous pas entendu dire à ma pauvre mère : la sagesse, l'habileté même ici-bas, consiste bien moins à éviter les maux qu'à les sup-
UN INTÉRIEUR. 355
porter avec courage. Oh ! qu'il y a de vérité dans ce mot. Il est difficile, impossible, d'échapper à toutes les souffrances ; mais la patience et la foi donnent la force de les accepter et parfois de les aimer.
— Et n'espères-tu pas que ces maux finiront un jour?
— Oh! non, mon père, répondit Rose avec candeur ; je n'attends rien ici-bas. La somme des douleurs qui nous accablent est trop grande pour que nous puissions espérer d'en être entièrement débarrassés. Il faudrait un miracle, et Dieu ne le fera pas.
— Tu me désespères.
— Pourquoi ne pas envisager le mal en face, bon père ? Que sert de se bercer d'illusions ? Il y a des familles que Dieu prédestine à la souffrance ; la nôtre est de ce nombre. Mais la résignation aux desseins du Ciel n'est point sourde et aveugle; elle emploie les moyens permis pour sortir d'une position pénible. Agissons, mon père, agissons jusqu'au bout, et laissons à Dieu le succès.
— Eh bien ! écoute, enfant, je le dirai ce qu'il en est. Dans quinze jours nous pouvons être expropriés. Je ne sais si tout ce qui me reste suffira seulement à effacer cette dette horrible ; car, hélas ! tout se vend au-dessous du prix dans ces caslà. Mais un moyen, un seul s'offre à moi, c'est de
356 UN INTÉRIEUR.
voter dimanche dans le sens du misérable usurier qui nous dévore.
— Pour qui ?
— Pour deux hommes dont le nom m'est odieux au plus haut degré, Grognon et Bonvalet.
— C'est un simple sacrifice de vos antipathies, mon père, vous pouvez le faire.
— Ah ! tu ne sais pas tout ce que ce Grognon en particulier m'inspire de dégoût et de haine profonde. Son père fut un monstre ; et lui-même, quoique jeune encore , a mis un plaisir barbare à nous persécuter. Il n'a pas tenu à eux que la tête de mon père ne roulât sur l'échafaud. Ne t'ai-je pas parlé cent fois de la dénonciation infâme que ce terroriste exalté osa présenter au district contre nous? Il demandait nos têtes, rien que cela. Et son fils que tu vois, venait encore enfant danser sous nos fenêtres, et vociférer les plus grossières
injures Que de fois il me répéta à moi, enfant
comme lui, les atrocités qu'il entendait débiter à son père ; qu'on nous pendrait à la lanterne, que nous étions des aristocrates et des suspects, et ces mille et une douceurs que les moeurs d'alors autorisaient? Et tu voudrais!...
— Sacrifice de l'inimitié, mon père ; vous le devez à Jésus-Christ, sans autre motif que son précepte et son exemple. Et quand, à cette raison déjà suffisante, s'ajoute votre propre intérêt et celui de vos enfants, vous hésiteriez encore?
UN INTÉRIEUR. 357
— Te dirai-je tout, dit Anselme distrait par ses pensées; eh bien! je soupçonne que ce monstre est l'auteur du meurtre de mon beau-père.
— Horreur! s'écria Rose consternée; mon père ! mon père ! ah ! prenez donc garde ! quelle raison pouvez-vous avoir de former une supposition aussi terrible?
— Va ! dit Anselme en baissant ses yeux à terre, mes conjectures ne sont pas sans fondement. Je n'oserais l'affirmer puisque je ne l'ai pas vu, puisque personne n'a pu me dire : j'y étais; mais il est des vraisemblances qui deviennent des certitudes... C'est un monstre! Regarde ta pauvre grand'- mère,—il montrait la vieille femme dormant dans son lit d'un sommeil agité, — eh bien ! c'est lui, tu ne m'ôterais pas cela de la tête, c'est lui qui l'a réduite à cet état misérable. Il est en grande partie l'auteur des maux de ma famille, et tu voudrais!
Un moment de silence succéda à ces sombres paroles. Rose effrayée cherchait à s'en rendre compte à elle-même. Elle frémissait de la révélation que venait de lui faire son père. Puis, se rappelant combien son caractère mélancolique le prédisposait à juger témérairement des hommes qu'il n'aimait pas, elle s'efforça de dissiper ses idées à ce sujet.
— Je souffre, mon père, de vous entendre dire des choses comme celles-là. Vous avancez sans
358 UN INTÉRIEUR.
preuves ; vous affirmez dans des matières où l'on n'ose formuler un jugement qu'après des démonstrations plus claires que la lumière du soleil...
— Je n'affirme rien, enfant, rien, répondit Ballet d'une voix sourde... mais ma conviction est telle, et cela ne se commande ni ne se détruit.
— Et encore, quand cela serait, tenez, dit Rose en faisant un effort sur elle-même, vous devriez, mon père, oublier ce... cette... je ne sais de quel nom me servir ; Jésus-Christ a prié pour ses bourreaux.
— Il était Dieu.
— Il nous a commandé d'aimer nos ennemis, et s'il est Dieu, il ne peut nous commander l'impossible. Et puis si ce n'est pas pour eux, mon père, que ce soit pour vous, pour vos enfants.
— Tu as raison , dit Anselme après un moment de réflexion, je me dois à ma famille. Le bon sens, mon coeur même me dit que je ne puis leur refuser aucun sacrifice. Je voterai.
On voit que Ballet ni sa fille ne devinaient le piége tendu à leur simplicité.
Le jour des élections arriva. Les démarches, les chuchottements, les visites n'avaient pas cessé. Dès le matin, les meneurs étaient encore en mouvement. Le parti des paysans s'était aussi ému ; ces laboureurs jusque-là si paisibles, ou plutôt si indifférents à de telles questions, déployaient une
UN INTÉRIEUR. 359
activité et une chaleur extraordinaires. Ils ne voulaient pas avoir le dessous. On s'arrachait les tièdes. Deux heures avant la séance, les partis envoyaient encore leurs émissaires chez les douteux. Anselme reçut quatre visites dans cette matinée.
C'était un dimanche. Et ici on ne peut s'empêcher d'admirer l'attention délicate qu'ont nos préfets en général, de fixer pour ces opérations turbulentes , irritantes, sources de tant de haine, précisément le jour consacré au service du Seigneur, précisément l'heure où tout chrétien est obligé par une religion que l'on reconnaît être celle de la majorité des Français, d'assister au saint sacrifice, et de déposer, au seuil du temple, tout sentiment d'aversion pour ses frères. Le scrutin s'ouvrait à neuf heures pour se fermer à trois.
Une grande incertitude régnait encore sur le résultat des opérations. Les paris s'engageaient de part et d'autre. C'était une attente, une anxiété des plus vives ; mais en somme, personne n'était sûr de la victoire.
M. Hupé l'avait pressenti. Depuis deux jours il comptait les dévoués sur ses doigts sans avoir pu retrouver son appoint. Il réfléchit. Le moyen le plus court lui parut être de soustraire des voix au parti opposé. Il en parla tout bas à M. Cochot qui admira la simplicité et la justesse de ses combinaisons. Et voici comme l'on s'y prit.
Dès le matin , Jean Jonin, un misérable porte-
360 UN INTÉRIEUR.
faix qui n'était pas électeur, fut chargé d'inviter à boire un électeur connu par son goût pour le vin. Il avait ordre de ne rien ménager. On but tant et tant qu'à neuf heures l'électeur ne songeait plus à voter, et qu'à midi il était mort-ivre. Et d'un.
Irénée Harpinet, d'une santé délicate, menacé d'une phthisie pulmonaire, portait les précautions pour sa petite personne à un point qu'on ne saurait dire. M. Hupé se donna la peine d'aller faire un tour au village voisin, et d'y voir le docteur Remy, son intime. Un mot d'explication suffit. Le dimanche, dès le matin, le docteur Remy passe devant chez Harpinet, comme par hasard :
— Que diable faites-vous là, Harpinet, sur votre porte , par un temps si humide ?
— Mais... je ne fais que sortir, M. le docteur, et je rentre aussitôt.
— C'est prudent, dit Remy, en fixant sur lui ce regard scrutateur qui est particulier au médecin ; je ne sais si je me trompe, mais vous n'êtes pas parfaitement à votre aise aujourd'hui; vos yeux sont battus, votre teint est pâle... Du reste, le temps est affreux; c'est la saison terrible, ne l'oubliez pas ; le coin du feu, le coin du feu !...
— Je n'en sors guère, M. Remy; cependant aujourd'hui, il faudra bien...
— Quoi? morbleu ! dit le docteur en faisant asseoir le malade et en lui tâtant le pouls; il y a un
UN INTÉRIEUR. 361
peu de fièvre. Mon cher, vous feriez bien de vous mettre au lit.
— Mais les élections?
— Il n'y a pas d'élections qui vaillent ; la santé avant tout. Du reste, faites-en ce que vous voudrez.
— Je ne pourrai donc pas aller?...
— Où? à la mairie? à un quart de lieue d'ici ? par la boue, la pluie, le froid? quelle imprudence ! elle pourrait vous coûter cher. Du reste, à vote goût. Bonjour.
Harpinet se mit au lit, et n'en bougea pas de la journée.
Un troisième était depuis longtemps en prix pour acheter un cheval auquel il tenait singulièrement. Le vendeur prévenu par M. Hupé, lui fait savoir que s'il ne revient à telle heure faire le marché, on s'entendra avec un autre. L'électeur court au village voisin où demeurait son marchand, cébat son affaire, paie les vins, et quand il se lève chancelant pour s'en revenir, le scrutin était dépouillé depuis une heure.
A un quatrième, on fait parvenir la nouvelle que sa bru est dangereusement malade. Le brave homme se rend en hâte à deux lieues de Monval, trouve sa bru bien portante, dîne chez elle, et s'en revient gaîment à la tombée de la nuit. Ces manoeuvres et autres semblables, que nous T. 1. 16
362 UN INTÉRIEUR.
donnons comme faits historiques, écartèrent sept électeurs.
Sur les dix heures du matin, on vit un petit homme s'avancer gelé et tremblant vers la maison commune. A défaut de parapluie, une jupe jetée sur ses épaules le protégeait conte une pluie froide et pénétrante. Derrière lui, marchait une vieille femme, accoutrée d'une manière non moins bizarre. C'étaient les époux Tartara.
Sur une petite hauteur qui séparait sa maison du village, l'usurier s'arrêta.
— Chouchette, dit-il en levant sa canne, tu vois bien ce clocher-là? Eh bien! je l'aurais eu dans le temps pour trois mille livres en assignats. C'est le père Grognon qui l'a acheté de moitié avec le citoyen Fréchet ; ils en avaient fait une écurie. Ah! si j'avais su! Tu vois bien la cure à côté; eh bien! je l'ai eue un moment... Ah! si j'avais su ! nous ne serions pas où nous en sommes. Quel malheur ! sac-à-papier ! quel malheur !
Le couple arriva transi de froid. La fièvre torturait ce pauvre petit vieillard; mais il fallait bien faire un sacrifice à la patrie. D'une main tremblante, il écrivit ses deux noms; mais le froid et l'humidité avaient tellement augmenté l'accès, qu'il ne lui fut plus possible de s'en retourner à pied. Deux paysans avisèrent de l'emporter sur une civière.
UN INTÉRIEUR. 363
Malgré tous les efforts du parti, on n'obtint qu'une demi-victoire. M. Grognon fut élu ; M. Bonvalet manqua d'une voix. Les paysans ne lui pardonnaient pas d'ouvrir dans sa maison une école de débauche à la jeunesse.
Fin du premier volume.
TABLE.
CHAPITRE I. Un intérieur,
— II. Le lendemain. 20
— III. Le mendiant. 37
— IV. Les amis. 51 — V. L'infortune. 83 — VI, Une scène. 104.
— VII. Le garçon de village. 129
— VIII. Les consolateurs. 146 -— IX. Le promis. 166
— X. Le curé de campagne. 187
— XI. Espoir. 203
— XII. Roussette. 227
— X11I. Conspiration. 246
— XIV. Les dévotes. 269
— XV. L'usurier. 286 — XVI. Une visite de nuit. 114 — XVII. Les élections. 335
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in-18. 80 c.
M. du Bois-Halbran ne pouvait être plus heureusement moraliste qu'en écrivant des vers que l'enfant peut lire avec attrait, et le penseur avec fruit.
CHANTS DE L'ARCHICONFRÉRIE (les), recueillis et mis en musique par M. ANDRÉ , maître de chapelle à l'église Notre-Damedes Victoires, précédés d'une Attestation de M. DUFRICHE-DESGEKETTES ; in- 8°. 1 fr. 25 c.
CHARITÉ MÈNE A DIEU, histoire contemporaine, par Adolphe ARCHIER; 1 vol. in-12. 2 fr.
CITÉ DE DIEU (la) de S. Augustin ; 2e partie , trad. nouv., par L. MOREAU ; 1 vol. grand in-18 anglais. 5 fr. 50 c.
COMBAT SPIRITUEL (le), par le R. P. SCUPOLI, Théatin, suivi d'un Traité de la paix de l' âme, du bonheur d'un coeur qui meurt à luimême pour vivre à Dieu ; trad. en français, par le R. P. BRIGNON; 1 beau vol. in-52. 60 c.
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CONDUITE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA menant une âme à la perfection par les exercices spirituels, avec des remarques et un extrait des exercices dont la lecture est marquée pour les jours de la retraite, par le P. Ant. VATIER ; nouvelle édition, approuvée par Mgr l'évêque du Mans ; 1 vol. in-12. 1 fr. 50 c.
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME DE PARIS, par le R. P. LACORDAIRE, tome Ier, années 1835, 1836, 1843; 1 beau vol. grand in-8°. 7 fr.
lre Livraison du tome II (année 1844). 2 fr. 50 c.
CONFÉRENCES SUR LES CÉRÉMONIES DE LA SEMAINE
SAINTE A ROME , par Mgr WISEMAN, évêque de Mellipotamos;
1 vol. in-12. 1 fr. 50 c.
CONFESSIONS DE S. AUGUSTIN (les), trad. nouv., par L. MOREAU, suivie de Notes biographiques ; 2e édition; 1 volume grand in-18 anglais. 3 fr. 50 c.
CONVERSION DE MARIE-ALPHONSE RATISBONNE, relation authentique par M. le baron Th. de BUSSIÈRES : suivie de la lettre de M.-A. Ratisbonne à M. l'abbé Desgenettes ; 1 vol. in-18 orné d'une belle grav. représentant la vision miraculeuse. 75 c.
DEUX CHANCELIERS D'ANGLETERRE, Bacon de Vérulam et saint Thomas de Cantorbéry, par M. OZANAM, prof, de litt. étrang. à la Sorbonne ; 1 vol. in-8°. 4 fr.
-Édition in-12. 1 fr. 50 c.
DEVOIRS D'UNE FEMME, histoire contemporaine, par Adolphe ARCHIER ; 1 fort vol. in-12. 2 fr. 75 c.
DEVOIRS INTELLECTUELS DE LA JEUNESSE CHRÉTIENNE (des), par M. Léon BORE, professeur d'histoire au collége de Juilly; in-8°. 40 c.
DOCTEURS DU JOUR DEVANT LA FAMILLE (les), par M. BRUCKER (MICHEL-RAYMOND) ; 1 vol. grand in-18 anglais. 5 fr.
DOULOUREUSE PASSION (la) de N.-S. J.-C, d'après les méditations d'Anne-Catherine EMMERICH, religieuse Augustine ducouvent d'Agnetenberg à Dulmen, morte en 1824; par M. de CAZALÈS; 1 vol. in-8°, 4e édition. 6 fr.
ABRÉGÉ du même ouvrage ; 1 vol. in-18. 80 c.
ÉCOLIER VERTUEUX (1'), par l'abbé PROYARD; nouv. éd.; in-18.60 c.
ÉCOLIERS VERTUEUX (les), ou Vies édifiantes de plusieurs jeunes gens proposés pour modèles, par l'abbé CARRON ; 5e édit. ; 2 v.
in-18, fig. 1 fr. 50 c.
ÉLÉVATIONS A DIEU sur tous les Mystères de la Religion Chrétienne, par BOSSUET, avec une Introduction , par M. Emile CHAVIN DE MALAN , auteur de l'Histoire de saint François d'Assise ; 1 beau vol. grand in-18 anglais. 3 fr. 50 c.
ÉLOGE FUNÈBRE DE MONSEIGNEUR DE FORBIN-JANSON,
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prononcée dans la cathédrale de Nancy, le 28 août 1844, par le R. P. LACORDAIRE , in- 8°. 1 fr.
ÉPREUVES DES ÉLUS (les), le Jardin des Roses, la Vallée des Lys, traduits du latin du B. Thomas à Kempis, par M. l'abbé COUHARD; approuvés par Mgr l'évêque de Dijon ; 1 beau vol. in-52 de plus de 500 pages. 1 fr. 75 c.
ÉTUDES SUR SAINT FRANÇOIS DE SALES, sa vie, son coeur, ses oeuvres, ses écrits et sa doctrine, par l'abbé BOULANGÉ; 2 beaux vol. in-8° avec portrait. 12 fr.
Tout lecteur pieux aimera à connaître le livre de M. l'abbé Boulangé; il y trouvera l'onction et la piété, l'élégance et la pureté du style. Pénétré de son sujet, l'auteur a toujours devant lui son modèle, il le fait bien connaître et inspire le désir de l'aimer davantage. Le lecteur croit vivre avec le héros du livre, le suivre pas a pas du berceau à la tombe. On sent son âme se réchauffer aux feux qui embrasent celle du saint pour la cause de Dieu. (Extrait de la Bibliographie catholique, décembre 1844.)
EXPLICATION HISTORIQUE, DOGMATIQUE, MORALE ET LITURGIQUE DU CATÉCHISME, par M. l'abbé Ambroise GUILLOIS ; ouvrage approuvé et recommandé aux fidèles par Mgr l'évêque du Mans ; 2 vol. in-12. 5 fr.
EXPLICATION LITTÉRALE ET MORALE DES ÉPITRES ET ÉVANGILES des Dimanches et des principales Fêtes de l'année, des fériés de l'Avent et de tous les jours de Carême ; avec des Notions liturgiques où l'on expose la raison et les origines des principales cérémonies de l'Eglise catholique ; par M. l'abbé Ambroise GUILLOIS ; ouvrage approuvé par NN. SS. les évêques du Mans et de Chartres ; 2e édition ; 1 gros vol. in-12 de 700 pages. 3 fr.
EXPOSITION DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE, divisée en trois parties comprenant : 1° L'histoire abrégé de l'ancien et du nouveau Testament, suivie d'une instruction sur l'Eglise ; 2° l'explication des dogmes de l'Église rapportés à la justification de l'homme; 3° la pratique des Commandements de Dieu et de l'Eglise, des conseils évangéliques, et des divers exercices de piété; par le P. BOUGEANT, prêtre de la Compagnie de Jésus; 2 forts vol. in-8°. 9 fr.
ÉVANGILE EN ACTION, ou l'histoire de la vie des principal Saints honorés dans l'Église catholique ; ouvrage rédigé d'après les Bollandistes et les hagiographes les plus célèbres, et publié par M. l'abbé Ambr. GUILLOIS ; 3 forts vol. in-12. 7 fr. 50 c.
— ABRÉGÉ; 1 gros vol. in-12. 2 fr.
ÉVIDENCE DE LA DIVINITÉ DU CHRISTIANISME ET DU CATHOLICISME, par J. M. E. B. ; 1 vol. in-12. 2 fr.
Le fond de cet ouvrage est tiré de l'Évidence de la religion chrétienne de
JENNINGS et de la Démonstration évangélique de Mgr DUVOISIN.
FASTES DE LA FRANCE (les), ou Histoire de France depuis les
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Gaulois jusqu'à la révolution de 1830, par DELANDINE DE SAINTESPRIT. Cet ouvrage, en 12 volumes, se vend en collection ou en volumes séparés. Prix du vol. : 2 fr. 50 c. ; prix de la collection : 30 fr.
FRÈRES DE LAIT (les), par BRIAC et HOERTEL; 1 vol. in-18 avec fig. 1 fr. 25 c.
GLAIVE RUNIQUE (le), ou la Lutte du Paganisme Scandinave contre le Christianisme ; Drame, par K.-A. NICANDER; traduit du Suédois , précédé d'une Introduction et suivi de Notes historiques et mythologiques sur les pays du Nord, par Léouzon Le Duc.
GUIDE CONSOLATEUR (le) des âmes découragées; 1 volume in-18. 1 fr. 25 c.
GUIDE DES ENFANTS DE MARIE (le) ; 1 vol. in-18 de 780 pages. 2 fr. 50 c.
GUIDE DE L'ENFANT CHRÉTIEN (le); Prières et Instructions pour l'enfance et la jeunesse, avec l'Office du Dimanche et les Hymnes des principales fêtes, par G.-M. DE VILLIERS; 1 vol. grand in-32. 2 fr.
Cet ouvrage est approuvé et recommandé par NN. SS. les évêques de
Nancy, de Limoges et de Châlons.
GLOIRES DE LA FRANCE (les), 22 vol. grand in-18 anglais, contenant, chacun la matière d'un fort vol. in-8°. Prix de chaque volume : 3 fr.
VIE DE MADAME DE SÉVIGNÉ, par M. le vicomte WALSII. VIE DE SAINT VINCENT DE PAUL, par M. l'abbé ORSINI. VIE DE JEANNE DE VALOIS, par M. PIERQUIN DE GEMBLOUX. VIE DE GODEFROI DE BOUILLON, par M. d'EXAUVILLEZ. VIE DE BAYARD, par M. DELANDINE DE SAINT-ESPRIT. VIE DE SUGER, par M. A. NETTEMENT. VIE DE LA REINE BLANCHE, par M. TH. NISARD. VIE DE RANCÉ, par M. d'EXAUVILLEZ. VIE DE COLBERT, par M. A DE SERVIEZ. VIE DE MADAME DE CHANTAL. par Madame A.... VIE DE CHARLES V, par M. l'abbé BARTHÉLÉMY. VIE DU CONNETABLE DE CLISSON, par Madame DE CLISSON. VIE DE CHALLEMAGNE, par M. Th. NISARD. VIE DE BUFFON, par M. le marquis DE CHESNEL. VIE DE PIERRE CORNEILLE, par M. Gustave LEVAVASSEUR. VIE DE DOM MABILLON, par M. Emile CUAVIN DE MALAN. VIE DE HENRI IV, par M. le vicomte DE NOGENT. VIE DE GRILLON, par M. A. DE SERVIEZ. VIE DE DUGAY-TROUIN, par de LA LANDELLE. VIE DE BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, par A. FLEURY. VIE DE JEAN GERSON, par Raymond THOMASSY. VIE DE FÉNELON, par Antoine CÉLARIER.
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HEURES CHOISIES, ou Recueil de Prières pour tous les besoins de la vie, avec des instructions pratiques pour toutes les fêtes de l'année, par madame la marquise D'ANDELARRE ; nouvelles éditions revues, corrigées et augmentées par Mgr MORLOT ; 1 vol. in-32,10e édition. 1 fr. 80 c.
1 vol. grand in-32, 14e édition, avec titre doré et lettresvignettes. 2 fr. 1 vol. in-18,13e édition, titre doré et lettres-vignettes. 2 fr. 40 c, 1 vol. grand in-18, 7e et belle édition, gros caractères et lettresvignettes. 5 fr. 1 vol. in-16,12e et magnifique édition, ornée de 4 gravures, avec titre enluminé et encadrements illustrés à chaque page. 7 fr.
Le pieux et savant archevêque de Tours, en retouchant ce livre qui respire la piété la plus tendre et la plus éclairée , lui a assuré un succès général et soutenu. La beauté de ces éditions, imprimées avec le plus grand soin, le rendront plus digne encore des suffrages des lecteurs religieux.
HEURES PAROISSIALES, contenant les offices des principales fêtes de l'année, en latin et en français, la Messe et les Cérémonies du Mariage, les Cérémonies du Baptême, les Prières et les Actes avant et après la Communion (70 gravures sur acier); avec l'approbation de Mgr l'Archevêque de Paris; 1 vol. grand in-18. 8 fr.
La distribution des gravures et des ornements est surtout digne d'atten tion. Le sujet de chaque gravure est l'exposition fidèle, la traduction heureuse du texte qui l'accompagne. La gravure fait corps avec le texte, elle l'encadre, et en donne le commentaire vivant et animé.
HISTOIRE DE SAINTE ELISABETH DE HONGRIE, duchesse de Thuringe, par M..le comte de MONTALEMBERT, pair de France; 1 vol. grand in-8° avec gravures et appendice. 10 fr.
— 4e édition, 1 vol. grand in-18 anglais de 728 pages. 5 fr.
— ABRÉGÉ du même ouvrage, 1 vol. in-18. 1 fr. 50 c.
HISTOIRE DE SAINT FRANÇOIS D'ASSISE (1182-1226), par
M. Emile CHAVIN DE MALAN; 1 beau volume in-8° orné d'un
portrait; 2e édition, approuvée par NN. SS. les évêques de
Langres et de Saint-Flour. 6 fr.
— ABRÉGÉ, 1vol. in-18. 1 fr. 30 c.
HISTOIRE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE, par M. Emile
CHAVIN DE MALAN ; 2 vol. in-8° (sous presse). HISTOIRE DE SAINT PIE V, pape, de l'ordre des Frères-Prêcheurs,
par M. le vicomte de FALLOUX; 2 vol. in-8°. 12 fr.
LOUIS XVI, par le vicomte de FALLOUX; 1 vol. grand in-8°de 550 pages, papier vélin. 8 fr.
HISTOIRE DE SAINTE RADÉGONDE, reine de France au VIe siècle et patronne de Poitiers, par M. Ed. de FLEURY ; 1 vol. in-8° avec gravures. 5 fr.
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HISTOIRE D'ABULCHER BISCIARAH, par M. Adolphe de BouCLON ; avec approbation de Mgr l'évêque d'Evreux ; 1 vol. in-12. l fr. 30 c.
Cette histoire offre autant d'édification que d'intérêt; elle fait connaître
la vie d'un pieux jeune homme, qui fut un digne émule de Louis de Gonzague
Gonzague de Stanislas de Kostka.
HISTOIRE DE L'ABBAYE DE CLUNY, depuis sa fondation jusqu'à sa destruction à l'époque de la Révolution française; suivie de nombreux fragments de la correspondance de Pierre-le-Vénérable et de saint Bernard ; par M. P. LORAIN, ex-doyen de la Faculté de Droit de Dijon ; 1 vol. in-8°. 2e édition. 6 fr.
HISTOIRE CRITIQUE ET LITTÉRAIRE DE NOTRE-DAME-DELORETTE, par A.-B. CAILLAU, prêtre de la Société de la Miséricorde; 1 gros vol. grand in-18 anglais. 3 fr. 50 c. HISTOIRE DE N.-S. JÉSUS-CHRIST, traduite de l'allemand, du comte de STOLBERG , par l'abbé JAGER ; 1 volume grand in-18 anglais. 3 fr. 50 c. HISTOIRE CRITIQUE ET LÉGISLATIVE de l'Instruction publique et de la Liberté (l'Enseignement en France, depuis les temps les plus reculés jusqu'à 1844; par H. DE RIANCEY; 2 vol. in-8°. 10 fr. Nous pouvons dire que l'auteur a rendu un grand service à là cause de la liberté d'enseignement. Tous ceux qui ont intérêt à l'étudier feront bien de consulter son livre, que nous recommandons aux partisans comme aux adversaires de la liberté d'enseignement. (Bibl. cath., 1844.)
IMITATION DE N.-S. JÉSUS-CHRIST (1'), avec pratique et prière à la fin de chaque chapitre, par le R. P. DE GONNELIEU; suivie des prières du matin et du soir et de la manière d'entendre saintement la messe; par le R. P. SANADON ; 1 vol. in-12 de 450 pages, en gros caractères. 1 fr. 30 c.
IMITATION DE LA TRÈS SAINTE VIERGE, sur le modèle de l'Imitation de Jésus-Christ, par l'abbé ....; 1 vol. in-18. 80 c. IMITATION de S. Louis de Gonzague, modèle et patron de la jeunesse chrétienne, suivie d'une Neuvaine, de la Messe, des Vêpres et du Petit Office du Saint, par A. M. D. G. ; 1 vol. in-18 de 600 pages. 1 fr. 50 c.
JEANNE D'ARC, ou le récit d'un preux Chevalier, chronique française du XVe siècle, par MAXIME DE MONT-ROND ; avec un beau portrait en pied de l'héroïne, d'après le modèle de la princesse Marie. Seconde édition, augmentée de documents historiques; 1 vol. in-12. 1 IV. 30 c.
L'auteur s'est livré aux recherches les plus consciencieuses pour rendre son travail le plus complet possible, et il fait surtout ressortir les faits qui prouvent le caractère surnatuel de la mission de Jeanne d'Arc. Son style est simple, clair, rapide, parfaitement adapté au sujet. On aime à y rencontrer quelques expressions de nos vieilles annales. (Revue critique, 1844.)
JÉSUS-CHRIST PARLANT AU COEUR DE LA JEUNE PENSIONNAIRE, ou suite de Méditations pour le temps des vacances.
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Ouvrage imité d'un opuscule italien de Zama-Mellini, par
l'abbé ***; 1 vol. in-32. 80 c.
JÉSUS-CHRIST PARLANT AU COEUR DE LA RELIGIEUSE,
méditation pour chaque jour du mois; 1 vol. in-32. 1 fr. 25 c.
KEEPSAKE RELIGIEUX, LIVRE DES SAINTES; grand in-8° sur . très-beau papier. Douze gravures en double, sur papier ordinaire et sur papier de Chine. 5 fr.
LETTRES A MA FILLE SUR L'ÉDUCATION, par M. le baron de MENGIN-FONDRAGON; 1 vol. in-18. l fr.25c.
LITANIES DU SAINT NOM DE JÉSUS, méditées devant le trèssaint Sacrement ; dédiées aux associés de l'adoration perpétuelle; un beau volume grand in-32 de 90 pages ornées de vignettes; approuvées par Mgr l'archevêque de Paris. 50 c.
— Cartonné à l'anglaise. 60 c.
LITANIES DE LA SAINTE VIERGE, méditées devant l'autel du Saint Coeur de Marie, dans l'église rie Notre-Dame-des-Victoires, dédiées à l'Archiconfrérie et approuvées par Mgr l'Archevêque de Paris; in-16 orné de portraits et de vignettes avec couvertures moirées. .25 c.
—Les mêmes, avec couverture imprimée en or. 40 c.
LES LITANIES DU SAINT NOM DE JÉSUS et de la SAINTE VIERGE, réunies en un vol. in-32, cartonné à l'anglaist avec soin. 80 c.
LIVRE DES PEUPLES ET DES ROIS (le), par M. Charles SAINTEFOY ; 1 vol. in-8°; 2e édition, corrigée et augmentée. 6 fr.
LIVRE DE LA JEUNE FEMME CRÉTIENNE (le), ou Lettres à ma Filleule, pour les différents âges de la vie ; 1 gros volume in-12, couverture glacée. 4 fr.
LIVRE DE LA JEUNE PENSIONNAIRE EN VACANCES (le), ou Exercices de piété, Offices, Réflexions, Lectures, Conseils pour le temps des vacances ; 1 vol. in-18, avec grav. 1 fr. 50 c.
MANUEL D'INSTRUCTIONS ET DE PRIÈRES à l'usage des membres de l'Archiconfrérie du Très-Saint et Immaculé Coeur de Marie, établie dans l'église de Notre-Dame-des-Victoires, à Paris; suivi d'une histoire de l'Archiconfrérie ; par M. l'abbé DUFRICHEDESGENETTES; 11e édition; 1 fort vol. in-12. 2 fr.
— ABRÉGÉ, 1 vol. in-18, 2e édition. 1 fr.
MANDEMENT DE MONSEIGNEUR MENJAUD, évêque de Nancy et de Toul, à l'occasion de la mort de Mgr de Forbin-Janson, son prédécesseur ; in-4°. 60 c.
MANUEL DES FRÈRES ET SOEURS DU TIERS-ORDRE DE LA PÉNITENCE DE S. DOMINIQUE; 1 très-beau v. in-32. 5 fr. 50 c.
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MARIANNE AUBRY, par mademoiselle LOUISE D'AULNAY (Julie Gouraud); 1 volume in-12. 1 fr. 50 c.
Marianne Aubry est l'histoire d'une servante bretonne, qui passe successivement par toutes les phases de la vie d'une domestique, et qui, dans les circonstances diverses de cette humble existence, trouve moyen de faire l'application de toutes les vertus chrétiennes.
MÉDITATIONS, SOLILOQUES ET MANUEL DE S. AUGUSTIN, précédés d'un abrégé de la vie du Saint, par P. LAMACHE, traduct. nouv. par C. L. ; 2 vol. in-12. 2 fr.
MÉMOIRES SUR LA VIE ET LES VERTUS DE SAINTE JEANNEFRANÇOISE DE CHANTAL, fondatrice de la Visitation ; recueillis par la Mère de CHAUGY, sa nièce ; publiés par l'abbé T. B.; avec une Introduction et une Notice sur la Mère de Chaugy ; 1 beau vol. in-8°. 6 fr.
MÉMOIRES DE SILVIO PELLICO. — Mes Prisons, 2 volumes in-18. 1 fr. 50 c.
Tout le monde connaît et aime les Mémoires de Silvio Pellico ; il n'est pas
d'ouvrage plus attrayant à lire et plus propre à faire germer la vertu dans
les coeurs.
MENDIANT (le), par M. l'abbé Devoille, auteur d'Andréas et des Chants de l'Exil; 2 vol. in-18. 4 fr.
MOIS DE MARIE, ou Vie pratique de la très-sainte Vierge, avec nouvelles prières pour la messe, choix de pieuses prières, nouveaux sujets de gloses ou méditations, et douze cantiques ; par M. l'abbé C.-M. LE GUILLOU ; 6e édition ; ouvrage approuvé par un grand nombre d'évêques; 1 beau vol. in-32. 1 fr. 50 c.
NEUVAINES A MARIE ET LIVRE COMPLET DE PRIÈRES, par M. l'abbé C.-M. LE GUILLOU ; ouvrage approuvé par Mgr l'Archevêque de Paris et par plusieurs autres prélats; 2e édition; 1 beau et fort vol. grand in-18. 2 fr. 75 c.
NOUVEAU TESTAMENT, traduction de LEMAISTRE DE SACY, suivi de la sainte Messe, des Vêpres du dimanche et Complies ; 1 gros vol. grand in-18. 1 fr.
NOUVELLES HÉROINES CHRÉTIENNES , ou Vies édifiantes de dix-sept jeunes personnes, par l'abbé CARRON; 1 v. in-18, papier raisin, fig. ; 11e édit. 1 fr. 50 c.
NOTRE-DAME DE CONSOLATION, par M. l'abbé DEVOILLE, auteur d'Andréas, du Mendiant et des Chants de l'Exil; 2 volumes in-12. 4 fr.
OFFICE ET PRIÈRES DE L'ARCHICONFRÉRIE du Très-Saint et Immaculé Coeur de Marie; seconde édition revue et augmentée de l'Office complet, mis en chant nouveau par A. LECLERCQ. 1 fr.
ORIGINE DES DIEUX, des Héros, des Fables et des Mystères du Paganisme; 2 vol. in-12. 4 fr.
ORPHELINES (les), par Bathild BOUNIOL; in-8°, orné de 5 belles planches. 4 fr.
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OEUVRES DE SAINTE THÉRÈSE, traduites en français par Arnauld D'ANDILLY; nouv. éd. ; un fort vol. in-8° de 700 pages à deux col., avec une belle grav. 8 fr.
PASSION MÉDITÉE D'APRÈS LES QUATRE ÉVANGÉLISTES (la), ou Elévations pour chaque jour du Carême sur les souffrances et la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ; ouvrage traduit de l'italien de M. l'abbé Louis MARCHETTI ; précédé d'une introduction et augmenté de considérations empruntées à nos orateurs sacrés les plus célèbres, par M. H. DENAIN ; 1 beau et fort vol. grand in-32. 2 fr.
PETITE CHOUANNERIE (la), ou Histoire d'un Collége breton sous l'empire; par A. F. Rio, auteur de la Poésie Chrétienne; 1 vol. in-8°. 5 fr.
PETIT LIVRE D'OFFICE, à l'usage des jeunes enfants, par un Curé de campagne ; 3e édition, augmentée de l'Enfant chrétien; in-32 cartonné, avec couv. imp. 30 c.
PLAIES SANGLANTES DU CHRIST (les), reproduites dans trois vierges chrétiennes, vivant actuellement dans le Tyrol ; traduit de relations anglaises, italiennes et allemandes, auxquelles on a joint une esquisse sur la Stigmatisée de la Provence, et une introduction sur la stigmatisation, par M. WEYLAND , professeur à Metz ; 1 très-fort vol. in-18. 2 fr. 75 c.
PRATIQUE DE LA PERFECTION CHRÉTIENNE, du R. P. Alphonse RODRIGUEZ , traduit de l'espagnol par l'abbé REGNIERDESMARAIS; 3 vol. petit in-8°. 7 fr.
— Abrégé du même ouvrage, 2 vol. in-12. 2 fr.
LES QUATRE SAISONS SANCTIFIÉES par la dévotion au Coeur immaculé de la vierge Marie, mère de Dieu, par le R. P. G***;
1 vol. in-18 de 690 pages; prix net : 1 fr. 25 c.
RÉCRÉATIONS INNOCENTES DE LA JEUNESSE, ou Recueil d'anecdotes, saillies, naïvetés, scènes de police correctionnelle, traits piquants, etc, par M. l'abbé DEVIN, principal du Collége d'Aire; 2 vol. in-12. 4 fr.
RÉFLEXIONS DOGMATIQUES ET PRATIQUES sur tous les Evangiles des dimanches et des principales Fêtes de l'année, et aussi sur les principales Fêtes de la Sainte Vierge, approuvées par Mgr l'Archevêque de Paris; 1 vol. in-12. 1 fr.
ROME CHRÉTIENNE, ou Tableau historique des Souvenirs et des Monuments chrétiens de Rome, par M. Eugène de LA GOURNERIE;
2 vol. in-8°. 12 fr.
SAINT FRANÇOIS DE SALES, ou le Guide du Coeur pour tous les jours de l'année, par l'abbé Théodore BOULANGÉ, aumônier de la Visitation, au Mans; 1 vol. in-18. 1 fr.
SAINTS ANGES, ouvrage approuvé par NN. SS. l'archevêque
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de Toulouse, les évêques de Cahors et d'Aire; 2e édition ; 1 vol. in-18. 2 fr.
SOUVENIRS D'UN PETIT ENFANT, Contes à la Jeunesse, par mademoiselle Elisa MOREAU; 1 vol. in-18. 1 fr.
SOUVENIRS DE L'ORIENT, par M. le comte de MARCELLUS, ancien ministre plénipotentiaire; avec cartes itinéraires et gravures. (Ouvrage approuvé par l'Université.) 2 gros vol. in-8°. 12 fr.
SOUVENIRS ET EXEMPLES. Petites Notices offertes aux jeunes chrétiennes, avec un réglement de vie; 2e édition, revue et augmentée; 1 beau vol. in-12. 2 fr. 25 c.
SUICIDÉ (le).— Roman moral et qui a toutes les apparences de la vérité en ces temps déplorables; 1 vol. in-18. 40 c.
TRAITÉ DE L'AMOUR DE DIEU, par le comte de STOLBERG ; traduit par MM. ANTONY LUIRARD et H***; précédé d'une notice historique, par M. l'abbé FOISSET ; 1 vol. gr. in-18. 1 fr. 50 c.
TRIOMPHE DE L'ÉVANGILE, traduit de l'espagnol par BUYNAND DES ECHELLES ; 1 gros vol. in-8° de 824 pages. 4 fr. 25 c.
TABLEAU DE LA MISÉRICORDE DIVINE, par l'abbé BERGIER; in-8°. 3 fr.
— Le même, 1 gros vol. in-12 ; belle édition. 2 fr.
THÈODULE, ou l'Enfant de bénédiction, modèle pour la jeunesse, par le père MARIN ; 1 vol. in-18. 40 c.
TRÉSOR EUCHARISTIQUE de l'âme pieuse au Très-Saint-Sacrement de l'autel; 1 vol. in-32. 1 fr. 50 c.
TRÉSOR DE PERSÉVÉRANCE, ou Recueil de prières et de pratiques propres à fortifier les âmes chrétiennes dans la vertu ; 1 vol. in-18. 2 fr.
VIE DU VÉNÉRABLE SERVITEUR DE DIEU, PIERRE-DUMOULIN BORIE, missionnaire de la Congrégation des MissionsÉtrangères, élu évêque d'Acanthe et vicaire apostolique du Tonquin occidental, martyrisé en Cochinchine le 24 novembre 1838.— Deuxième édition augmentée considérablement et suivie d'un Appendice étendu sur les Missions chez les Infidèles, ornée de 2 magnifiques gravures; 1 vol. in-12. 1 fr. 80.
VIES DES SAINTS NOUVELLEMENT ÉCRITES, par une réunion d'Ecclésiastiques et d'Écrivains Catholiques, sous la direction religieuse du comité nommé par Mgr l'Archevêque de Paris. Le prix de chaque livraison est de 60 c. Chaque livraison contenant la vie d'un Saint, illustrée d'une gravure sur bois, forme une oeuvre complète et peut être achetée séparément. Il paraît une livraison chaque semaine depuis le 27 mars 1845.
VIES DES PÈRES, DES MARTYRS ET DES AUTRES PRINCIPAUX SAINTS, ouvrage trad. de l'anglais d'Alban Butler, par l'abbé GODESCARD; édition augmentée du Traité des Fêtes mobiles, d'une Notice sur Alban Butler, du Martyrologe romain, d'un Traité
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sur la Canonisation des Saints, d'Articles refondus, de Notes importantes et d'un très-grand nombre de Vies nouvelles ; par M*", vicaire général de l'archevêché de Paris ; 20 vol. in-8°. 40 fr. — Le même, 20 vol. in-12. 30 fr.
VIE DE SAINT DOMINIQUE, par le R. P. LACORDAIRE; 1 vol. in-12. 2 fr.
VIE DE SAINT FRANÇOIS XAVIER, apôtre de la Chine et du Japon, tirée d'une Vie plus étendue du P. Bouhours; dédiée à l'Association de la Propagation de la Foi; par Mgr PALLEGOIX; 1 vol. in-12. 80 c.
VIE DE LA BIENHEUREUSE LIDWINE, vierge, écrite par le vénérable père Jean BRUCHMAN; 1 vol. in-12. 1 fr. 80 c.
VUE DU PÈRE MARIE EPHREM, ou Histoire d'un moine de nos jours , mort à l'abbaye de la Trappe d'Aiguebelle ; suivie d'une notice intéressante sur sa soeur Marie Ephrem, religieuse trappistine; 1 vol. in-12. 1 fr. 50 c.
VIE DE SAINT LOUIS DE GONZAGUE, de la Compagnie de Jésus, par le P. CÉPARI ; traduite de l'italien par CALPIN ; suivie de la vie de saint Stanislas de Kostka, par le P. D'ORLÉANS ; 1 volume in-18. 1, fr. 40 c.
VIE DE BERNARD OVERBERG, supérieur du séminaire de Münster, par SCHUBERT ; traduit de l'allemand par M. Léon BORE ; 1 vol. in-18. 60 c.
VISITES AU SAINT SACREMENT ET A LA SAINTE VIERGE pour demander la conversion des pécheurs ; suivies d'un choix de Prières à l'usage des associés de l'Archiconfrérie du TrèsSaint et Immaculé Coeur de Marie; par M. l'abbé ARNAULT, chan. hon. de Tours, vicaire de Saint-Louis-d'Antin; 1 très-beau volgrand in-32 sur papier Jésus. 1 fr, 50 c.
GRAVURES.
PORTRAIT DE SAINT VINCENT DE PAUL, gravé d'après tu
tableau contemporain du Saint.
Prix: Sur papier blanc... 15 cent. — Le cent, 12 fr. Sur papier de Chine.. 25 cent. — Le cent, 20 fr.
La beauté de la gravure, les dimensions qui permettent de la relier avec des livres d'un format in-12, in-18 ou grand in-32, la feront rechercher par toutes les personnes qui admirent et vénèrent le héros de la charité.
BELLE GRAVURE représentant exactement la chapelle de l'Archiconfrérie, telle qu'elle est aujourd'hui, avec la relique de sainte Aurélie donnée par N. S. P. le Pape.—Le vénérable M. DESGENETTES, à genoux au bas de l'autel, est très-ressemblant. — Cette gravure a 55 centimètres de hauteur sur 40 de largeur. 1 fr. 25 c
— Sur papier de Chine. 2 fr.
IMPRIMERIE DE E.-J. BAILLY, PLACE SORBONNE, 2.
Imprimerie de E.-J. BALLY place Sorbonne, 2. .